Archive for janvier, 2013

Transit

16 janvier

 

Cinq heures et demie. Je n’ai pas changé l’heure de mon réveil depuis que je suis arrivé. Le temps d’émerger doucement, d’enfiler mes habits de randonnée et je me dirige tranquillement vers le Skua. Comme souvent je commence mon petit déjeuner tout seul dans la salle commune.

Le chef Centrale ne tarde pas à me rejoindre. Même lorsqu’il ne m’accompagne pas sur le terrain, c’est celui que j’ai le plus de chance de croiser de si bonne heure. Lui ou son collègue. Les autres volontaires profitent encore du confort de leurs chambres tandis que je prépare mes affaires. Bien tout vérifier. Si j’oublie le moindre petit truc, ça peut prendre des proportions énormes. Lorsque je retourne au Skua, il y a déjà plus de monde. On répartit le frais dans les sacs, chacun porte son baudrier. On fanfaronne un peu et on démarre. On a à peine dépassé Géophy et plus personne ne parle dans les rangs. Le transit a commencé.

On passe le concasseur sans le regarder, on bifurque hors du chemin pour s’élancer en pente douce dans les herbes hautes. Le paysage est désolé, le terrain irrégulier. Pose vessie au Trou du Gener. On croise le Cyclope et s’enchainent les crânes de bovins tandis que la morne remontée se continue. Après avoir longé l’ancienne clôture sur quelques dizaines de mètres on arrive au panneau. Pas vraiment utile mais un bon repère. La première micro-pause. On quitte les terrains contrefaits, on entre dans le subantarctique. On trempe les chaussures dans la première souille et commence la vraie montée. Ça souffle et parfois même gémit jusqu’à ce que la pente s’adoucisse, se solidifie. On a atteint l’ancienne coulée, le « Mordor », comme on s’amuse à l’appeler, à cause de ses similitudes avec les paysages accidentés du Tongariro. Une pause casse-croûte à la Mare au Canard. Personne n’est vraiment sûr de savoir pourquoi elle s’appelle comme ça.

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Ce n’est pas vraiment des canards qu’elle voit le plus souvent passer…

Certains disent que du haut d’un rocher voisin, les contours de la flaque dessinent un canard. Si c’est le cas je l’aurai plutôt appelée la Mare de l’Entrecôte… Bon c’est pas tout mais on a fini nos parts de cake, il faut reprendre la route. Moins pentue, plus solide encore. On arrive à la Caldeira. Premier coup de radio pour rassurer la base et on enchaine. Aujourd’hui on s’en sort bien. On ne voit pas à dix mètres mais il n’y a pas de vent. Et surtout pas de pluie. Le froid est là mais il ne nous gêne pas plus que ça tandis qu’on longe les pentes du cratère. Arrivés quasiment au sommet on commence à redescendre. On rejoint une zone de tourbières. On marche sur les caillebotis pour ne pas abimer le terrain fragile. Bien entendu c’est maintenant qu’il se met à pleuvoir. En nous piquant la joue, la pluie salée nous rappelle qu’il y a tout de même un petit vent d’Est. Les caillebotis sont glissants. On arrive finalement au Pignon.

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700 mètres d’altitude et le premier point de vue sur notre objectif.

Impossible de descendre directement les falaises. Un nouvel appel à la base et on longe le précipice en sens inverse tandis que les albatros fuligineux viennent nous inspecter. On ne voit pas trop où on met les pieds mais bien souvent c’est dans la boue. La progression est lente et pénible, on descend jusqu’à arriver à la salle à manger. Un abri naturel entre les rochers qui nous protège du vent. On s’installe pour manger nos sandwichs tandis que les albatros à becs jaunes longent les falaises en continu. Difficile de repartir mais il faut continuer. On enfile les gants de manutention et l’un après l’autre on descend les mains courantes. La corde au milieu de la ravine n’est pas très utile en descente. On pose les fesses dans la boue et on fait du toboggan. Jusqu’au départ de la via ferrata. Le casque pour les chutes de pierres et le baudrier pour les chutes de bonshommes. Impressionnantes lors du premier transit, les descentes sur échelons deviennent de plus en plus aisées au fur et à mesures des trajets. On se débarrasse du baudrier pour la dernière main courante et on descend jusqu’à retrouver un terrain plat. À une dizaine de mètres au-dessus des vagues et des otaries, au pied des majestueuses falaises, la magie commence à faire son effet. Un arrêt à la rivière pour remplir les bouteilles d’eau et on récupère le bâton. Ça bouge sous les scirpes. Des grognements se font entendre. Nos boules de poils préférées sont là. Faire du bruit pour signaler notre présence. Voyons voir. Une idée. Ça y est!

« Et dix litres de rouge sur le dos! Et dix litres de rouge sur le dos!

Rajoute une bouteille de sky et, on ravitaille Entrecasteaux! On ravitaille Entrecasteaux! »

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Encore un public qui n’apprécie pas mes vocalises.

Pas de trous de dents dans les guêtres lorsqu’on arrive à la cabane. Un dernier coup de radio aux copains. On se la joue un peu devant notre performance de temps de parcours. L’eau bout sur le gaz, je retire la couche de moisi sur le chocolat en poudre périmé. Pas de lait, à l’ancienne. Un peu plus de cinq heures après avoir quitté la base, je savoure le meilleur chocolat chaud du monde.

 

L’aller est en français, le retour est en anglais. Débrouillez-vous.

The way in is in French, the way back is in English. Deal with it.

 

The work has been finished yesterday. Earlier than I thought, we’re not in a hurry. At eight, I leave my bunk bed and start the morning routine. The others leave their beds soon after. Water is boiling and cake is cut. As usual the breakfast starts in silence. The first jokes come quite soon and we start to tidy up the place. The generator had troubles again. My frozen samples aren’t frozen anymore. We may be a bit more in a hurry than I thought… We leave a bit after nine. A quick radio call to the base, I grab the stick and we start the hike. After just a few minutes we hear the first seals. Hidden under the tussocks we need to make noises and the stick is going first. We cross the beach, chasing away some late penguins and soon there is no growling and squawking anymore. We reach the river quite fast and drop the stick there. The sun is already high and we want to be at the cliff while there is still shade.

Exhausted but protected from the sun we put our helmets on. The first part of the climb is steep and a rope is there to help us along the gully of volcanic rocks. Then we put on the rock climbing gears. The climbing is easy and metallic steps have been placed all the way through the small cliffs we have to cross. After that we pack everything in the backpack and climb on the steep slope, helping ourselves with rocks or tussocks.

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Still smiling.

At the top of the climb is « la Salle à manger », a small bit of ground protected from the wind by surrounding rocks. That’s usually where we stop for a short snack but today everyone is up to continue the hike. We don’t even
stare at St Paul Island, the forbidden. Maybe it’s because we’re too frustrated. We know we’ll never see more than this dot on the horizon on a sunny day. Walking through the tussocks up to « le Pignon » feels easier than usual without the rain. Once on the ridge of the cliffs dominating the plateau, the wind grows a bit stronger. A short call to the base and we move on. We walk on wood planks, protecting the fragile pit. Again we thank the weather. There is no way you can walk that fast here when the planks are slippery with rain. Once close to « la Dive », the summit of the island, we finally stop for lunch. Everyone is up to beat the score and I can’t argue against that with my not so frozen samples on my back.

From there we’re only going down. Following the ridge of the caldera, the clouds start to gather around the summit. Once at the bottom we contact the base again. The end of the trip seems so close. And so is « la Mare au canard ». A tiny pond which wouldn’t have a name if it wasn’t placed at the perfect place for a break. But not today. The clouds are catching us and we start to see the base. Standing in sun beams like always. Looking like it has been settled here because it’s the sunniest spot on the island. First on an old lava flow then through grassland, we go down and down. Four hour and twenty minutes after we’ve left the other side of the island, we cross the gate of the base. Ten minutes later we drink a cold beer.

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Subantartic fever

13 janvier

 

Je profite de la récente tenue d’une opération « Base verte » pour mettre quelques petites choses au point. Oui, l’île d’Amsterdam fait partie des Terres Australes et Antarctiques Françaises, non, elle ne se situe pas aux abords du continent en question. Par ordre d’éloignement avec le continent gelé, on trouve les bases françaises de Dumont D’Urville, Port aux Français, Alfred Faure et Martin de Viviès. À Dumont d’Urville, ils ont des opérations « base blanche ». Lorsqu’un bâtiment a disparu sous la glace, tout le monde prend une pelle et part à sa recherche. À Martin de Viviès, lorsque les géraniums ont disparu sous les herbes hautes,

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On sort les rotofils!

Sans non plus aller jusqu’à dire que je vais passer un an dans un Territoire d’Outre Mer, il faut préciser que les eaux qui encerclent l’île sont celles du front subtropical. On n’en est pas aux cocotiers et au sable blanc mais notre base ressemble plus à un club Med qu’à Avoriaz. Quinze degrés en ce moment, c’est largement suffisant pour se faire des barbecues de langoustes à l’ombre des cyprès. On a un terrain de tennis, des papillons qui peuvent voler et le rhume des foins.

Mais alors l’Antarctique là-dedans?

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J’y viens.

L’île d’Amsterdam a été formée par un ancien volcan. Ce qui veut dire qu’à part si on longe la côte, dès qu’on s’éloigne de la base, on grimpe. Et dès qu’on grimpe, on se rend compte que le microclimat village vacance fait figure d’exception par rapport au reste de l’île. En réalité dès qu’on crapahute un peu, on a l’impression d’être de retour à Crozet. Le sol se limite à de la tourbe, des mousses, des fougères rases, des papillons sans ailes et des roches volcaniques. Le sommet de l’île est quasiment toujours dans les nuages et des vents extrêmement violents soufflent régulièrement. Amsterdam, c’est un peu une grosse boule de subantarctique dans un cornet de subtropical. Ça apporte quoi le mélange des deux?

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Je vous en parlerai plus tard.

En attendant, j’ai beaucoup de boulot avec mes distributeurs de cacas velus qui découvrent à quoi servent leurs dents. Non seulement il faut que je continue à suivre leur croissance, mais leurs mamans viennent de rentrer de longs voyages en mer pour les nourrir. Du coup en bon petit fouineur qui se mêle de ce qui ne le regarde pas, je leur pose des petits géolocalisateurs pour savoir où elles vont chercher le blédina. Autant attraper une jeune otarie c’est sport, autant attraper sa mère d’une quarantaine de kilos, c’est du domaine du combat épique. Remarquez, d’un autre côté, la situation à la Mare aux Éléphants s’améliore. Les gros lunatiques en manque de sexe quittent les lieux aux rythmes de leurs coups de reins. Ce qui me laisse plus de place pour taquiner celles à qui ils laissent le soin de s’occuper de leur future progéniture.

 

 

After everyone at the base had to help on a « Base verte » (green base) operation, I thought I had to be more specific about where I am. Some of you may think that if I spend a year in the Subantarctic Lands, I may never wear a tee-shirt, eat fresh vegetables and even lose one or two toes.

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Well don’t worry for my toes…

Even if Amsterdam island is part of the French Southern and Antarctic Lands, it is the furthest one from the continent itself. The island is actually just between the subtropical sea front and the subantarctic waters. The base looks more like a holiday camp than like Mc Murdow.

To see the subantarctic part of the island isn’t really hard though. Amsterdam island being an old volcano, if you don’t follow the coast, you climb. And if you climb just a little, you’ll end up in scenery quite similar to the ones you can find in Crozet. Low vegetation, pit, volcanic rocks and strong wind.

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Even skuas waiting for you to fall.

So that’s it for the explanation of my « Antarctic » land. I’d love to tell you more about it but I really am not confident enough in English and I am really busy. The pups have discovered how to use their teeth and their mothers are back. So now I have to fit geolocalisators on them to see where they go to find food for their pups. I guess you can imagine how easy it is to catch an adult fur seal…

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