17 janvier
J’ai beau être déjà passé aux Philippines récemment, en y retournant directement depuis le Japon, le choc est de nouveau au rendez-vous. Après le calme ordonné et un peu froid des villes nippones, le chaos organisé des rues de Manille m’apporte une bouffée de chaleur très appréciée. Je suis de nouveau arrivé pile à temps pour les festivités du Black Nazarene, mais ce n’est pas cette année non plus que j’en profiterai réellement. En attendant le bus d’Aurélie pour Banaue on a observé tranquillement l’anarchie se mettre en place. Une fois le petit suricate partit, je me suis empressé de rentrer à l’hôtel avant que tout déplacement ne devienne impossible. Je devais me lever tôt pour retrouver mon amie Carmela le lendemain.
Mais qui est donc Carmela?
Lorsque j’ai cherché a m’impliquer dans des projets philippins l’an dernier, Carmela m’avait contacté pour que je l’assiste sur le terrain. Mais la Niňa en avait décidé autrement et j’avais dû me contenter de participer à l’Asian Waterbirds Census avec ma nouvelle amie. Cette année la saison sèche est vraiment sèche et j’ai pu lui apporter mon assistance.
Pour ce faire je devais déjà la retrouver et ce ne fût pas chose aisée. Je devais rencontrer un de ses collègues à proximité d’un pont suspendu, aux abords d’un village qui ne figure sur aucune carte. Le pont se situait sur la péninsule de Bataan. Vous allez finir par vous dire que je leur en veut mais si cette péninsule est célèbre, c’est pour les atrocités qui y ont été commises par les soldats japonais au cours de la deuxième guerre mondiale. La route qui menait à mon pont suspendu était jalonnée de bornes kilométriques qui rappelait le chemin parcouru par les soldats alliés, prisonniers des japonais, le long de la Marche de la Mort de Bataan.
Ma route passait également par l’étrange zone de Subic. Ancien site d’une base américaine, une portion de jungle jouxtant la baie de Subic est encerclée de barbelés et son accès est très réglementé. La zone présente un mélange de ville fantôme, de parc d’attraction, de base militaire et de réserve naturelle. Son statut particulier offre une protection toute relative à l’un des derniers gîtes d’une espèce en danger, le renard volant des Philippines. De loin, les plus grandes chauve-souris de la planète ressemblent à d’énormes fruits suspendus à un arbre effeuillé. En se rapprochant on découvre un amusant petit singe ailé à tête de chien.
Mais je n’ai pas vraiment eu le temps de descendre du bus, j’avais encore du chemin devant moi. Après un enchainement de moyens de locomotion de plus en plus petits et miteux, j’arrivais enfin à mon pont. Là je fus accueillis par Carmela en personne qui me guida jusqu’au petit village Aeta de Kanawan.
Ils avaient même sortit l'arc-en-ciel pour l'occasion.
Les Aetas sont un peuple faisant partie d’un groupe ethnique appelés les Négritos. Ils sont considérés comme les premiers habitants des Philippines et y seraient arrivés à pied à une époque où les îles étaient encore reliées au continent. Ils ont généralement la peau sombre et les cheveux crépus, sont encore plus petit que le philippin moyen et sont les victimes d’une ségrégation raciale à grande ampleur. Pour ma part, avec ma tête de Négrito géant albinos j’ai été très bien accueilli.
Surtout par les mioches.
Une fois les marmots couchés les adultes ont sortit deux bouteilles d’Emperador et un litre de Red Horse qui nous ont aidé à franchir les barrières de la langue. La bière était tiède alors on a emprunté un petit peu de la glace qui servait à maintenir l’antivenin de cobra au frais. Un bon sens des priorités les Aetas… Notre hôte s’appelait Eduardo mais tout le monde l’appelle « Mang Ed ». Habituellement son revenu vient principalement de la collecte de miel sauvage dans la jungle environnante mais Carmela lui a trouvé un tout autre boulot.
Mon lit chez Eduardo.
Après une bonne nuit de sommeil nous avons empaqueté tout le nécessaire pour une semaine d’expédition et avons pris la route. Nous avons traversé des forêts morcelées par différentes petites plantations et sommes arrivés à un petit campement dans une clairière à l’orée de la jungle. Ce campement est habituellement utilisé par Mang Ed lorsqu’il passe plusieurs jours dans la jungle. Notre équipe était composé d’Eduardo, de deux de ses enfants, Boboy et Totoy, de son ami Bert, de deux Aetas venant d’une autre tribu, Bobby et Rodrigo « Brux », ainsi que de Carmela et de son ancienne élève et désormais collègue Joni.
Un petit paquet de monde!
Il est temps que je vous parle de la raison d’une telle expédition.
Avec près de sept milles îles et un climat tropical, les Philippines possèdent l’une des biodiversités les plus riches de la planète. Malheureusement le plupart des espèces animales du pays sont menacées par la déforestation, le braconnage ou n’ont tout bonnement pas encore été découvertes. Très peu de biologistes travaillent dans ce pays alors que le besoin d’y effectuer des recherches est à la fois très important et très urgent. De son côté Carmela a décidé de s’attaquer à la titanesque tâche de répertorier la densité des populations de perroquets, de pigeons et de calaos survivants dans les forêts de l’île la plus peuplée de l’archipel, Luçon.
Un exemple des trois familles étudiées pour ceux qui sont largués.
Une psittacule lunulée.
Un colombar Pompadour.
Une femelle de calao de Manille.
Ces trois espèces sont parmi les plus communes mais plusieurs autres sont très menacées ou ont peut-être même déjà disparu de l’île. De plus la forêt dans laquelle nous travaillions étaient en très mauvais état. Anciennement surexploitée, la coupe du bois y est désormais officiellement interdit. Ça ne nous empêchait pas de croiser tous les jours des buffles d’eau tractant des stères de jeunes troncs fraichement coupés…
Mais revenons en au boulot, une journée type se déroulait comme suit. Aux aurores, Bobby réveillait tout le monde avec une imitation peu convaincante du coq sauvage. Les Aetas ont l’ahurissante particularité d’être quasiment en train de rigoler en permanence. Et parmi eux Bobby arrivait tout de même à sortir du lot comme le clown de service.
Même les corvées le faisait marrer...
Les imitations de chant d’oiseaux sont quand à elles aussi naturelles pour un Aeta que la connaissance du procédé de fabrication de la bière l’est pour un Belge. Ils sont tout bonnement impressionnants et ne se privaient pas de se moquer de mes imitations ratées de cris de geckos tokay et de roucoulements de phapitréron à oreillons blancs. J’ai pris ma revanche en leur sortant deux trois mots de français pas piqués des hannetons qu’ils n’ont jamais été capables de répéter correctement.
Une fois tous bien réveillés, nous partions en équipes de trois ou quatre en randonnée à travers la jungle sur les cendres de la dernière éruption du Pinatubo. Le plan consistait à suivre des chemins de deux à trois kilomètres de long et d’y repérer la présence du plus grands nombre d’oiseaux possible. Dans la jungle on ne voit pas bien loin et la plupart du temps nous ne devinions la présence des emplumés que grâce à leurs chants. Il y a certaines espèces que j’ai entendu à plusieurs reprises mais que je n’ai jamais vu.
Circulez y a rien à voir!
Tout les quatre cent mètres, le long de nos chemins nous effectuions des mesures dans un rectangle de vingt mètres sur dix appelé le plot. Le but était d’enregistrer des données botaniques, météorologiques et paysagères en espérant pouvoir les associer plus tard à la présence ou l’absence de certaines espèces d’oiseaux.
Nos données dépendaient fortement de l’activité des oiseaux. Si les oiseaux ne chantaient pas il nous était impossible de les repérer au milieu de la canopée. Or la plupart des volatiles sont silencieux en milieux de journée.
Du coup nous aussi passions en mode inactifs.
La répartition des tâches au sein des équipes était la suivante. Un ainé Aeta, généralement Ed ou Bert, qui connaissait la forêt ouvrait la marche et repérait les oiseaux. Joni ou Carmela suivaient et prenaient des notes. Un jeune Aeta fermait la marche et comptait ses pas pour repérer les fameux plots tout les quatre cent mètres. De tous, Mang Ed était certainement le plus extraordinaire. Il possédait un don qui rendait le travail de Carmella bien plus aisé.
« Je viens d'entendre un calao manger une figue à un kilomètre dans cette direction. »
Et si le vent va dans le bon sens il vous donne la variété de figue. J’exagère à peine mais Eduardo était véritablement impressionnant. Il aurait pu se balader les yeux bandés dans la jungle sans jamais se perdre. Cependant j’ai eu la rare opportunité de lui faire découvrir un animal dont il ne connaissait même pas l’existence!
Dans sa propre forêt!
Je ne peux toutefois pas trop frimer car ce sont les yeux d’Eduardo qui nous ont évité le drame de la semaine.
Lorsque Brux a écarté la branche où se reposait la vipère qu’il n’avait pas repéré, l’animal était probablement profondément endormis. De plus elle venait visiblement de dévorer une belle proie et la digestion ralentissait ses réflexes. C’est probablement ce qui m’a sauvé lorsque je fus le second a écarter sa branche. Le serpent en eu visiblement assez et se mit en position d’attaque. C’est ce très faible mouvement qui permit à Eduardo de repérer l’animal, et par là même de retenir Joni qui y aurait laissé son bras.
Au final on aurait peut-être pu boire notre bière tiède...
Je ne pourrais jamais faire aussi bien mais le dernier jour j’ai offert aux filles un petit extra dont je ne suis pas peu fier.
Angry birds level 37.