Archive for décembre, 2014

Migrations

15 décembre

L’hiver se faisant de plus en plus présent de votre côté de l’équateur les copains, je me suis dit qu’il était temps de changer d’hémisphère. Ma seule expérience de l’Australie se limite à cette semaine de pêche à l’ornithorynque autour de Melbourne dont je vous avais parlé il y a maintenant quatre ans. Du coup, puisque je connaissais déjà le coin, je me suis dit que j’allais découvrir un peu le reste du pays. Et en fait non, je suis retourné dans cette même ville que je trouve très agréable et c’est par une belle matinée ensoleillée que je quitte l’aéroport en laissant derrière mois une trentaine d’heures de vol. Et c’est le même jour qu’à la sortie d’un train de banlieue je rencontre Daniel.

23 novembre (6)

Le hippie au milieu des autres.

Daniel est allemand, comme beaucoup de jeunes étrangers ici, et a tellement roulé sa bosse au pays des kangourous qu’il dispose maintenant d’un visa permanent pour le pays. L’Australie est un pays de migrants. Techniquement il n’existe plus une seule population humaine sur la planète qui ne soit issue de migrations mais ce que je veux dire c’est qu’ici il y a bien plus de chance que je passe ma soirée à m’envoyer des canettes de bière avec la moitié de la jeunesse européenne qu’à jouer du didgeridoo avec un Aborigène. Plusieurs raisons font que ce pays attire pléthore de jeunes en mal d’exotisme. Déjà c’est grand et varié donc il y a de fortes chances que vous trouviez un endroit à votre goût. Ensuite il y a beaucoup de boulot pour ceux qui n’ont pas un poil de mammouth dans la main, le nombre d’heures légales de travail est limité au maximum à vingt-quatre heures par jour et la paie est plus qu’honnête. Ajoutez à ça le fait que, même s’il est assez facile de se procurer légalement un permis de travail d’un an, la plupart des patrons ne rechignent pas à vous payer directement en liquide et vous comprendrez pourquoi beaucoup de voyageurs en Asie retournent en Australie plutôt que chez eux pour recharger leurs porte-monnaie.

Mais revenons à ma rencontre avec Daniel. Comment ce fait il que ce joyeux drille, nu pieds et le sourire jusqu’aux oreilles m’ait apostrophé à la sortie de mon train ? Et d’ailleurs qu’est ce que je foutais dans cette banlieue paumée ? La réponse se retrouve là encore quatre ans en arrière avec la découverte d’un site Internet qui a littéralement changé ma vie : Couchsurfing. Ce site permet non seulement de trouver des gens sympas partout sur la planète près à vous héberger pour pas un rond mais sert en plus de réseau social privilégié pour les voyageurs en mal de sociabilisation. Et comme je viens de vous dire que l’Australie regorge de voyageurs vous vous doutez bien que ce site est très sollicité ici. C’est donc via ce site que des expatriés de tous bords lancent des rendez-vous divers et variés pour des évènements tout aussi divers et variés. Il se trouvait justement que le jour de mon arrivée à Melbourne près de quatre cents joyeux fêtards s’étaient donné rendez-vous dans un vieil entrepôt désaffecté pour jongler, danser, jouer, papoter et déguster une large sélection de pinards australiens. Daniel était de ces rigolos mais quand nous sommes arrivés sur les lieux en début d’après-midi nous n’étions pas encore très nombreux. Cependant au fur et à mesure que la journée, et la dégustation, avançaient, l’entrepôt se remplissait.

Faites comme chez nous.

Faites comme chez nous.

La nuit venait de tomber quand je quittais les lieux en titubant, laissant derrière moi Daniel à la tête d’un gang de tatoués que nous venions de fonder. Je contemplais avec admiration le panneau des horaires de bus qui m’annonçait impassible que j’avais raté le mien lorsque je fus abordé par des Autochtones (autant que peuvent l’être des Australiens). Après m’avoir convaincu que leur motivation n’était pas de me kidnapper (même à deux je ne suis pas sûr qu’ils fissent mon poids), le charmant couple de quinquagénaires m’offrit de me déposer à ma prochaine destination. La seule condition était de faire un détour par chez eux pour qu’ils m’offrent une bière… C’est donc avec une bière entamée à la main que je débarquais fièrement à la House of Sin. Là encore c’est via le site couchsurfing que j’ai pu m’incruster dans cette soirée improvisée par une bande de colocataires habitués à ce genre d’évènements. Une soirée typique des banlieues résidentielles australiennes, j’avais enfin l’impression d’avoir traversé la moitié de la planète. J’étais un des rare à ne connaître personne et l’organisateur de la soirée ne doit même pas se souvenir de ma tête vu que des petits bonbons de toutes les couleurs l’avaient déjà transporté sur une autre planète. J’en profite pour vous signaler que la passion des jeunes australiens pour les substances psychotropes est presque supérieure à celle des britanniques ! La plupart des jeunes australiens que j’ai rencontré ici n’envisagent pas de faire la fête sans avoir ingurgité au moins une petite pilule.

Finalement le décalage horaire a fini par me ratraper et ni l’ambiance survoltée de la soirée ni le passage surprise de Daniel accompagné par une poignée de nos gangsters n’ont réussi à me tenir éveillé jusqu’au petit matin.

Mais le lendemain j'étais de nouveau en forme!

Mais le lendemain j’étais de nouveau en forme!

Après un week-end riche en émotion j’ai passé la semaine chez Pedro. Pedro vit dans une colocation et enchaine les séjours en Australie dans le but d’amasser assez d’argent pour accomplir son rêve, se rendre de Melbourne à Lisbonne en moto. Très vite la colocation est devenu mon point de chute mais j’ai aussi profité de mes premières semaines à Melbourne pour tester un nouveau mode d’hébergement alternatif. Sur le modèle du WOOF, le site helpx permet de se faire héberger en échange d’une participation sous forme de travail. Le procédé est plutôt sympa et contrairement au WOOF il n’est pas limité aux fermes. Mon hôte, d’origine ukrainienne, s’appelait Emilia et était un peu atypique. J’étais hébergé dans une sorte d’auberge de jeunesse informelle gérée chaotiquement par Emilia. Il n’y avait aucun employé et en gros c’était un joyeux petit Bronx peuplé par une vingtaine de voyageurs très sympas. Aucun d’entre eux n’avait travaillé pour Emilia plus longtemps que les trois jours minimums nécessaires à couvrir la semaine d’hébergement. J’allais vite découvrir pourquoi…

Le travail exigé par Emilia consiste à l’aider à rénover une vieille maison dont elle est propriétaire. Non contente d’être située à une heure de marche de l’auberge, la bâtisse est hideuse et en ruine. Le travail était à la fois dangereux et complètement dénué de sens. J’ai passé trois jours à réparer un meuble avant de le fixer à un mur percé de trous et recouvert d’une couche de plâtre miteus.Ni le parquet, ni l’électricité, ni la plomberie, ne sont en état mais Emilia demande à ses volontaires de fixer des décorations en platre d’un mauvais goût repoussant un peu partout dans la baraque. Cela fait maintenant dix ans qu’elle travaille à cette fausse rénovation et je suis persuadé qu’elle s’applique sans se l’avouer à tout faire pour que le travail ne soit jamais fini. Après tout que lui resterait il à faire de ses journées si la maison n’avait plus besoin de rénovation ?

On a quand même bien rigolé !

On a quand même bien rigolé !

Pour me changer les idées j’ai décidé de retourner chez mes tout premiers hôtes rencontrés via le site couchsurfing, Penny et Rhys. Alors qu’une chance outrageante m’avait permis d’observer un nombre élevé d’espèces animales emblématiques de l’Australie, ce couple de végétariens accros à la bière s’était moqué de moi en insistant sur le fait qu’il me restait à observer un échidné. Me suggérant même de repasser en Australie pour remédier à cela. Qu’est ce que ça pouvait bien me faire de ne pas savoir exactement à quoi ressemble ce porc-épic raté alors que j’ai tripoté des ornithorynques ? Et bien l’échidné c’est quand même une créature assez hallucinante, l’exemple même de ce qu’on appelle la convergence évolutive. Je m’explique. Pour commencer il faut savoir que malgré les innombrables différences physiques, le parent le plus proche des échidnés est l’ornithorynque. Les deux familles sont les derniers représentants des monotrèmes, ces mammifères primitifs qui continuent tant bien que mal à pondre des œufs. Maintenant la convergence évolutive. Habituellement, via une succession de mutations, l’évolution tend à transformer une sorte de rat avec un seul trou dans le derrière en des espèces aussi différentes qu’un canard poilu et un hérisson à trompe. Là on parle de divergence. On parle de convergence lorsque des espèces ayant divergé depuis des millions de générations affichent au final des caractères physiques très proches. Prenons l’exemple de l’échidné et d’un de ses parents très lointain, le porc-épic. Le porc-épic diverge de l’échidné depuis des millénaires, étant le fruit de mutations qui ont donné naissance aux marsupiaux, puis aux placentaires, jusqu’à une sorte de ragondin épineux. La convergence évolutive c’est la mutation qui a amené ces deux créatures si distantes l’une de l’autre à transformer leurs épis de poils en piquants.

La similitude est encore plus frappante de près.

La similitude est encore plus frappante de près.

Ah ben oui, parce qu’à peine arrivé chez mes hôtes, Rhys et moi sommes allés nous balader en forêt. Il ne nous a pas fallu très longtemps pour repérer un échidné à bec court au milieu des dizaines de kangourous. Vous m’excuserez pour la photo de qualité assez médiocre mais j’étais trop excité pour en prendre plus.

Après avoir passé la journée à me balader en short et sandales dans des hautes herbes infestées de serpents qui vous transportent de vie en trépas en moins de temps qu’il n’en faut pour expliquer le principe de convergence évolutive, je me suis dit qu’il fallait que je trouve un autre moyen de mettre ma vie en danger à la mode australienne. J’ai donc accompagné Rhys pendant une de ses plongées dans cette mer réputée pour son abondance de grands requins blancs. Nous n’avons pas vu le moindre aileron mais avons été gratifiés par la présence d’une pastenague aux dimensions titanesques et celle de plusieurs dizaines de dragons de mer.

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