Archive for mars, 2015

La nymphe du Nullarbor

20 mars

Lara → Marshall

Mine de rien Lara c’est un peu un bled paumé et pour sortir de l’agglomération de Melbourne en stop, il vaut mieux commencer par s’éloigner en train. C’est le moyen de transport que Sophie et moi avons choisi pour démarrer notre voyage, mais même si il n’y en a qu’un par heure, on a bien failli le rater.

Arrivés dans la ville de banlieue typique qu’est Marshall, nous n’avons pas eu beaucoup de marche à faire pour rejoindre la route qui marque le début de la Great Ocean Road. Vous vous rappelez ? Cette route que j’avais déjà pris il y a cinq ans lors de mon excursion au pays des kangourous. Sophie aussi s’y était déjà rendue mais elle nous plait tellement qu’on a décidé d’y refaire un tour.

On n’a pas attendu bien longtemps avant qu’un jeune ambulancier originaire d’Apollo Bay ne s’arrête pour nous inviter à monter dans sa voiture. Il allait rendre visite à ses parents pendant deux semaines avant de s’envoler pour l’Angleterre où il prévoit de s’installer avec sa copine.

Marshall → Kennett River

Cette minuscule bourgade à l’embouchure d’une petite rivière nous avait assez séduit Sophie et moi pour que nous décidions d’y passer la nuit. Les koalas y abondent toujours et nous avons même pu apercevoir des albatros depuis cette côte toujours aussi majestueuse.

La nouveauté c’est que le petit café à côté du camping vend des graines pour les oiseaux.

LES OISEAUX !

LES OISEAUX !

Le lendemain on n’est pas vraiment partis très tôt puisqu’il fallait encore attendre que les perruches viennent finir nos dernières graines. Mais sur la Great Ocean Road on n’attend jamais bien longtemps pour être pris en stop de toutes manières.

Très vite nous montons dans le van de location d’un jeune Suisse. Il avait prévu que ce soit sa copine, partie étudier à Melbourne il y a quatre mois, qui l’accompagne plutôt que nous mais bon, c’était sans compter le nouveau mec qu’elle a rencontré il y a deux mois…

Kennett River → Lavers Hill

On lui a tenu compagnie sur un petit bout de cette route jonchée de points de vue magnifiques. On a même fait un détour décevant vers le cap Otway, un attrape touriste sans intérêt, qui nous aura tout de même permis de secourir un très jeune échidné ! Le petit malheureux trottinait joyeusement le long de la route. Et les boules de piquants ne partagent pas seulement une ressemblance physique avec les hérissons de chez nous, ils finissent bien trop souvent leurs vies de la même manière.

Une fois le monotrème relâché un peu plus loin dans la forêt nous avons abandonné notre helvète à la buvette d’une station service. Il n’avait pas assez d’essence pour aller plus loin et celle-ci attendait d’être ravitaillée en carburant dans la journée.

Histoire de gagner du temps nous avons décidé de tendre le pouce en attendant et c’est comme ça que nous avons fini dans la voiture de Katherine et Isabelle.

Lavers Hill → The Twelve Apostles

Katherine, Australienne, et Isabelle, Française, se sont rencontrées via un site Internet qui propose à des inconnus de s’enseigner mutuellement leurs langues maternelles. Après plusieurs échanges via Skype, Isabelle avait décidé de rencontrer son amie Australienne en chair et en os et l’avait rejoint à Melbourne. Une promenade le long de la Great Ocean Road leur avait semblé une solution parfaite pour passer leur première journée ensemble.

Avec arrêt à la plage.

Avec arrêt à la plage.

Leur parcours devait se terminer à la formation rocheuse appelée les Twelve Apostles, l’équivalent Australiens de nos falaises d’Etretat. Mais Sophie et moi avions déjà vu le site et il ne mérite pas forcément deux visites. D’autant plus qu’il commençait à se faire tard, nous avons donc sauté dans le van d’une guide qui venait de finir son service.

Twelve Apostles → Port Campbell

La Great Ocean Road est certainement l’une des attractions touristiques les plus populaires de l’état du Victoria. De très nombreuses agences de Melbourne proposent des sorties à la journée, la plupart allant de Torquay aux Twelves Apostles. Plus à l’Ouest il n’y a plus assez d’intérêt pour prolonger le trajet, sauf l’hiver, lorsque les baleines sont visibles depuis la côte. Arrivés à Port Campbell, le trafic avait fortement diminué. Pendant une bonne heure un vieux toutou miteux adossé à la station service d’en face me fait des regards de chien battu et c’est lorsque je craque pour aller le papouiller que notre prochain chauffeur s’arrête. Je fais donc demi-tour en courant et laissant derrière moi un cabot tout penaud…

Port Campbell → Nullawarre

Un jeune barman belge et sa colocataire étudiante chinoise se payaient une virée de trois jours depuis Sydney, autant dire qu’ils n’avaient pas beaucoup dormi. C’est peut-être ce qui explique leur mauvais sens de l’orientation. Après avoir pas mal tourné en rond dans la campagne nous avons finalement été déposés un peu plus loin sur notre route.

Salut, on est au Nullaware.

Salut, on est au Nullaware.

Où un couple de Singapouriens s’est empressé de nous faire monter dans leur véhicule.

Nullawarre → Port Fairy

Nos citadins par défaut étaient visiblement ravis de nous ajouter à la liste des excentricités exotiques que leur offrait leur petite virée. Ils s’extasiaient devant les rues plantées d’arbres et s’émerveillaient de la hauteur des constructions australiennes, qui dans les campagnes n’excèdent quasiment jamais un rez-de-chaussée, tandis que la Marche Impériale résonnait avec force depuis les enceintes de la voiture de location.

Arrivé à Port Fairy nous commencions à nous demander si nos estimations de temps de trajet n’avaient pas été un peu optimistes… C’est peut-être pour ça que nous avons été peu regardant quant à l’état de notre chauffeur suivant.

Port Fairy → Fitzroy River Rest Area

Le jeune ouvrier du bâtiment qui s’est arrêté pour nous était très sympa mais aussi visiblement très fatigué. Or je suis en Australie depuis assez longtemps pour savoir qu’un jeune fatigué peut l’être pour des raisons légitimes tout aussi bien que suite à l’ingestion abusive de produits psychotropes. Mais bon il commençait à faire nuit, il ne nous restait plus beaucoup de route et surtout, il savait où se trouvait le camping où nous voulions nous rendre.

Parce que bien entendu pas nous… Sophie, qui est bien plus en phase avec notre temps que moi (je préfère cette tournure de phrase que d’assumer pleinement que je suis un vieux dinosaure qui peste sur les claviers tactiles), a téléchargé sur sa tablette une super application qui nous indique tous les campings les moins cher d’Australie. Le problème c’est que les informations les concernant, notamment les indications pour s’y rendre, sont laissées par les différents utilisateurs qui sont déjà passé par là. Et ça manque pas mal de précisions, d’autant plus que ce genre de camping ne se situent pas exactement à proximité immédiate des grands axes routiers…

Mais nous avons pu y arriver sans encombres avant que notre chauffeur ne s’endorme au volant et avons passé la nuit entourés de koalas, wallabies et phalangers.

Le lendemain nous sommes partis assez vite pour le village du coin dans la voiture d’une australienne qui se trimbalait trois énormes skateboards dans son coffre.

Fitzroy River Rest Area → Tyrrendarra

Un trajet un peu inutile puisqu’il était au final plus avantageux pour nous d’aller dans l’autre sens. Ce que nous offrit rapidement une habitante du village.

Tyrrendarra → Cape Bridgewater

Notre conductrice se tapait la route jusqu’à Portland pour apporter son déjeuner à sa fille au lycée. Mais au final elle s’est dit que puisqu’on était dans le coin il serait domage de ne pas en profiter pour se balader jusqu’au cap Bridgewater. Son mari bossait dans une maison située au départ de la randonnée et nous avons pu y laisser nos sacs.

La balade était très sympa et le cap marque une limite intéressante. Des colonies d’otaries à fourrures ponctuent le littoral mais elles n’abritent pas les mêmes espèces. À l’ouest du cap on ne trouve que des otaries à fourrures de Nouvelles-Zélande et à l’est seulement des otaries à fourrure d’Afrique du Sud. Très franchement il faut vraiment bien regarder pour voir une différence entre les différents tas de graisse vautrés sur les rochers mais c’est une bizarrerie remarquable.

Et puis ça faisait longtemps qu'on n'avait plus parlé d'otaries sur ce blog.

Et puis ça faisait longtemps qu’on n’avait plus parlé d’otaries sur ce blog.

Après avoir récupéré nos sacs et cassé la croute près de la plage où se tenaient des cours de surf, une jeune américaine et sa colocataire australienne se sont arrêtées pour nous faire monter dans leur voiture.

Cape Bridgewater → Mount Gambier

En repassant par Portland on jette un dernier regard par la fenêtre au port où mouillent plusieurs navires chargés de troncs de pins. En s’enfoncant dans les terres nous roulons justement pendant des dizaines de kilomètres à travers des plantations de pins à la superficie démesurée. Puis nous retrouvons les fameuses Plaines Occidentales du Victoria, mais nous ne verrons aucune grue, outarde ou oedicnème. L’aspect des plaines n’est pas sans rappeler les pâturages boisés de Roumanie, en plus plat. Vaches et moutons brouttent l’herbe déjà rase autour d’immenses eucalyptus dans un enchainement continu de clotures barbelées.

Après avoir passé la frontière entre l’état du Victoria et de l’Australie méridionale, les filles optent pour la route touristique du littoral mais Sophie et moi décidons de continuer à parcourir l’intérieur des terres. À Mount Gambier nous montons dans la voiture d’un couple de fermier.

Mount Gambier → Naracoorte

Le soleil est déjà assez bas lorsque nous atteignons cette minuscule ville au milieu de nul part mais assez vite une habitante s’arrête à notre niveau.

Naracoorte → Cockatoo Lake

Cette brave dame s’était arrêtée après avoir déposé son fils à son cours de hockey et se demandait si elle pouvait nous déposer à une supérette pour que nous y fassions nos courses. Mais lorsque nous lui avons annoncé que nous avions tout le nécessaire et que nous cherchions juste à nous rapprocher du lac Cockatoo, elle s’est joyeusement empressée de se proposer comme chauffeur. Le soleil se couchait sur l’étang tandis que notre charmante locale s’éloignait de notre camping perdu.

Le coin était superbe et très calme si ce n’était pour les phalangers qui se battaient bruyamment pour les bouts de courgettes que nous avions laissé tombés par terre.

Ça rend téméraire les courgettes.

Ça rend téméraire les courgettes.

Au petit matin nous avons compris d’où le lac tenait son nom. Le raffut des cacatoès nasiques, rosalbins et à huppes jaune valait bien tous les chants de coqs du monde. Une fois la tente rangée le fermier d’à côté nous a fait monter dans sa remorque.

Cockatoo Lake → Croisement de Dickenson Road et Riddock Highway.

Une fois sur la route principale il ne nous faudra pas longtemps pour que quelqu’un s’arrête.

Croisement de Dickenson Road et Riddock Highway → Padthaway

Notre nouveau chauffeur est un contractor, et vu l’expérience que j’ai de ce genre d’énergumènes j’ai forcément des à priori négatifs dès qu’il nous l’annonce. Il passe le trajet à nous raconter à quel point c’est bien de travailler pour lui tandis que nous longeons les vignobles où il envoie bosser les voyageurs qui font appel à ses services. Sophie me fait quand même justement remarquer que, contrairement à Don, notre chauffeur ne prétend pas avoir du boulot pour nous alors qu’il n’y en a pas en cette saison. Il nous laissera sa carte des fois que nous repassions dans le coin plus tard ou que nous croisions des voyageurs qui cherchent du travail dans la région.

Je suis en train de la ranger dans ma poche lorsque notre prochain chauffeur s’arrête.

Padthaway → Keith

Trois jeunes ouvrier agricoles, un Australien et deux Néo-Zélandais, qui rentrent de la tonte des moutons nous font avancer de plusieurs dizaines de kilomètres. Lorsqu’ils se sont arrêtés ils nous avait annoncé ne pouvoir nous avancer que jusqu’au prochain village. Mais en Australie ça fait tout de suite un petit paquet de bornes…

Le paysage a de nouveau laissé la part large au bush australien où pâturent par endroit des petits troupeaux de moutons.

Keith → Murraybridge

La route est maintenant une sorte d’autoroute, celle qui relie Melbourne à Adelaide, et notre chauffeur est un retraité qui bricole des combines pas très claires de revente de voiture d’occasion.

C’est aussi le long de cette route que nous recroisons le cours du Murray, le même fleuve qui coule au milieu de Mildura.

Murraybridge → Adelaide

L’étudiante australienne qui s’est arrêtée sur une bretelle d’autoroute pour nous faire monter dans sa voiture ne devait initialement aller que jusqu’à Stirling pour chercher des médicaments. Mais bon tant qu’à faire elle nous a conduit jusqu’au centre ville d’Adelaide.

Et ses œuvres d'art qui valent bien le Manneken pis.

Et ses œuvres d’art qui valent bien le Manneken pis.

À Adelaide nous avons passé le week-end chez Mark que nous connaissions via, je vous le donne dans le mille, le site Internet Couchsurfing. Un week-end bien plus sympa que nous nous y attendions au départ. Promenades sur la plage, en ville ou dans un canyon infesté de koalas, la plus grande ville d’Australie méridionale nous a facilement séduits.

Après nous être bien reposés c’est plein d’énergie que nous sommes montés dans un train de banlieue vers le nord.

Adelaide → Salisbury Interchange (puis bus jusqu’au croisement de Waterloo Corner et Wakefield Road) → Port Wakefield

Nous quitterons la banlieue d’Adelaide dans la voiture de deux jeunes iraniens qui partent bosser dans une boucherie industrielle. Le trajet se fera dans un paysage assez désertique couvert d’herbes hautes et de buissons que se partagent quelques rares moutons et émeus, pendant que nos chauffeurs nous font faire des questionnaires débiles sur leur tablette. Ils nous apprennent aussi que l’équipe de foot de Bordeaux (d’où est originaire Sophie) a battu celle de Paris, ce qui nous fait tous bien marrer.

Port Wakefield → Croisement de Princes Highway et Horrocks Pass Road

Notre chauffeur est un père de famille australien qui part bosser dans la ville minière de Whyalla. Sur le trajet nous passons par Snowtown, rendue célèbre par John Bunting, le Landru local. Il assassinait des personnes âgées puis cachait les cadavres dans le coffre-fort d’une banque désaffectée qu’il avait acheté à Snowtown et touchait leurs pensions. Notre chauffeur en profite pour nous annoncer en rigolant que l’état de l’Australie méridionale a le taux le plus élevé de tueurs en série par habitants de la planète.

Les histoires de psychopathes sont très populaires en Australie et avec Sophie nous ne comptons plus le nombre de chauffeurs qui, après nous avoir pris en stop, ne pouvaient se retenir d’évoquer le célèbre film d’horreur Australien « Wolf Creek » très librement inspiré des meurtres perpétrés par Ivan « The backpacker Murderer » Milat, qui ciblait des auto-stoppeurs.

Croisement de Princes Highway et Horrocks Pass Road → Melrose

Un employé de banque en déplacement de ferme en ferme nous déposera au centre de ce bled qui borde le parc national de Mount Remarkable. La ville a été fondée au milieu du dix-neuvième siècle alors que la colonisation de la région par les fermiers européens et australiens battait son plein. Puis l’histoire classique des patelins de l’île continent a suivit son bonhomme de chemin, conflit avec les aborigènes locaux, prospection minière dans la chaine des Flinders voisine, industrialisation et exode rurale. Le village n’est plus que l’ombre de ce qu’il était et n’existe encore sur les cartes que parce que les citadins d’Adelaide y passent leurs week-ends et vacances à la campagne.

Après une nuit sur place nous nous sommes payés l’ascension du mont Remarkable. Une balade très chouette jusqu’au sommet qui culmine à neuf cent quatre-vingt cinq mètres d’altitude.

Ce qui n'est pas si mal pour l'Australie.

Ce qui n’est pas si mal pour l’Australie.

Quitter ce patelin n’aura pas été une mince affaire. Après deux heures d’attente une fermière qui allait chercher sa fille dans la ville d’à côté (vingt kilomètres) nous à sortit de notre misère.

Melrose → Wilmington

Arrivés dans une ville un peu plus importante il nous aura quand même fallu une bonne heure de plus pour enfin pouvoir quitter la région.

Wilmington → Port Augusta

Suzanne vit avec son mari et leur troisième fille dans une ville fantôme au cœur des plaines de Willochra. Après huit ans à y retaper une vieille baraque, le couple s’est installé dans le patelin abandonné depuis des années par les fermiers. Suzanne conduit jusqu’à Port Augusta tous les jours pour aller travailler au Woolworth de cette ville portuaire qui sert d’aiguillage ferroviaire et routier entre l’Australie méridionale, Occidentale et le territoire du Nord. C’est là qu’elle nous déposera et que nous tendrons le pouce au départ de l’Eyre Highway pendant trois heures.

Port Augusta → Kimba

Si nous avons attendu aussi longtemps c’est que peu de monde s’aventure à l’Ouest de Port Augusta passé quatre heure de l’après-midi, à l’exception des road trains. Celui qui nous à fait monter à bord de son monstre de métal au coucher du soleil écoute des audio books de Tom Clancy pour l’aider à rester éveillé dans la solitude du routier le long des lignes droites qui traversent les immensités désertiques de l’Australie.

Tout vient à point à qui sait attendre.

Tout vient à point à qui sait attendre.

Les road trains sont les rois de l’Eyre Highway. Trainant derrière eux deux à trois remorques, ces camions lancés à cent kilomètres par heure ne s’arrêtent pour quasiment rien, en témoignent les cadavres de marsupiaux qui jonchent le bord de la route.

Si depuis Adelaide la distance qui sépare chaque agglomération s’agrandit, au Nord de la Péninsule d’Eyre ce sont centaines de kilomètres de pâturages et champs céréaliers qui s’étendent entre chaque villages. Le plus remarquable d’entre eux est la ville champignon d’Iron Knob, qui a vu le jour lorsqu’un gisement de minerai de fer a été trouvé dans le sol de la région et qui disparaitra lorsque celui ci sera épuisé.

Au final notre carrosse nous déposera au pied du cacatoès rosalbin géant qui trône au milieu de Kimba, qui se vante d’être située exactement à mi chemin des côtes orientales et occidentales du pays.

Le lendemain nous n’attendrons pas longtemps avant que Daniel et sa sœur Rachel ne s’arrêtent pour nous faire un peu de place dans leur voiture.

Kimba → Bunda Cliff Lookout (2)

Faire du stop le long de l’Eyre Highway est incroyablement efficace. Tous les chauffeurs qui s’aventurent sur les milliers de kilomètres d’asphalte qui longent la côte Sud du continent sont ravis à l’idée d’ajouter un peu d’imprévu et de compagnie à la monotonie de leur voyage.

Daniel est un ouvrier agricole qui a l’habitude de ce long trajet mais ce coup ci c’est pour un anniversaire qu’il se rend à Esperance.

Le reste de la péninsule d’Eyre, jusqu’à la ville ostréicultrice de Ceduna, est similaire en aspect à la moitié que nous avions déjà parcouru. S’ensuit une grosse centaine de kilomètres de champs céréaliers où apparaissent très rarement de petits hameaux. Nous traversons parfois des sections envahies d’une fumée blanchâtre parfumée d’une odeur de paille brulée. Le feu est un sujet sensible en Australie où les incendies font régulièrement d’immenses ravages. Les fermiers profitent des journées sans vent pour brûler les lignes de paille qui témoignent des fauches récentes.

Et puis d’un coup le paysage se transforme radicalement pour laisser la place à la forêt d’eucalyptus qu’on appelle ici le bush. Le bush couvrait originellement la quasi totalité des terres que nous avons parcouru depuis Melbourne et c’est la colonisation européenne qui a transformé l’aspect de ces régions. Si après notre longue route les champs cèdent à nouveau la place à la forêt c’est parce que les terres nous entourent sont celles cédées aux aborigènes tel d’hypocrites cadeaux. En Australie la plupart des terres dénuées d’intérêts commerciaux pour la société capitaliste sont réservés aux aborigènes et leur accès est très réglementé. Le sujet des aborigènes d’Australie est très complexe et peut-être aurais-je un jour le courage de vous en dire plus. Pour l’instant sachez juste que le vingt-six janvier dernier, fête nationale du pays qui célèbre l’arrivée des premiers européens sur le territoire australien, j’ai participé à une de ces nombreuses marches que des aborigènes organisent pour exprimer leur mécontentement et leur frustration. Des manifestations qui pour eux commémorent ce qu’ils appellent l’« Invasion Day »…

Crise d'identité.

Crise d’identité.

Il nous faudra encore rouler sur des centaines de kilomètres pour atteindre les plaines de Nullarbor, du latin nullus (nul) et arbor (arbres). Un immense plateau qui surplombe la Grande Baie Australienne à une centaine de mètres au dessus du niveau de la mer. Le paysage est une steppe parsemée de petits buissons et d’herbes hautes. Le climat est sec et lorsqu’un orage frappe la région il engendre de rapides inondations qui disparaissent aussi vite qu’elles sont venues. À l’exception des rares roadhouses qui s’enchainent le long de la route, personne ne vit dans ce qui a tout naturellement été classé comme parc National.

Nous abandonnons nos compagnons de voyage au niveau des points de vue qui surplombent les falaises Bunda pour planter notre tente avant que le soleil ne se couche.

Si la chaude journée ne permet pas d’observer beaucoup d’animaux les nuits dans le Nullarbor sont plus animés et le faisceau de ma lampe frontale alterne entre scorpions et geckos.

Glop

Glop

Pas Glop

Pas Glop

Le lendemain matin je cours après les mérions leucoptères tandis que Sophie incite un nouveau road train a s’arrêter pour nous.

On va aller loin tiens...

On va aller loin tiens…

Bunda Cliff Lookout (2) → Fraser Range Designated Rest Area

Chris fait régulièrement la route avec son camion entre Melbourne et Perth. Ce qui s’avèrera utile lorsque nous passerons le poste frontière entre l’Australie méridionale et Occidentale. Le poste a pour fonction de contrôler qu’aucun fruit ou légume non déclaré ne passent d’un état à l’autre. Une mesure de biosécurité courante dans ce pays qui souffre lourdement des menaces que constituent les espèces animales ou végétales invasives ainsi que les maladies exotiques qui touchent le bétail ou les cultures.

Tandis que nous patientons, les méliphages à cou jaune viennent nettoyer le camion des cadavres d’insectes que sont collés sur l’avant du véhicule. Un échange de banalités amicales entre Chris et le nouvel employé chargé du contrôle des bagages et véhicules nous épargnera la longue fouille imposée au commun des voyageurs.

Une dizaine de kilomètres plus loin nous passons à proximité du village d’Eucla, un petit regroupement de maisons en taule qui semble être un mirage tellement rien ne justifie que des gens se soit installés aussi loin de tout.

Le paysage restera magnifique mais monotone sur des centaines de kilomètres jusqu’à ce que nous descendions du plateau pour redescendre en plaine. Là les eucalyptus refont leur apparition très progressivement tandis que nous traversons des propriétés de plusieurs milliers d’hectares regroupant des dizaines de millier de têtes de bétails que les fermiers regroupent à l’aide d’hélicoptère. Nous ne verrons aucune vache mais les nombreux cadavres de kangourous attirent les superbes aigles d’Australie qui s’envolent lourdement à notre passage.

Par endroit la route s’élargit et nous cheminons sur une piste d’aviation d’urgence utilisée par les secours médicaux lors de situations exceptionnelles. Une portion de la route se targue également d’être la plus longue ligne droite d’Australie, cent quarante six kilomètres et six cent mètres sans un virage.

Et vous trouviez l'autoroute de l'Est ennuyeux ?

Et vous trouviez l’autoroute de l’Est ennuyeux ?

Nous décidons de finir cette longue journée de route en plantant la tente près d’un étang salé asséché. Se dégourdir les jambes au milieu des eucalyptus salubris fait un bien fou et entendre chanter les oiseaux après le silence du Nullarbor est très agréable.

Fraser Range Designated Rest Area → Esperance

Le lendemain nous n’avons pas à attendre longtemps avant que Glenn « Bundy » ne nous fasse monter dans son camion citerne aux trois remorques. Derrière ce pseudonyme qui n’est pas sans rappeler le célèbre tueur en série américain Ted Bundy se cache une des légendes de l’Eyre Highway. Glenn a passé les trente cinq dernières années à ravitailler en essence les roadhouses de Cokclebilly à Norseman. Les roadhouses sont quasiment les seules distractions de l’Eyre Highway. Si la plupart des road trains peuvent se farcir la traversée sans avoir à refaire le plein, les plus petits véhicules ne pourraient pas s’offrir un tel voyage sans l’aide de ces étapes pittoresques. Cumulant les fonctions de stations services, motel, restaurant, pub et camping, chaque roadhouse est une sorte d’attraction touristique à elle toute seule. Chacune d’entre elles étant généralement espacée d’une centaine de kilomètre, il est assez important de ne pas les rater. Notre légende papote à l’aide de sa radio avec chaque routier que nous croisons alors que son immense poids lourd traverse les Great Western Woodlands, une immense étendue de climat méditerranéen où s’enchainent bush, garrigues et étangs salés asséchés.

Plus nous approchons des plus belles plages d’Australie et plus les champs et le bétail se font présent.

Mais nous sommes encore loin du terme de notre voyage !

Mais nous sommes encore loin du terme de notre voyage !

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Le chant des plaines

5 mars

Mon boulot à Serendip se termine doucement et vu le nombre de captures qu’on réalise chaque jour on peut dire qu’il est temps. La courte période de dispersion pendant laquelle les mérions se baladent n’importe où pour tenter leur chance dans divers territoires touche à sa fin et nous ne nous courrons plus dans tous les sens les mains pleines de piafs.

Du coup ça me laisse du temps pour vous parler un peu plus du sanctuaire !

Wouhou !

Wouhou !

La situation géographique du sanctuaire est déjà en soit très intéressante. Nous nous trouvons dans l’une des régions les plus densément peuplées d’Australie et l’espace laissée vacant à la vie sauvage est très restreint. Malgré la proximité de Melbourne, Lara reste avant tout une ville tournée vers l’agriculture. La ville est petite et en dix minutes de marche depuis le centre on atterrit déjà chez les premiers fermiers. L’essentiel de l’activité agricole du coin est focalisée sur l’élevage de bovin. Une orientation assez logique puisque la région marque la limite orientale de ce que les Australiens appellent les Plaines Occidentales du Victoria. Les troisièmes plus grandes plaines volcaniques de la planète ont donné naissance à un écosystème qui, bien entendu, s’est vite retrouvé menacé par l’expansion humaine.

C’est pour remédier à cette menace que l’état du Victoria a racheté deux cent cinquante hectares de pâtures à proximité de Lara en 1959. Et après un important plan de gestion incluant une revégétation intensive ainsi que des travaux sur les billabongs, ces étangs temporaires typiquement australiens, le sanctuaire ouvrit ses portes au public en 1991.

L’objectif principal du sanctuaire est d’élever en captivité des espèces menacées typiques des plaines pour pouvoir relâcher leur progéniture dans la nature. Dit comme ça ça peut paraître un peu débile vu que si les bestioles ont déjà disparu une fois il n’y a pas de raisons qu’elles survivent maintenant. Sauf que là je ne vous parle que du boulot qui est fait au sanctuaire. Les animaux relâchés le sont dans des zones aménagés par d’autres personnes, pour que l’environnement leur soit favorable. Les deux raisons principales pour la raréfaction des espèces natives des grandes plaines du Victoria sont la détérioration du milieu et l’introduction d’espèces nuisibles, surtout le renard. Donc d’un côté on a des actions de réhabilitation et sauvegarde du milieu et de l’autre des manœuvre de contrôle des invasifs qui, comme en Nouvelle-Zélande implique des tonnes et des tonnes de fluorocétate de sodium, le célèbre poison 1080.

Bref une fois l’habitat propice on peut réintroduire les bestioles qu’on veut. Parmi celles élevés à Serendip, la plus impressionnante est certainement la grue brolga.

Grus rubicunda.

Grus rubicunda.

La grue brolga n’est pas vraiment menacée au niveau mondiale. Les populations en Nouvelle-Guinée et dans le nord de l’Australie se portent encore assez bien. Par contre dans le Victoria le nombre de brolgas avait quand même bien diminué après le développement incontrôlé de l’agriculture dans la région. Depuis plusieurs couples pondent dans des enclos du sanctuaires et déjà plusieurs dizaines de rejetons sont allés repeupler les grandes plaines.

En soit ce n’est pas une grue très particulière, elle est même un peu moche, mais c’est la seule a être assez commune sur le continent et la seule présente dans l’état. Or comme toutes les espèces de grue, avec leurs danses rigolotes, ça reste un oiseau assez emblématique, d’ailleurs elle est l’emblème de l’état du Queensland.

En descendant d’une taille dans la famille des oiseaux élevés à Serendip, on passe ensuite à l’outarde d’Australie.

Ardeotis australis.

Ardeotis australis.

Alors là on peut difficilement faire plus oiseau des plaines. On trouve des outardes depuis les savanes d’Afrique jusqu’aux plaines d’Australie en passant par les déserts du moyen Orient. L’outarde d’Australie est toutefois la seule présente en Océanie. Là encore, le plus lourd oiseau volant du pays n’est pas vraiment menacé d’extinction, mais la population du Victoria a pris une claque sévère par le passé. Leur avenir dans l’état est d’ailleurs encore loin d’être assuré car sa reproduction en captivité n’est pas des plus simples. Les outardes ont généralement des modes de reproduction qui impliquent des parades complexes et souvent impressionnantes. Le mâle de l’outarde d’Australie par exemple, remplit d’air deux sortes d’énormes nichons qui vont alors se mettre à pendre jusqu’à une poignée de centimètres du sol. Puis les balances dans tous les sens en paradant. Les outardes paradent également souvent en utilisant des zones de lek, en gros des aires de parade où les mâles se lancent dans des compétitions de séduction. Le soucis avec l’outarde d’Australie c’est que c’est leks sont assez vastes et les mâles souvent tellement espacés les uns des autres qu’on a du mal à se rendre compte qu’ils interagissent entre eux. Des conditions qui, vous vous en doutez bien, ne sont pas facile à reproduire en captivité. Mais l’équipe persévère et peut-être qu’un jour les outardes trimbalerons à nouveau leurs nibards à travers les plaines Occidentales du Victoria.

Le troisième oiseau de plaine à être élevé au sanctuaire et l’oedicnème bridé.

Burhinus grallarius.

Burhinus grallarius.

Là où on trouve des outardes, on trouve généralement des oedicnèmes. En gros pour ne pas me répéter sachez que, et son habitat et son statut de conservation, sont les même que pour l’outarde. Par contre l’oedicnème est essentiellement nocturne et passe ses journées planqué dans les fourrés ou les hautes herbes. Par conséquent pas de parades spectaculaires non plus mais un beuglement assez costaud tout au long de la nuit. Et leur enclot est juste à côté de ma chambre…

Le nouveau dada des rangers de Serendip c’est l’élevage de stictonettes tachetées. Une sorte de canard préhistorique. Pour le coup on ne touche plus vraiment à l’écosystème des plaines mais à un truc très australien : le billabong.

Les billabongs sont des anciens bras de rivières dont le cours a changé et qui se remplissent temporairement d’eau. Ils sont assez répandus dans le pays et constituent un aspect important de l’écosystème des plaines occidentales du Victoria. À Serendip des digues ont été érigés entre les billabongs pour qu’ils s’assèchent moins rapidement et pour permettre à la faune qui en dépend d’être un peu plus tranquille. L’élevage de stictonettes débute tout juste et aucun canard n’a encore été relâché mais personne ne doute vraiment de la réussite du programme puisqu’il fait suite au grand succès de l’équipe du sanctuaire, la réintroduction dans l’état du Victoria de la canaroie semipalmée.

Anseranas semipalmata.

Anseranas semipalmata.

Derrière cette allure de canard de cartoon qui se serait pris une poêle sur la tête se cache un oiseau assez improbable. La véritable particularité de cette espèce est sa place au sein du règne animal. L’Australie est considérée par la majorité des scientifiques comme le berceau de très nombreuses familles et espèces d’oiseaux qu’on trouve maintenant jusque dans vos jardins. Plus précisément ce berceau serait l’ancien super-continent appelé le Gondwana qui réunissait il y a deux cent millions d’années l’Antarctique, l’Océanie, l’Amérique du Sud, l’Afrique, le sous-continent Indien et la péninsule Arabique. L’exemple qui vous parlera le plus sera celui des passereaux, ces oiseaux dont l’immense majorité des espèces peut nous faire profiter d’une chose fabuleuse : leur chant. Ces oiseaux ont vu le jour au sein du Gondwana est ont très vite divergé en quatre sous-ordres. Le plus anciens et plus petits étant celui des xéniques, qu’on ne trouve qu’en Nouvelle-Zélande. Ensuite on distingue grossièrement les eurylaimes, qui se répartissent entre l’Afrique et les Indes, des tyrans qui peuplent l’Amérique du Sud. Et pour finir vous avez le sous-ordre des oscines. Si vous avez encore en tête la carte du Gondwana vous avez en tête le continent où on les trouve.

Non ! Pas en Antarctique !

Non ! Pas en Antarctique !

Si je vous parle de ces animaux qui ont perfectionné l’art du chant jusqu’à son paroxysme ce n’est pas parce qu’il regroupent ensemble les mérions superbes et les ménures superbes (en photo au-dessus). C’est parce que l’ancêtre de tous les oscines, qui a vu le jour au pays des kangourous, a donné naissance, après des milliards de mutations, à autant d’espèces différentes que sont les mésanges, les hirondelles, les merles, les corbeaux, les alouettes, les sittelles ou les bergeronnettes. Je continue ? Vous allez peut-être regarder votre prochain moineau différemment ? Mais ne nous arrêtons pas en si bon chemin ! Maintenant que tous les oiseaux de votre jardin vous apparaisse sous un jour nouveau attaquons nous aux canards de l’étang d’à côté. Et oui ! La canaroie est un oiseau descendant d’une famille de pintades qui vadrouillait à travers le Gondwana. Notre vilain petit canard constituant un chainon entre les dinosaures et le foie gras, il y a fort à parier que les cygnes, les oies et autres colverts descendent d’oiseaux qui ont vu le jour en Australie. C’est pas fou tout ça ?

Là encore la canaroie n’est pas vraiment un animal menacé d’extinction. Le Nord du pays présente en réalité pas mal de point commun avec les plaines à l’Ouest du Victoria et comme les hommes y sont moins implantés, les canaroies y abondent. Par contre l’oiseau avait disparu des alentours de Melbourne depuis plusieurs décennies avant qu’un programme de réintroduction ne soit lancé à Serendip. On est encore loin d’une population florissante mais les canaroies fanfaronnent maintenant gaiement et en toute liberté dans les billabongs de la réserve, donnant naissance à des petites boules de duvet qui iront peut-être s’installer plus tard un poil plus à l’Ouest.

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