20 mars
Lara → Marshall
Mine de rien Lara c’est un peu un bled paumé et pour sortir de l’agglomération de Melbourne en stop, il vaut mieux commencer par s’éloigner en train. C’est le moyen de transport que Sophie et moi avons choisi pour démarrer notre voyage, mais même si il n’y en a qu’un par heure, on a bien failli le rater.
Arrivés dans la ville de banlieue typique qu’est Marshall, nous n’avons pas eu beaucoup de marche à faire pour rejoindre la route qui marque le début de la Great Ocean Road. Vous vous rappelez ? Cette route que j’avais déjà pris il y a cinq ans lors de mon excursion au pays des kangourous. Sophie aussi s’y était déjà rendue mais elle nous plait tellement qu’on a décidé d’y refaire un tour.
On n’a pas attendu bien longtemps avant qu’un jeune ambulancier originaire d’Apollo Bay ne s’arrête pour nous inviter à monter dans sa voiture. Il allait rendre visite à ses parents pendant deux semaines avant de s’envoler pour l’Angleterre où il prévoit de s’installer avec sa copine.
Marshall → Kennett River
Cette minuscule bourgade à l’embouchure d’une petite rivière nous avait assez séduit Sophie et moi pour que nous décidions d’y passer la nuit. Les koalas y abondent toujours et nous avons même pu apercevoir des albatros depuis cette côte toujours aussi majestueuse.
La nouveauté c’est que le petit café à côté du camping vend des graines pour les oiseaux.
Le lendemain on n’est pas vraiment partis très tôt puisqu’il fallait encore attendre que les perruches viennent finir nos dernières graines. Mais sur la Great Ocean Road on n’attend jamais bien longtemps pour être pris en stop de toutes manières.
Très vite nous montons dans le van de location d’un jeune Suisse. Il avait prévu que ce soit sa copine, partie étudier à Melbourne il y a quatre mois, qui l’accompagne plutôt que nous mais bon, c’était sans compter le nouveau mec qu’elle a rencontré il y a deux mois…
Kennett River → Lavers Hill
On lui a tenu compagnie sur un petit bout de cette route jonchée de points de vue magnifiques. On a même fait un détour décevant vers le cap Otway, un attrape touriste sans intérêt, qui nous aura tout de même permis de secourir un très jeune échidné ! Le petit malheureux trottinait joyeusement le long de la route. Et les boules de piquants ne partagent pas seulement une ressemblance physique avec les hérissons de chez nous, ils finissent bien trop souvent leurs vies de la même manière.
Une fois le monotrème relâché un peu plus loin dans la forêt nous avons abandonné notre helvète à la buvette d’une station service. Il n’avait pas assez d’essence pour aller plus loin et celle-ci attendait d’être ravitaillée en carburant dans la journée.
Histoire de gagner du temps nous avons décidé de tendre le pouce en attendant et c’est comme ça que nous avons fini dans la voiture de Katherine et Isabelle.
Lavers Hill → The Twelve Apostles
Katherine, Australienne, et Isabelle, Française, se sont rencontrées via un site Internet qui propose à des inconnus de s’enseigner mutuellement leurs langues maternelles. Après plusieurs échanges via Skype, Isabelle avait décidé de rencontrer son amie Australienne en chair et en os et l’avait rejoint à Melbourne. Une promenade le long de la Great Ocean Road leur avait semblé une solution parfaite pour passer leur première journée ensemble.
Leur parcours devait se terminer à la formation rocheuse appelée les Twelve Apostles, l’équivalent Australiens de nos falaises d’Etretat. Mais Sophie et moi avions déjà vu le site et il ne mérite pas forcément deux visites. D’autant plus qu’il commençait à se faire tard, nous avons donc sauté dans le van d’une guide qui venait de finir son service.
Twelve Apostles → Port Campbell
La Great Ocean Road est certainement l’une des attractions touristiques les plus populaires de l’état du Victoria. De très nombreuses agences de Melbourne proposent des sorties à la journée, la plupart allant de Torquay aux Twelves Apostles. Plus à l’Ouest il n’y a plus assez d’intérêt pour prolonger le trajet, sauf l’hiver, lorsque les baleines sont visibles depuis la côte. Arrivés à Port Campbell, le trafic avait fortement diminué. Pendant une bonne heure un vieux toutou miteux adossé à la station service d’en face me fait des regards de chien battu et c’est lorsque je craque pour aller le papouiller que notre prochain chauffeur s’arrête. Je fais donc demi-tour en courant et laissant derrière moi un cabot tout penaud…
Port Campbell → Nullawarre
Un jeune barman belge et sa colocataire étudiante chinoise se payaient une virée de trois jours depuis Sydney, autant dire qu’ils n’avaient pas beaucoup dormi. C’est peut-être ce qui explique leur mauvais sens de l’orientation. Après avoir pas mal tourné en rond dans la campagne nous avons finalement été déposés un peu plus loin sur notre route.
Où un couple de Singapouriens s’est empressé de nous faire monter dans leur véhicule.
Nullawarre → Port Fairy
Nos citadins par défaut étaient visiblement ravis de nous ajouter à la liste des excentricités exotiques que leur offrait leur petite virée. Ils s’extasiaient devant les rues plantées d’arbres et s’émerveillaient de la hauteur des constructions australiennes, qui dans les campagnes n’excèdent quasiment jamais un rez-de-chaussée, tandis que la Marche Impériale résonnait avec force depuis les enceintes de la voiture de location.
Arrivé à Port Fairy nous commencions à nous demander si nos estimations de temps de trajet n’avaient pas été un peu optimistes… C’est peut-être pour ça que nous avons été peu regardant quant à l’état de notre chauffeur suivant.
Port Fairy → Fitzroy River Rest Area
Le jeune ouvrier du bâtiment qui s’est arrêté pour nous était très sympa mais aussi visiblement très fatigué. Or je suis en Australie depuis assez longtemps pour savoir qu’un jeune fatigué peut l’être pour des raisons légitimes tout aussi bien que suite à l’ingestion abusive de produits psychotropes. Mais bon il commençait à faire nuit, il ne nous restait plus beaucoup de route et surtout, il savait où se trouvait le camping où nous voulions nous rendre.
Parce que bien entendu pas nous… Sophie, qui est bien plus en phase avec notre temps que moi (je préfère cette tournure de phrase que d’assumer pleinement que je suis un vieux dinosaure qui peste sur les claviers tactiles), a téléchargé sur sa tablette une super application qui nous indique tous les campings les moins cher d’Australie. Le problème c’est que les informations les concernant, notamment les indications pour s’y rendre, sont laissées par les différents utilisateurs qui sont déjà passé par là. Et ça manque pas mal de précisions, d’autant plus que ce genre de camping ne se situent pas exactement à proximité immédiate des grands axes routiers…
Mais nous avons pu y arriver sans encombres avant que notre chauffeur ne s’endorme au volant et avons passé la nuit entourés de koalas, wallabies et phalangers.
Le lendemain nous sommes partis assez vite pour le village du coin dans la voiture d’une australienne qui se trimbalait trois énormes skateboards dans son coffre.
Fitzroy River Rest Area → Tyrrendarra
Un trajet un peu inutile puisqu’il était au final plus avantageux pour nous d’aller dans l’autre sens. Ce que nous offrit rapidement une habitante du village.
Tyrrendarra → Cape Bridgewater
Notre conductrice se tapait la route jusqu’à Portland pour apporter son déjeuner à sa fille au lycée. Mais au final elle s’est dit que puisqu’on était dans le coin il serait domage de ne pas en profiter pour se balader jusqu’au cap Bridgewater. Son mari bossait dans une maison située au départ de la randonnée et nous avons pu y laisser nos sacs.
La balade était très sympa et le cap marque une limite intéressante. Des colonies d’otaries à fourrures ponctuent le littoral mais elles n’abritent pas les mêmes espèces. À l’ouest du cap on ne trouve que des otaries à fourrures de Nouvelles-Zélande et à l’est seulement des otaries à fourrure d’Afrique du Sud. Très franchement il faut vraiment bien regarder pour voir une différence entre les différents tas de graisse vautrés sur les rochers mais c’est une bizarrerie remarquable.
Après avoir récupéré nos sacs et cassé la croute près de la plage où se tenaient des cours de surf, une jeune américaine et sa colocataire australienne se sont arrêtées pour nous faire monter dans leur voiture.
Cape Bridgewater → Mount Gambier
En repassant par Portland on jette un dernier regard par la fenêtre au port où mouillent plusieurs navires chargés de troncs de pins. En s’enfoncant dans les terres nous roulons justement pendant des dizaines de kilomètres à travers des plantations de pins à la superficie démesurée. Puis nous retrouvons les fameuses Plaines Occidentales du Victoria, mais nous ne verrons aucune grue, outarde ou oedicnème. L’aspect des plaines n’est pas sans rappeler les pâturages boisés de Roumanie, en plus plat. Vaches et moutons brouttent l’herbe déjà rase autour d’immenses eucalyptus dans un enchainement continu de clotures barbelées.
Après avoir passé la frontière entre l’état du Victoria et de l’Australie méridionale, les filles optent pour la route touristique du littoral mais Sophie et moi décidons de continuer à parcourir l’intérieur des terres. À Mount Gambier nous montons dans la voiture d’un couple de fermier.
Mount Gambier → Naracoorte
Le soleil est déjà assez bas lorsque nous atteignons cette minuscule ville au milieu de nul part mais assez vite une habitante s’arrête à notre niveau.
Naracoorte → Cockatoo Lake
Cette brave dame s’était arrêtée après avoir déposé son fils à son cours de hockey et se demandait si elle pouvait nous déposer à une supérette pour que nous y fassions nos courses. Mais lorsque nous lui avons annoncé que nous avions tout le nécessaire et que nous cherchions juste à nous rapprocher du lac Cockatoo, elle s’est joyeusement empressée de se proposer comme chauffeur. Le soleil se couchait sur l’étang tandis que notre charmante locale s’éloignait de notre camping perdu.
Le coin était superbe et très calme si ce n’était pour les phalangers qui se battaient bruyamment pour les bouts de courgettes que nous avions laissé tombés par terre.
Au petit matin nous avons compris d’où le lac tenait son nom. Le raffut des cacatoès nasiques, rosalbins et à huppes jaune valait bien tous les chants de coqs du monde. Une fois la tente rangée le fermier d’à côté nous a fait monter dans sa remorque.
Cockatoo Lake → Croisement de Dickenson Road et Riddock Highway.
Une fois sur la route principale il ne nous faudra pas longtemps pour que quelqu’un s’arrête.
Croisement de Dickenson Road et Riddock Highway → Padthaway
Notre nouveau chauffeur est un contractor, et vu l’expérience que j’ai de ce genre d’énergumènes j’ai forcément des à priori négatifs dès qu’il nous l’annonce. Il passe le trajet à nous raconter à quel point c’est bien de travailler pour lui tandis que nous longeons les vignobles où il envoie bosser les voyageurs qui font appel à ses services. Sophie me fait quand même justement remarquer que, contrairement à Don, notre chauffeur ne prétend pas avoir du boulot pour nous alors qu’il n’y en a pas en cette saison. Il nous laissera sa carte des fois que nous repassions dans le coin plus tard ou que nous croisions des voyageurs qui cherchent du travail dans la région.
Je suis en train de la ranger dans ma poche lorsque notre prochain chauffeur s’arrête.
Padthaway → Keith
Trois jeunes ouvrier agricoles, un Australien et deux Néo-Zélandais, qui rentrent de la tonte des moutons nous font avancer de plusieurs dizaines de kilomètres. Lorsqu’ils se sont arrêtés ils nous avait annoncé ne pouvoir nous avancer que jusqu’au prochain village. Mais en Australie ça fait tout de suite un petit paquet de bornes…
Le paysage a de nouveau laissé la part large au bush australien où pâturent par endroit des petits troupeaux de moutons.
Keith → Murraybridge
La route est maintenant une sorte d’autoroute, celle qui relie Melbourne à Adelaide, et notre chauffeur est un retraité qui bricole des combines pas très claires de revente de voiture d’occasion.
C’est aussi le long de cette route que nous recroisons le cours du Murray, le même fleuve qui coule au milieu de Mildura.
Murraybridge → Adelaide
L’étudiante australienne qui s’est arrêtée sur une bretelle d’autoroute pour nous faire monter dans sa voiture ne devait initialement aller que jusqu’à Stirling pour chercher des médicaments. Mais bon tant qu’à faire elle nous a conduit jusqu’au centre ville d’Adelaide.
À Adelaide nous avons passé le week-end chez Mark que nous connaissions via, je vous le donne dans le mille, le site Internet Couchsurfing. Un week-end bien plus sympa que nous nous y attendions au départ. Promenades sur la plage, en ville ou dans un canyon infesté de koalas, la plus grande ville d’Australie méridionale nous a facilement séduits.
Après nous être bien reposés c’est plein d’énergie que nous sommes montés dans un train de banlieue vers le nord.
Adelaide → Salisbury Interchange (puis bus jusqu’au croisement de Waterloo Corner et Wakefield Road) → Port Wakefield
Nous quitterons la banlieue d’Adelaide dans la voiture de deux jeunes iraniens qui partent bosser dans une boucherie industrielle. Le trajet se fera dans un paysage assez désertique couvert d’herbes hautes et de buissons que se partagent quelques rares moutons et émeus, pendant que nos chauffeurs nous font faire des questionnaires débiles sur leur tablette. Ils nous apprennent aussi que l’équipe de foot de Bordeaux (d’où est originaire Sophie) a battu celle de Paris, ce qui nous fait tous bien marrer.
Port Wakefield → Croisement de Princes Highway et Horrocks Pass Road
Notre chauffeur est un père de famille australien qui part bosser dans la ville minière de Whyalla. Sur le trajet nous passons par Snowtown, rendue célèbre par John Bunting, le Landru local. Il assassinait des personnes âgées puis cachait les cadavres dans le coffre-fort d’une banque désaffectée qu’il avait acheté à Snowtown et touchait leurs pensions. Notre chauffeur en profite pour nous annoncer en rigolant que l’état de l’Australie méridionale a le taux le plus élevé de tueurs en série par habitants de la planète.
Les histoires de psychopathes sont très populaires en Australie et avec Sophie nous ne comptons plus le nombre de chauffeurs qui, après nous avoir pris en stop, ne pouvaient se retenir d’évoquer le célèbre film d’horreur Australien « Wolf Creek » très librement inspiré des meurtres perpétrés par Ivan « The backpacker Murderer » Milat, qui ciblait des auto-stoppeurs.
Croisement de Princes Highway et Horrocks Pass Road → Melrose
Un employé de banque en déplacement de ferme en ferme nous déposera au centre de ce bled qui borde le parc national de Mount Remarkable. La ville a été fondée au milieu du dix-neuvième siècle alors que la colonisation de la région par les fermiers européens et australiens battait son plein. Puis l’histoire classique des patelins de l’île continent a suivit son bonhomme de chemin, conflit avec les aborigènes locaux, prospection minière dans la chaine des Flinders voisine, industrialisation et exode rurale. Le village n’est plus que l’ombre de ce qu’il était et n’existe encore sur les cartes que parce que les citadins d’Adelaide y passent leurs week-ends et vacances à la campagne.
Après une nuit sur place nous nous sommes payés l’ascension du mont Remarkable. Une balade très chouette jusqu’au sommet qui culmine à neuf cent quatre-vingt cinq mètres d’altitude.
Quitter ce patelin n’aura pas été une mince affaire. Après deux heures d’attente une fermière qui allait chercher sa fille dans la ville d’à côté (vingt kilomètres) nous à sortit de notre misère.
Melrose → Wilmington
Arrivés dans une ville un peu plus importante il nous aura quand même fallu une bonne heure de plus pour enfin pouvoir quitter la région.
Wilmington → Port Augusta
Suzanne vit avec son mari et leur troisième fille dans une ville fantôme au cœur des plaines de Willochra. Après huit ans à y retaper une vieille baraque, le couple s’est installé dans le patelin abandonné depuis des années par les fermiers. Suzanne conduit jusqu’à Port Augusta tous les jours pour aller travailler au Woolworth de cette ville portuaire qui sert d’aiguillage ferroviaire et routier entre l’Australie méridionale, Occidentale et le territoire du Nord. C’est là qu’elle nous déposera et que nous tendrons le pouce au départ de l’Eyre Highway pendant trois heures.
Port Augusta → Kimba
Si nous avons attendu aussi longtemps c’est que peu de monde s’aventure à l’Ouest de Port Augusta passé quatre heure de l’après-midi, à l’exception des road trains. Celui qui nous à fait monter à bord de son monstre de métal au coucher du soleil écoute des audio books de Tom Clancy pour l’aider à rester éveillé dans la solitude du routier le long des lignes droites qui traversent les immensités désertiques de l’Australie.
Les road trains sont les rois de l’Eyre Highway. Trainant derrière eux deux à trois remorques, ces camions lancés à cent kilomètres par heure ne s’arrêtent pour quasiment rien, en témoignent les cadavres de marsupiaux qui jonchent le bord de la route.
Si depuis Adelaide la distance qui sépare chaque agglomération s’agrandit, au Nord de la Péninsule d’Eyre ce sont centaines de kilomètres de pâturages et champs céréaliers qui s’étendent entre chaque villages. Le plus remarquable d’entre eux est la ville champignon d’Iron Knob, qui a vu le jour lorsqu’un gisement de minerai de fer a été trouvé dans le sol de la région et qui disparaitra lorsque celui ci sera épuisé.
Au final notre carrosse nous déposera au pied du cacatoès rosalbin géant qui trône au milieu de Kimba, qui se vante d’être située exactement à mi chemin des côtes orientales et occidentales du pays.
Le lendemain nous n’attendrons pas longtemps avant que Daniel et sa sœur Rachel ne s’arrêtent pour nous faire un peu de place dans leur voiture.
Kimba → Bunda Cliff Lookout (2)
Faire du stop le long de l’Eyre Highway est incroyablement efficace. Tous les chauffeurs qui s’aventurent sur les milliers de kilomètres d’asphalte qui longent la côte Sud du continent sont ravis à l’idée d’ajouter un peu d’imprévu et de compagnie à la monotonie de leur voyage.
Daniel est un ouvrier agricole qui a l’habitude de ce long trajet mais ce coup ci c’est pour un anniversaire qu’il se rend à Esperance.
Le reste de la péninsule d’Eyre, jusqu’à la ville ostréicultrice de Ceduna, est similaire en aspect à la moitié que nous avions déjà parcouru. S’ensuit une grosse centaine de kilomètres de champs céréaliers où apparaissent très rarement de petits hameaux. Nous traversons parfois des sections envahies d’une fumée blanchâtre parfumée d’une odeur de paille brulée. Le feu est un sujet sensible en Australie où les incendies font régulièrement d’immenses ravages. Les fermiers profitent des journées sans vent pour brûler les lignes de paille qui témoignent des fauches récentes.
Et puis d’un coup le paysage se transforme radicalement pour laisser la place à la forêt d’eucalyptus qu’on appelle ici le bush. Le bush couvrait originellement la quasi totalité des terres que nous avons parcouru depuis Melbourne et c’est la colonisation européenne qui a transformé l’aspect de ces régions. Si après notre longue route les champs cèdent à nouveau la place à la forêt c’est parce que les terres nous entourent sont celles cédées aux aborigènes tel d’hypocrites cadeaux. En Australie la plupart des terres dénuées d’intérêts commerciaux pour la société capitaliste sont réservés aux aborigènes et leur accès est très réglementé. Le sujet des aborigènes d’Australie est très complexe et peut-être aurais-je un jour le courage de vous en dire plus. Pour l’instant sachez juste que le vingt-six janvier dernier, fête nationale du pays qui célèbre l’arrivée des premiers européens sur le territoire australien, j’ai participé à une de ces nombreuses marches que des aborigènes organisent pour exprimer leur mécontentement et leur frustration. Des manifestations qui pour eux commémorent ce qu’ils appellent l’« Invasion Day »…
Il nous faudra encore rouler sur des centaines de kilomètres pour atteindre les plaines de Nullarbor, du latin nullus (nul) et arbor (arbres). Un immense plateau qui surplombe la Grande Baie Australienne à une centaine de mètres au dessus du niveau de la mer. Le paysage est une steppe parsemée de petits buissons et d’herbes hautes. Le climat est sec et lorsqu’un orage frappe la région il engendre de rapides inondations qui disparaissent aussi vite qu’elles sont venues. À l’exception des rares roadhouses qui s’enchainent le long de la route, personne ne vit dans ce qui a tout naturellement été classé comme parc National.
Nous abandonnons nos compagnons de voyage au niveau des points de vue qui surplombent les falaises Bunda pour planter notre tente avant que le soleil ne se couche.
Si la chaude journée ne permet pas d’observer beaucoup d’animaux les nuits dans le Nullarbor sont plus animés et le faisceau de ma lampe frontale alterne entre scorpions et geckos.
Le lendemain matin je cours après les mérions leucoptères tandis que Sophie incite un nouveau road train a s’arrêter pour nous.
Bunda Cliff Lookout (2) → Fraser Range Designated Rest Area
Chris fait régulièrement la route avec son camion entre Melbourne et Perth. Ce qui s’avèrera utile lorsque nous passerons le poste frontière entre l’Australie méridionale et Occidentale. Le poste a pour fonction de contrôler qu’aucun fruit ou légume non déclaré ne passent d’un état à l’autre. Une mesure de biosécurité courante dans ce pays qui souffre lourdement des menaces que constituent les espèces animales ou végétales invasives ainsi que les maladies exotiques qui touchent le bétail ou les cultures.
Tandis que nous patientons, les méliphages à cou jaune viennent nettoyer le camion des cadavres d’insectes que sont collés sur l’avant du véhicule. Un échange de banalités amicales entre Chris et le nouvel employé chargé du contrôle des bagages et véhicules nous épargnera la longue fouille imposée au commun des voyageurs.
Une dizaine de kilomètres plus loin nous passons à proximité du village d’Eucla, un petit regroupement de maisons en taule qui semble être un mirage tellement rien ne justifie que des gens se soit installés aussi loin de tout.
Le paysage restera magnifique mais monotone sur des centaines de kilomètres jusqu’à ce que nous descendions du plateau pour redescendre en plaine. Là les eucalyptus refont leur apparition très progressivement tandis que nous traversons des propriétés de plusieurs milliers d’hectares regroupant des dizaines de millier de têtes de bétails que les fermiers regroupent à l’aide d’hélicoptère. Nous ne verrons aucune vache mais les nombreux cadavres de kangourous attirent les superbes aigles d’Australie qui s’envolent lourdement à notre passage.
Par endroit la route s’élargit et nous cheminons sur une piste d’aviation d’urgence utilisée par les secours médicaux lors de situations exceptionnelles. Une portion de la route se targue également d’être la plus longue ligne droite d’Australie, cent quarante six kilomètres et six cent mètres sans un virage.
Nous décidons de finir cette longue journée de route en plantant la tente près d’un étang salé asséché. Se dégourdir les jambes au milieu des eucalyptus salubris fait un bien fou et entendre chanter les oiseaux après le silence du Nullarbor est très agréable.
Fraser Range Designated Rest Area → Esperance
Le lendemain nous n’avons pas à attendre longtemps avant que Glenn « Bundy » ne nous fasse monter dans son camion citerne aux trois remorques. Derrière ce pseudonyme qui n’est pas sans rappeler le célèbre tueur en série américain Ted Bundy se cache une des légendes de l’Eyre Highway. Glenn a passé les trente cinq dernières années à ravitailler en essence les roadhouses de Cokclebilly à Norseman. Les roadhouses sont quasiment les seules distractions de l’Eyre Highway. Si la plupart des road trains peuvent se farcir la traversée sans avoir à refaire le plein, les plus petits véhicules ne pourraient pas s’offrir un tel voyage sans l’aide de ces étapes pittoresques. Cumulant les fonctions de stations services, motel, restaurant, pub et camping, chaque roadhouse est une sorte d’attraction touristique à elle toute seule. Chacune d’entre elles étant généralement espacée d’une centaine de kilomètre, il est assez important de ne pas les rater. Notre légende papote à l’aide de sa radio avec chaque routier que nous croisons alors que son immense poids lourd traverse les Great Western Woodlands, une immense étendue de climat méditerranéen où s’enchainent bush, garrigues et étangs salés asséchés.
Plus nous approchons des plus belles plages d’Australie et plus les champs et le bétail se font présent.