Archive for novembre, 2010

Mi-robinsons.

  12 novembre

Les petits miros commencent à s’emplumer et le compte à rebours avant la grande session de baguage a commencé.

Presque mûr.

Je réalise que je ne vous ai toujours pas réellement expliqué pourquoi nous portions tant d’attention à ces petits oiseaux. Pas vraiment besoin de vous répéter cependant que la Nouvelle-Zélande attache une attention toute particulière à son patrimoine naturel. J’entends d’ailleurs souvent dire que si les animaux natifs du pays ont disparu c’est bien fait pour eux et que ce n’est que l’ordre naturel des choses. « L’ordre naturel des choses »… Aha aha aha… Des gros bateaux pleins de lapins, de hérissons et de cerfs pour que les colons ne se sentent pas trop dépaysés… « L’ordre naturel des choses »… Aha aha aha… Des gros bateaux pleins d’hermines, de furets et de belettes pour corriger le sens nouveau que prend le terme « mal du pays »… « L’ordre naturel des choses »… Aha aha aha…

Ouh le mignon petit nuisible (Photo prise à Kaikoura)...

Mais je ne vais pas trop m’écarter du sujet, si certains d’entre vous veulent débattre avec moi du bien fondé du choix des dépenses de fonds publiques néozélandais je leur paierais une bière avec plaisir à mon retour. (Message tout spécialement adressé à Ghislain: « Mec j’ai un nouveau concept rigolo, à chaque fois que quelqu’un place un scrabble dans son argumentation l’adversaire fini son verre cul-sec! ») Les néozélandais prêtent donc une attention particulière à la seule chose qui leur soit vraiment typique: leur biodiversité. Ils restent toutefois réalistes et aucun d’entre eux n’espère voir un jour se promener un strigops kakapo, une talève takahé ou un kiwi d’Owen dans leur jardin. Comme dirait Indy (Big Up): « leur place est dans un musée! ». Et justement, les néozélandais ont placé leurs oiseaux « dépassés » dans des musées! Ces musées sont tous simplement ces nombreux sanctuaires dans lesquels j’ai eu la chance de travailler. Vous pensez qu’on laisse les rats vadrouiller librement au Louvre? Et bien sur Ulva c’est pareil! Et un miro vaut toutes les Jocondes du monde!

Sérieusement? Vous ne voyez pas ce sourire énigmatique?

L’étude de Ian porte sur un problème récurent dans ces « musées ». Je vais essayer de vous faire ça en simplifié mais si l’évolution du domaine vivant s’est orienté vers la reproduction sexuée ce n’est pas juste pour le plaisir de la chose. Et oui! On va encore parler de cul! Globalement pour le bon fonctionnement d’une espèce il est préférable que deux individus aient un patrimoine génétique assez éloigné avant d’entreprendre la création d’un nouvel être vivant. Si les parents partagent un trop grand nombre de leurs gênes ils risquent plus facilement d’exposer leur descendance à des maladies génétiques.
Bien entendu tout ceci est légèrement plus complexe mais s’attarder sur trop d’explications nous éloignerais du : « Pourquoi que tu passes tes journées à taper dans tes mains? ». Si vous vous souvenez bien je vous racontais que seulement vingt miros avaient été réintroduits sur Ulva pour y fonder une nouvelle population. Sur ces vingts, seuls six couples ont établi des territoires au sein du sanctuaire, les autres sont retournés sur Stewart. Un de ces six couples s’est particulièrement bien établi. Juste pour vous donner une idée, quarante des quarante-six premiers miros nés sur l’île étaient des descendants de ce fameux couple. Aujourd’hui soixante dix pour cent des miros du sanctuaire partagent une bonne partie de leur génome avec ce couple fondateur. Pour ceux qui ne saisissent toujours pas ça veut dire que la différence entre une petite copine et une maman est assez ténue chez les miros d’Ulva… Le baguage des oiseaux est l’étape essentielle et indispensable qui nous permet de déterminer qui est le petit de qui. Une fois identifiés on suit le succès reproductif des oiseaux et le taux de survie de leur descendance ce qui nous donnent une bonne idée des dégâts liés à la consanguinité. Ce qui est le but de l’étude! On prélève également du sang sur chaque oiseau afin d’obtenir son ADN. Je ne vous surprendrais pas, la diversité génétique des miros d’Ulva est assez effrayante. Pour l’instant les oiseaux n’ont pas trop l’air d’en souffrir mais avec l’augmentation de la concentration de miros, la sélection naturelle pourrait de plus en plus être liée au patrimoine génétique. Pour avoir une idée des mesures qui peuvent être envisagées pour certaines espèces plus fragiles je vous conseille à nouveau l’article de Cécile concernant les glaucopes cendrés.

Un glaucope cendré c'est ça pour ceux qui se sentent largués...

Deux nouvelles volontaires, Eva et Gaya, sont venus renforcer nos rangs en prévision des quelques deux cents oisillons à venir… Comme vous avez pu le constater je n’aime pas trop étaler sur la toile la vie privé des humains que je rencontre. Par contre la vie privé des miros…
Je me dois de commencer par la présentation de Pimp Daddy.

Daddy cool.

Transféré sur Ulva il y a dix ans, Pimp Daddy (bagué B/M) est toujours en vie et ses derniers poussins viennent tout juste de naître. Bien qu’ayant toujours été fidèle à ses partenaires, les disparitions de ses dernières concubines l’ont amenés à nicher cette année avec sa petite petite petite petite petite petite petite fille. Accessoirement cette dernière nichait l’année dernière avec le petit petit petit petit petit petit petit petit fils de Pimp Daddy. Mais la gamine n’a pas su résister au « mojo » de l’ancêtre. Un petit peu compliqué tout ça non?De tous les miros de l’île mon préféré est sans contexte Long John Silver.   

Pirate!

Long John doit en partie son nom au deux bagues jaunes sur sa patte gauche (YY/RM) et à mon accent français. Mais il doit surtout son nom de pirate au fait qu’il vienne systématiquement grappiller un ver de farine chez ses voisins lors de nos visites. Les voisins le laissent généralement faire sans rouspéter et nous pensons en connaître la raison. La partenaire de Long John a disparu l’hiver dernier mais il reste persuadé qu’elle va revenir. Par conséquent lorsqu’il se saisit d’un ver chez les voisins il le garde pendant des dizaines de minutes en appelant continuellement aux quatre coins de son territoire. Les miros se battent volontiers lorsque des étrangers viennent piller leur territoire. Long John ne se contentant en général que d’un ver le combat ne vaut cependant pas vraiment le coup. J’aime aussi beaucoup le vieux loup de mer car il est l’un des rares oiseaux assez téméraire pour venir chercher son ver dans le creux de la main.
La petite femelle qui nous fait craquer c’est Cosette.

Le nez dans le ruisseau.

Cosette (GM/OO) a perdu son partenaire il y a deux ou trois ans alors qu’ils avaient des poussins. Son voisin lui a alors porté secours en s’occupant de sa propre portée ainsi que de celle de la veuve. Seulement depuis il se contente de la courtiser chaque année mais ne s’occupe plus d’elle à partir du moment où sa régulière commence à nicher. La pauvre Cosette se retrouve alors toute seule avec son nid qu’elle est contrainte à abandonner assez vite…
Le larron qui se joue de Cosette a été baptisé Tiger. 

Rapport à un vague golfeur...

 Bien qu’aillant entamé sa renommée par un comportement des plus altruistes Tiger (GR/YM) a désormais plutôt mauvaise réputation. Non content de courtiser la pauvre Cosette à des fins douteuses il n’a également de cesses à repousser le moindre nouveau venu. Sa régulière (WW/BM) ayant droit à l’essentiel des faveurs elle tend à nicher plus tôt que Cosette et lorsque les premiers poussins du coureur sortent de leurs coquilles, les œufs de notre misérable viennent à peine d’atteindre le nid… Tiger se dévoue totalement à ses rejetons et ne se refuse pas le droit de venir taper le contenu des biberons dans le territoire de Cosette. On a un bon paquet de polygames cette année (Don Juan, Casanova, Hugh Effner…) mais seul Tiger a un nid actif avec l’une de ses partenaires.
Et puis il y a les petits jeunes bagués violet-métal.

L'abréviation de Purple-Metal (PuM) correspond étrangement à celle d'un juron français bien mérité!

 Histoire de simplifier notre travail sur le terrain les oiseaux ont tous une combinaison de bagues similaires pour chaque année de naissance sur une de leurs pattes. Par exemple les oiseaux nés en 2002 arborent tous une bague rouge au dessus de leur bague en aluminium. L’année dernière chaque oisillon s’est vu attribué une bague violette au dessus de sa bague métallique. Vous vous souvenez lorsque je vous disais que les mâles de miros étaient globalement tous des couillons? Et bien le plus futé des violet-métal est encore plus débile. Il y a ceux qui s’enfuient à tire d’ailes lorsqu’ils se prennent un ver de farine en pleine face. Et il y a ceux qui restent impassibles au milieu d’une vingtaine de vers qui se tortillent sur le sol autour d’eux. L’instinct de ces derniers les persuadant qu’un ver encore plus gros se cache sous ma chaussure et qu’il risque de s’enfuir au premier instant d’inattention… Malheureusement certaines femelles particulièrement moches (je ne vois pas d’autres explications) se retrouvent obligés de tenter leur chance avec les puceaux par manque d’attractivité. Un qui m’a particulièrement fait marrer est celui qui avait des poussins mais dont les capacités intellectuelles le limitaient juste à « nourrir femelle ». Sa partenaire, plus âgée, tentait de lui faire comprendre sa part du boulot en lui rendant chaque ver qu’il lui offrait… Et puis bien entendu vous devez vous douter qu’on rigole pas mal lorsqu’on se retrouve à devoir observer un couple de violet-métal pendant une demi-heure.
« Ça lui a déjà pris dix minutes pour comprendre que c’était elle que tu appelais, tu vas lui donner ce @$*#! de ver maintenant! »

15 novembre

Ayé! Les miros présentent un nouveau comportement après s’être saisi d’un ver de farine. Le mâle et la femelle partent chacun de leurs côtés et lorsqu’on les suit on tombe sur ça: 

BAGUER!

 Pour bien vous expliquer comment baguer un miro je dois reprendre le mode d’emploi appliqué à la construction d’un miro depuis le début. Après une série de galipettes, la femelle vous bâcle en quelques jours deux petits réceptacles dans lesquels tout reste à faire: des œufs. Elle passe ensuite une vingtaine de jours à les couver entre deux petites promenades culinaires. De chaque œuf sort une boule de poils avec un bec à une extrémité et un anus à l’autre. Le tuyau fonctionnant à plein régime à l’aide des parents les poils laissent place à des plumes, des yeux s’ouvrent et un pépiement commencent à sortir de ces choses qui laisseraient presque penser qu’elles sont des oiseaux. On peut commencer à baguer les miros au nid une quinzaine de jours après l’éclosion.

Le trouble obsessionnel compulsif (abrégé en TOC) est un trouble anxieux caractérisé par l'apparition récurrente de pensées intrusives liées ou non à une phobie. Ces pensées dites obsessions génèrent des angoisses qui, selon certaines théories psychiatriques, seraient la cause des compulsions que l'on observe aussi chez ces malades. (Wikipedia)

La petite subtilité c’est que les miros sont des oiseaux néozélandais et comme tous les animaux du pays ils ont un problème avec l’instinct de survie… Une vingtaine de jours après l’éclosion les oisillons se jettent vaillamment du haut de leur nid. Ce qui est complètement con étant donné qu’ils ne sont pas encore capables de voler… La raison de tout ceci me dépasse complètement. Le fait est que les petits miros se retrouvent comme des débiles à déambuler au sol pendant deux-trois jours avant de pouvoir s’envoler vers la sécurité des branches. Je tiens à signaler que ce n’est pas parce qu’il n’y a (presque) aucun rat sur Ulva qu’un jeune miro ne peut pas s’y faire facilement dévorer. Les ninoxes rodent la nuit et des dizaines de râles wékas ont de nombreuses petites bouches à nourrir en ce moment. Le râle wéka n’est pas vraiment un prédateur. Cela dit gober un jeune miro qui vient de se vautrer sur le sol après une chute libre d’une dizaine de mètres ce n’est pas vraiment de la prédation. Plutôt du ménage

Super prédateur en devenir.

L’implication principale de cette fâcheuse habitude dans la question du baguage des miros est que, si l’on passe au nid au mauvais moment, on risque de « forcer » le comportement suicidaire des oisillons… D’où l’importance de suivre les nids le plus souvent possible afin d’avoir l’idée la plus précise de la date d’éclosion. Et puis il y a tous les nids qui se trouvent sur une branche morte à quinze mètres de haut, au dessus d’une falaise surplombant une mer infestée de grands requins blancs. Comme il n’y a pas de Boyard à la clé (facile celui là) on a aussi une technique pour baguer les oisillons hors du nid. Je tiens à insister sur un point de détail important. Certains doivent se dire « Facile! Si l’oisillon ne peut pas voler pendant trois jours il n’y a qu’à l’attraper à ce moment là! ». Le seul endroit sur Ulva où l’on peut courir après un poussin sur plus de deux mètres sans se faire très très mal c’est sur la plage.

Et si on étudiait plutôt les huitriers variables?

Si on a raté la cueillette des oisillons ou que le nid est inaccessible (et Superman indisponible) on se retrouve à devoir attendre plus longtemps. Lorsque l’oisillon maitrise finalement l’art de la lévitation il ne s’en prive pas et passe une bonne semaine caché dans la canopée nourrit par un de ses parents.

Gros bébé.

 On se retrouve à le visiter régulièrement avec un objectif qui semble assez optimiste au premier abord. À chacun de nos passages nous attendons que les parents apportent la becquée à leurs rejetons et nous mettons à taper vigoureusement dans nos mains. Le but est que l’animal fasse le lien entre le bruit et la bouffe. Et figurez vous que ça marche super bien! À notre quatrième visite l’oisillon vient presque nous manger dans la main! Pour l’attraper il nous faut lui faire atteindre le sol. Ce qui n’est pas forcément évident. Lorsque nos vers atteignent le sol les parents sont souvent bien plus rapides que les petits nouveaux. Ces derniers se contentent donc de mendier et ne comprennent pas vraiment l’intérêt d’aller se bouger le popotin eux-mêmes. Lorsque finalement les miros en devenir s’aventurent à s’emparer eux mêmes de cette nourriture tombée du ciel nous mettons en place un piège vieux comme le monde. Une caisse grillagée, entrouverte par un bâtonnet relié à une ficelle. On jette les vers sous la caisse et tire sur la ficelle lorsque l’oiseau se gave.

High tech.

Encore une fois la pratique est bien plus complexe que la théorie. Si on ne se dépêche pas l’adolescent peut se faire éjecter du territoire. On n’aura alors plus aucun moyen de le différencier d’un autre et ainsi de connaître son ascendance. Et puis je vous rappelle qu’on est à un quota de cent vingt deux nids actifs avec des petits retardataires qui commencent à peine à nicher et des parents préparant une deuxième portée…

19 novembre

Pendant que Tracey et Bryce sont de corvée de baguage, Eva, Gaya et moi-même continuons à suivre l’évolution des nids . Fraichement arrivées elles sont déjà en train de se perdre gaiement dans les bois et nous ont déniché de nouveaux couples, de nouveaux nids et un poisson.

Pas facile à baguer...

La routine ne s’installe toujours pas et chaque journée amène son lot de surprises. Un nouveau léopard de mer (décidément super rare) est venu grignoter quelques manchots du coté de Boulder Beach. Je me fais de l’argent de poche en guidant les touristes sur l’île, à peu près toutes les bestioles d’Ulva jouent au même petit jeu, Ian est passé faire coucou, j’ai presque uriné sur un kiwi et Long John s’est trouvé une nouvelle meuf.
En cadeau la séquence photo trop mignon roudoudou cucul graou rien que pour le frangin:

 

 

?

 

!

*^_^*

Comments (8) »

L’île de la tentation.

31 octobre

On vient de finir le recensement des couples de l’île et nous en sommes à cent cinquante et une paires, quelques célibataires errants et quatre-vingt cinq nids. Il nous manque un peu plus d’une centaine d’oiseaux que nous n’avons pas trouvé et plusieurs hypothèses s’offrent à nous. Tout d’abord certains ne sont pas du tout entrainés à se ruer vers le premier débile qui tape dans ses mains. Ceux là nous ne les trouverons que par hasard. Puis il y a ceux qui doivent s’être installés au sommet d’une falaise à pic de vingt mètre au dessus de l’eau. Il y a aussi celui qu’on entend brayer sur un îlot à une cinquantaine de mètres de la plage. Il doit probablement y en avoir quelques uns qui sont allés s’installer sur l’île Stewart de leur côté. Et puis il y a ceux qui font dodo depuis très longtemps…

Non! Les miros c'est trop mignon pour mourir!

On considère qu’un miro fait-dodo-depuis-très-longtemps lorsque personne ne la vue depuis trois ans. C’est l’espérance de vie moyenne d’un miro rubisole mais comme je vous l’ai déjà dit les miros fondateurs qui sont arrivés il y a dix ans se reproduisent à nouveau cette année! Comme on ne va pas s’amuser à fouiller toutes les pelotes de réjection de ninoxes à la recherche des bagues des disparus on admet l’hypothèse que leurs réveils sont cassés. Le truc assez ennuyeux c’est que depuis quelques jours Tracey n’arrête pas de nous trouver des miros zombies! Ces individus censés dormir-depuis-très-longtemps sont bien réveillés et en train de nicher!

Le marchand de sable.

Tout ça pour vous dire que tout ne se passe pas aussi facilement que la théorie le laisse penser. Les sentiers sont je vous parlais précédemment par exemple. En réalité ce sont plus des alignements de petits carrés métalliques plantés dans des arbres que de véritables sentiers… La topographie passe de falaises escarpées en profonds ravins à travers des dédales de lianes. Bien que les miros rubisoles soient censés être des oiseaux fidèles au même partenaire pour toute la durée de leur existence c’est un peu les feux de l’amour sur Ulva. Lorsque la compagne d’untel disparaît mystérieusement on retrouve la voisine dans son nid! L’ex compagnon de la dite voisine parcourant désespérément son territoire en braillant le bec plein de vers de farine. Ou lorsqu’un autre disparaît lui aussi dans des circonstances mystérieuses, on retrouve son voisin nourrir sa veuve. Tout ceci dans le dos de sa première compagne bien entendu. Et puis il y a ceux qui refusent de nourrir leurs partenaires même si elles ont pondu, les femelles qui viennent voler les vers dans le bec d’autres mâles ou celles qui refusent de vous montrer bien gentiment où se cachent leurs nids en vous entrainant vers de fausses pistes…

« Le prochain ver qu'il nous lance tu le donnes au voisin et il sera bien feinté! »

Personnellement ce que je trouve le plus difficile c’est la demi heure qu’il nous faut parfois attendre les yeux fixés sur les femelles avant d’être sûr qu’elles ne cachent pas un nid quelque part. On tombe souvent sur des mâles très amoureux qui nourrissent abondamment une femelle bien qu’elle n’ai pas encore pondu. On se retrouve du coup bêtement en train de regarder la femelle prendre des plombes à arranger toutes les plumes de son corps avant d’admettre qu’elle s’est bien foutue de nous… Bien entendu si la petite maline a effectivement un nid caché quelque part elle ne s’y rendra que lorsque votre attention sera détournée par un des nombreux spectacles extraordinaires qu’offre Ulva.

Comme par exemple des nestors superbes qui jouent au même jeu que les lions de mer!

Et comment conserver sa concentration à l’apparition d’un kiwi! Tiens ça me fait penser que je ne vous ai pas parlé des kiwis d’Ulva. L’île compte entre quarante et soixante kiwis austraux. Cette espèce vit également dans le Fiordland, sur l’île Stewart et certainement quelques autres ilots qui me sont inconnus. Il s’agit d’un oiseau massif. Alors que les kiwis d’Owen dépassent difficilement la taille d’une balle de handball les kiwis austraux atteignent facilement celle d’un ballon de foot! Les kiwis austraux ont également l’unique particularité d’être occasionnellement actifs en plein jour. Sur Stewart les kiwis ont par ailleurs l’habitude d’aller se nourrir sur les plages. Ces deux spécificités ont fait de la quête de l’oiseau emblématique l’attraction touristique numéro un de l’île. Avec les locaux on rigole pas mal lorsque les touristes reviennent d’une demi journée sur la plage en s’étonnant de ne pas avoir vu une dizaine de kiwis courir partout… Ce n’est pas parce que Stewart abrite la plus forte densité de kiwi du pays qu’ils s’agglutinent tous aux abords du seul village de l’île… Par ailleurs le kiwi austral a beau s’offrir quelques journées blanches il reste un oiseau essentiellement nocturne. De mon coté je n’en ai pas vu un seul en plein jour alors qu’une petite heure de marche tous les soirs me permet d’observer avec délice mon kiwi quotidien, voir plus. L’île héberge également une forte population de manchots pygmées. La présence de ces deux animaux au même endroit m’a permis d’assister à un spectacle auquel je n’aurais pas même pu rêver. La rencontre de ces deux champions du grotesque ne pouvait que donner lieu à un événement sensationnel. Et ce fût le cas. L’intensité comique de cet instant n’a aucune égale mais ne me permet toujours pas de déterminer lequel de ces animaux ridiculise l’autre par sa maladresse. Voilà pourquoi je m’en remet à votre avis chers lecteurs. Selon vous est il préférable de trébucher sur un manchot ou de se faire marcher dessus par un kiwi?

Entre les deux...

mon coeur balance...

Je me moque des touristes mais il s’avère que je suis moi aussi allé chercher des kiwis sur la plage. De nuit cela dit. Et c’est alors que je me dirigeais négligemment vers quelques rochers que j’ai entendu un grognement menaçant. Un grognement menaçant c’est le son qu’émet quelque chose qui peut potentiellement vous faire super mal mais à un peu la flemme là tout de suite et se contente de vous le faire comprendre vocalement. Précision importante: le grognement du kiwi est tout sauf menaçant. Il me semble également que les cailloux ne grognent pas. Après avoir sursauté j’ai donc reconsidéré le statut « caillou » de l’imposante masse grisâtre qui se tenait devant moi. Corrigez moi si je me trompe mais il me semble que les cailloux n’ont pas de dents non plus? Fort de toutes ces observations j’admis assez rapidement que la masse grisâtre ressemblait finalement plus à un léopard de mer qu’à un caillou.

C'est pour mieux te manger mon enfant.

Je sais ce que vous allez me dire: « Tu nous avais pas dit que c’était super rare en Nouvelle-Zélande un léopard de mer? ». C’est vrai mais qu’est ce que j’y peux moi si celui ci avait décidé de gonfler les statistiques? Bref on s’est retrouvé avec un gros phoque sur la plage. Comme je vous l’ai déjà dit l’état de santé d’un pinnipède n’est pas forcément évident pour l’œil du novice. Cependant notre léopard de mer n’étant pas resté bien longtemps et ayant laissé sur la plage un magnifique étron plein de plumes de manchots on ne s’est pas trop fait de soucis.

Fais comme chez toi...

Mais tout cela nous éloigne du point où je nous avais laissé la dernière fois! Souvenez vous, un miro rubisole au sexe indéterminé venait de s’envoler, ver de farine au bec, en direction de son nid! Il était effectivement temps qu’on ait une idée plus précise des nids que compte l’île car les bébés miros commencent à pousser un peu partout! Notre priorité du moment est donc de repartir de zéro en ce concentrant sur les couples qui n’avaient pas encore niché lors de notre premier passage. On garde un œil sur les nids connus mais ça va plus vite maintenant qu’ils sont indiqués depuis les sentiers. On passera à une toute nouvelle étape lorsque les poussins vont commencer à ressembler plus à un oiseau qu’à un bout de pizza perdu dans la cuisine de Loris…

On s'éloigne pas mal du bébé koala...

5 novembre

Les petits bouts de pizza continuent à moisir tranquillement dans leur nids. Nous en sommes maintenant à plus d’une centaine de nids actifs. Alors que certaines portées ont échouées et que leurs parents sont déjà en train de couver une nouvelle ponte d’autres couples n’ont même pas encore commencé un premier nid.

Prends ton temps surtout...

J’aime beaucoup l’étape « construction du nid » pendant laquelle le mâle, un ver de farine au bec, sautille gentiment derrière la femelle en train de se casser le popotin à ramasser des plumes de kiwis pour construire un nid. Les mâles de miros sont des vrais couillons en règle générale. Il y a celui qui appelle sa femelle avec un ver au bec. Puis mange son ver et fait un bisou. Ce qui laisse souvent la femelle assez perplexe… Celui qui se bat avec sa femelle pour attraper le ver que je leur lance et lui donne tout fièrement après lui avoir planté une griffe dans l’œil. Celui qui appelle la femelle lorsqu’il a un ver et la laisse faire le trajet jusqu’au nid pour nourrir les petits. Et puis ceux, plus tristes, qui parcourent leurs territoires en braillant comme des veaux en espérant que leur compagne qui dort-depuis-très-longtemps finisse par se réveiller…

Les yeux plus gros que le ventre.

Avec Tracey on songe à capturer en douce les femelles errantes dont le partenaire est allé nicher ailleurs et les relâcher dans les territoires des veufs. Mais la grande info du moment c’est cette photo que j’ai prise en rentrant au bercail un soir.

La main noire!

Une fois de plus les rats sont de retour sur Ulva. Depuis leur éradication un ou deux nuisibles atteignent l’île à la nage et les pièges reprennent du service. Tout le monde en parle en ville et pour cause. Les rats sont un problème dans tout le pays, mais sur les deux îles principales l’introduction des mustélidés contient la propagation des rongeurs. C’est d’ailleurs pour ça qu’ils ont été introduits mais le mal est parfois bien pire que le bien. C’est l’absence de mustélidés qui a permis à l’île Stewart de conserver des populations viables de kiwis et de strigops kakapos plus longtemps que sur les îles du Sud et du Nord. L’absence de prédateurs a cependant permis aux très nombreux rats de pulluler de manière démesurée. Par conséquent la raréfaction des espèces sur Stewart s’est faite de manière plus détournée. À l’inverse d’un furet, un rat ne pourra jamais venir à bout d’un kiwi ou strigops adulte. Mais les rongeurs ont un goût plus que prononcé pour leur œufs… De plus les rongeurs se régalent d’à peu près toutes les graines de la forêt et la végétation de certains îlots environnants a déjà été totalement dévastée. Une autre absence est remarquable dès les premières nuits passés sur Ulva. Celle des invertébrés et lézards. Dans tout le pays leur diversité est extraordinaire mais ici je m’estime heureux lorsque j’aperçois le moindre petit wéta. Bref l’éradication des rats est la clef de la conservation des espèces uniques d’Ulva et est prise très au sérieux. Mais je ne me fait pas trop de soucis les employés du Department Of Conservation sont des pros dans ce domaine et devrait venir à bout des nouveaux venus assez rapidement. De mon coté je retourne à mon observation des bêtes sauvages en attendant que les poussins soient assez grands pour porter des bagues…

Des heures de traques et d'affuts en perspective...

9 novembre

Les parents ont beau y mettre toute leur motivation, les petits prennent leur temps pour pousser.

Une cuillère pour papa...

Du coup on profite des grandes marées pour accéder à des territoires habituellement innaccessibles.

Jusqu'au-boutistes!

Ce qui nous permettra de trouver un mâle qui refuse obstinément de donner son ver à la seule femelle de l’îlot et continuera désespérément à en appeler une autre jusqu’à ce que nous nous en allions à marée montante… En dehors des miros tout le petit monde d’Ulva joue au même jeu rigolo, j’ai aperçu mon premier kiwi diurne et une lionne de mer s’est installée au beau milieu du territoire de RY/PuM et PuPu/PuM.

Je repasserais surveiller leur territoire plus tard...

Comments (4) »