21 décembre
C’est sous la neige que j’ai quitté Heuksando pour rejoindre Séoul où je suis repassé voir celle qui m’a donné un prétexte pour visiter cet étonnant pays. Après un agréable week-end et une nuit complète à compenser mon manque de discussions je suis partit pour le bled de Yesan. C’est dans un centre de soin pour la vie sauvage, à proximité de ce patelin, que Hee-Jong, l’ancien vétérinaire sur Heuksando, a trouvé un nouveau poste.
Si j’avais su à quoi m’attendre j’aurai sûrement prévu d’y passer plus de temps… Je m’attendais à une poignée d’oiseaux misérables dans de petites cages comme sur Heuksando, mais j’ai été agréablement surpris. Le centre récupère toutes sortes de bestioles et Hee-Jong a commencé par me présenter les poilus. Un couple d’hydropotes partageaient un box. Derrière ce nom rigolo se cachent des sortes de chevreuils dont les mâles arborent d’impressionnantes canines, à la manière des tigres à dents de sabre de la préhistoire. C’est un animal globalement menacé mais relativement commun en Corée. J’ai pu en observer deux lors de mes errances à travers le pays. Le mâle du centre de soin avait l’air de profiter tranquilou de sa convalescence mais la femelle semblait s’être pris un semi-remorque dans les dents… Il relâcheront les deux mais la demoiselle risque de boiter à vie. Puis vint le tour des chiens viverrins.
Les chiens viverrins sont assez commun en Corée et se retrouvent donc régulièrement dans les locaux du centre de soins. La plupart dormaient profondément ou nous regardais apeurés mais trois d’entre eux étaient atrocement mignons. Incroyablement curieux ils peuvent passer des heures juste à vous renifler.
On enchaina par la visite aux emplumés. Des serres de tailles raisonnables abritaient différentes espèces d’oiseaux. Les plus impressionnants étaient les huits grands-ducs! La plupart se portent assez bien pour pouvoir être relâchés mais certains ont des problèmes trop sérieux et n’iront plus jamais hanter les forêts coréennes. Pour d’autres oiseaux comme les ninoxes hirsutes et le rolle oriental, qui devraient être aux Philippines en ce moment, Hee-Jong attend le printemps pour les relâcher.
Vint ensuite l’heure des entrainements pour les oiseaux de « démonstration ». Quelques rapaces ne sont pas en état de survivre correctement dans la nature mais peuvent tout de même voler. Histoire de leur dérouiller les ailes et, je pense aussi, de se faire plaisir, le personnel du centre les entraine tous les jours à la fauconnerie.
Ninja!
Ce petit mâle de faucon crécerelle en est à sa deuxième phase d’apprentissage. La première phase consiste à habituer l’oiseau à être manipuler, à se poser et se nourrir sur le gant. Cette phase est habituellement effectuée en intérieur. Pour mémoire, Haneuli, la buse captive d’Heuksando en est toujours à cette étape.
Ninja, le petit faucon, est passé au stade suivant et peut maintenant voler librement en extérieur. Enfin pas tout-à-fait, comme il n’en est qu’à ses débuts, on l’attache au bout d’une ligne de cane à pêche à moulinet.
Ça n’a pas l’air de trop le déranger.
Le terme de cet apprentissage est atteint si l’oiseau vient systématiquement se poser sur le gant du fauconnier lorsque ce dernier le siffle. Pour s’assurer que cette habitude s’enfonce dans son petit crâne de piaf, on le récompense avec un poussin comme casse-croûte. Mais attention, si le rapace veut se libérer de sa cane à pêche, il ne doit se poser sur le gant que lorsque son entraineur le siffle.
Ce que fait très bien cette buse.
Une fois bien entrainés, les oiseaux sont utilisés comme ambassadeurs de la cause aviaire lors d’animations. J’ai ensuite eu droit à une visite des aspects plus « cliniques » du centre. Les employés reçoivent toutes sortent d’animaux que n’importe qui peut trouver. Et quel que soit l’animal, les employés le soignent sans se poser de questions. Que ce soit un pigeon ou un rare vautour. Si la cause est perdue l’animal est euthanasié. Il arrive également qu’on leur envoie des animaux qui meurent au cours du trajet. Tous les cadavres sont toutefois disséqués. Une pratique que j’ai trouvé intéressante concerne les oiseaux. Lorsqu’ils disposent d’un cadavre, les employés conservent les plumes de la queue ou des ailes dans leur configuration originale. Si un oiseau de la même espèce est trouvé un jour et qu’il lui manque des plumes, on lui greffera celles disponibles selon la configuration adéquate.
Le centre abritent différents oiseaux en convalescences. Certains n’en sortiront probablement jamais, tel ce petit-duc d’Orient au comportement assez…
étrange…
Hee-Jong pense que ce type de trouble résulte d’un problème au niveau des oreilles, responsables comme vous le savez, de l’équilibre d’un animal. La chirurgie nécessaire à une éventuelle guérison est largement au dessus des capacités du centre. Une magnifique bondrée orientale souffre également d’une infection au niveau des serres. Les dégâts sont tellement avancés que les doigts de l’oiseau sont déformés et il ne peut plus saisir ses proies correctement. Cela n’affecte pas ses capacités au vol et vous l’aurez deviné, Hee-Jong compte inscrire le magnifique rapace à ses cours de fauconnerie.
De leur coté, les chiens viverrins coréens sont souvent les victimes d’un parasite qui détruit leur peau. Bien que l’issu puisse être fatale, le traitement est simple et la plupart des animaux retournent assez vite gambader dans les sous-bois.
D’ailleurs il a fallu aller les nourrir les petites bêtes. Et les crapules ont beau être mignonnes, elles n’en restent pas moins des prédateurs. Il est hors de questions de nourrir les toutous avec des croquettes ou même des poussins, ça les habituerait à chaparder chez les humains. Heureusement que le centre reçoit un apport quotidien en carcasses d’hydropotes ou de lièvres coréens. Pour ne pas les habituer à être nourri à la main nous ne leur donnions qu’une tête de lièvre à chacun et cachions le reste sous des tas de feuilles mortes. Bien entendu il y avait un petit malin pour déterrer les têtes une à une et les entasser dans un coin. Ce fût long…
Après cela il fut temps pour moi d’entamer un pèlerinage vers l’édifice dont la renommée éveilla en mon esprit un début d’intérêt pour ce pays. Un ouvrage qui attira un ornithologue australien à Miranda en ce fameux jour que je ne cesse de ressasser. Rappelez-vous, la construction d’une digue avait asséché une immense vasière, ce qui fût probablement à l’origine de la disparition de milliers d’oiseaux migrateurs.
La baie de Saemangeum (새만금) attirait auparavant des quantités astronomiques de migrateurs qui se gavaient de coquillages avant de s’envoler pour l’Australie. Or le gouvernement coréen avait décidé de construire un mur pour empêcher la mer de recouvrir la vasière à chaque marée. Privés d’eau, les mollusques ont été décimés et les oiseaux ont disparu… Comme prévu le spectacle était désolant. Bien entendu la saison ne m’aurait pas permis d’observer de limicoles mais l’aridité des terres asséchées laisse aisément penser qu’aucun pluvier ne peut plus y trouver quoique ce soit à manger. Les autorités locales ont l’air ravi et les plans des futurs casinos apparaissent sur toutes les cartes de la ville…
La ville en question s’appelle Gunsan (군산시) et fort heureusement elle abrite toujours un animal qui mérite de faire un détour par la région.
La sarcelle élégante est un petit canard qui s’éparpille à travers la Sibérie chaque été pour s’y reproduire. Chaque hiver, l’immense majorité des individus de cette espèce se réunissent en différent point de Corée. Ces rassemblements peuvent parfois compter plusieurs centaines de milliers d’individus. Lors de mon passage à Gunsan, cent mille sarcelles était réunies sur la rivière Geum (금강) qui coule à proximité. Le spectacle est très difficile à décrire. Toute la journée les canards forment une sorte de tapis grouillant à la surface de l’eau. Une vision déjà assez déroutante. Mais lorsque le soleil s’approche de l’horizon, les oiseaux se préparent à quitter le cours d’eau. À intervalles irrégulières mais de plus en plus fréquentes, des centaines de sarcelles vont s’envoler en un bond impressionnant. La force de l’envol entraine une giclée d’eau magnifique qui s’irise aux couleurs du soleil couchant. Tout les oiseaux vont suivre le mouvement et former une masse gigantesque. La masse prend des formes farfelues et, selon la synchronisation des sarcelles, va disparaitre par endroit on se strier d’éclairs dorés. Les premiers envols sont courts, mais plus le temps passe et moins les canards semblent enclins à se reposer sur l’eau. Finalement, juste avant que la nuit tombe, les oiseaux s’étalent en une bande longue de plus d’un kilomètre et vous survolent à vive allure en direction des champs avoisinants. C’est là qu’ils passeront la nuit à se nourrir.
Mais les sarcelles élégantes ne sont pas les seuls oiseaux à venir en grand nombre pour passer l’hiver en Corée. À travers tout le pays j’ai été impressionné par la présence de quantité d’oiseaux absents à mon arrivée. Il ne se trouve pas une flaque sans que des canards de toutes sortes y barbotent. Chaque soir, le ciel est constellé par les vols en V de milliers d’oies sauvages. À mon humble avis une raison est particulièrement liée à la présence merveilleuse de tous ses oiseaux. Les chasseurs sont quasi inexistant dans le pays. Particulièrement les abrutis finis qui passent leurs journées à picoler au bord d’une mare en mitraillant les pauvres oiseaux qui viennent s’y poser, et arrivent encore à prétendre qu’il s’agit d’un sport… La situation environnementale en Corée est catastrophique mais on peut au moins leur accorder ce bon point. En l’absence de ces têtes pleines de pinard, je suis persuadé qu’en France aussi on pourrait jouir du merveilleux spectacle de ces hivernants.
Outre les sarcelles élégantes, un autre visiteur d’hiver est particulièrement apprécié par les coréen: la grue. Dans la baie de Suncheon (순천만), j’ai pu observer des centaines de grues moines, une poignée de grues à cous blancs et même une grue cendrée. Celle-là vous pouvez aller en observer des milliers en ce moment même au lac du Der. Tout comme les sarcelles élégantes, chaque espèce de grue a tendance à se rendre en un petit nombre de sites bien précis chaque hiver. Par conséquent ces endroits sont très protégés et il y est interdit de s’approcher des oiseaux.
Pour mes derniers jours dans le pays, je me suis dit qu’il était peut-être temps que je laisse les bestioles locales un peu tranquilles. Je me suis donc rendu dans la ville historique de Gyeongju (경주시). Ironiquement j’y suis arrivé le jour d’un événement historique: l’annonce du décès de Kim Jong-Il (김정일). Je ne m’attarderais pas sur les relations entre les deux Corées, on verra ça quand je me rendrais en Corée du Nord. J’ai tout de même été étonné par les réactions locales à l’annonce de ce décès. Ou plutôt l’absence de réactions. Bien entendu les journaux télévisés ne parlent que de ça mais la majorité de la population semblent ne pas y prêter attention. Pour grand nombre de sud-coréen, la disparition du leader ennemi ne changera rien à la situation actuelle. Pour les plus pessimistes les membres du gouvernement nord-coréen pourrait y trouver un prétexte pour rappeler à tout le monde à quel point ils sont de dangereux abrutis.
Mais retournons à Gyeongju, l’ancienne capitale du royaume de Silla (신라).
L’origine de la Corée est assez floue mais commence à s’éclaircir lors de la période dite des « Trois Royaumes ». Un titre qui fait référence aux royaumes de Silla, Paekche (백제) et Koguryŏ (고구려) qui occupaient la péninsule au premier siècle avant Jean-Claude. Bien entendu tout ce petit monde se foutait joyeusement sur la gueule. Cependant dès le sixième siècle, le royaume de Silla annexe le royaume de Paekche et au septième, aidé par la Chine, il fait de même avec celui de Koguryŏ. Les sud-coréens se considèrent comme les descendants de la dynastie Silla et parlent donc de ces annexions comme d’une « unification ». Les nord-coréens se disent d’ascendance Koguryŏ et parlent donc plutôt d’« invasion ».
La suite n’est pas claire du tout… Sous la dynastie Silla, la Corée connait un âge d’or et tout le monde semble heureux dans une Corée où tout le monde s’aime. Pourtant les descendants de Koguryŏ continuent de diriger des territoires au Nord de la péninsule et à résister encore et toujours aux envahisseurs Silla et chinois. Il semblerait que l’idée d’une Corée unie durant cette période date en réalité de la partition de la péninsule en 1945…
Le royaume de Silla connait une longévité toute à fait honorable mais au dixième siècle la dynastie régnante ne contrôle plus vraiment grand-chose et cède son pouvoir au général Wanggeon (왕건) . Bien entendu plusieurs petits malins tentent d’en profiter pour créer leurs propres petits royaumes. Mais Wanggeon calme tout-le-monde d’entrée de jeu à grands coups d’« unifications ». À mon avis tout-à-fait personnel c’est lui qui unifie la Corée pour la première fois. Assez malin pour intégrer des descendants des trois royaumes à son gouvernement, il crée la dynastie Goryo (고려). Une dynastie qui ne tiendra pas très bien la route et qui, comme beaucoup, se prendra une bonne claque mongole au treizième siècle. Ils occuperont le pays pendant plus d’un siècle tandis que les souverains Goryo se planquent sur des îles du Sud.
Le quatorzième siècle fut un sacré bordel en Corée et je n’ai toujours pas bien tout compris à ce qui s’y est passé. Ce qui est sûr c’est qu’en 1392, le général Yi Seonggye (이성계) tue tout le monde, prend le pouvoir et fonde la dynastie Joseon (조선국). Une dynastie qui est souvent citée parmi les plus longues de l’histoire de l’humanité puisqu’elle fut aux commandes du pays jusqu’en 1910!
Bon je vous ai résumé tout ça à ma sauce mais au final ce qui nous intéresse c’est la dynastie Silla puisque j’ai visité leur capitale. J’aurai bien voulu faire mieux mais entre les diverses invasions mongoles ou japonaises et la guerre de Corée il ne reste pas grand chose des gloires passées…
L’un des aspects les plus important de la période Silla est l’avènement du bouddhisme en Corée. Je suis donc allé visité le très joli temple de Bulguksa (불국사) et le magnifique bouddha de la grotte de Seokguram (석굴암).
Je ne suis pas très fan de bouddhas de la région car ils ont tendance à être tout dorés dans un décor ultra kitsch. Mais celui de Seokguram est un chef d’œuvre en pierre joliment placé dans un grotte parfaitement aménagée et décorée.
Après la visite d’un chouette musée j’ai enfin pu dissiper une partie des brumes qui recouvrent une pratique culturelle très étrange, propre à la région…
Les cimetières sont quasi-inexistants en Corée et ce que l’on trouve datent généralement de l’expansion du christianisme. Mais encore maintenant enterrer ses morts n’importe où semble être la coutume la plus fréquente. On trouve des tombes coréennes n’importe où dans le pays, parfois même dans des jardins. Elles consistent généralement en un petit tumulus recouvert de gazon. C’est tout. On peut s’estimer heureux lorsqu’on trouve un pavé sans inscriptions à côté. C’est assez troublant car à la moindre bosse que l’on gravit en forêt on se demande si on ne piétine pas une sépulture… Plus étonnant encore, la pratique est la même pour un individu de sang royal. La seule différence se trouve dans la taille des tumulus, mais là encore aucune inscription ne nous indique qui mange les pissenlits par la racine. Et puis cela faisait maintenant trois mois que je me demandais ce que l’on pouvait trouver sous les petits monticules. En ce qui concerne le simple quidam je n’en ai toujours aucune idée mais pour les rois je suis fixé. Gyeongju ayant été la capitale d’un royaume on trouve des petites collines un peu partout en ville. L’une d’entre elle est une réplique dans laquelle on peut observer la reconstitution d’une chambre funéraire. On apprend ainsi qu’une petite chambre en bois se situe à la base du tumulus. Cette chambre contient toutes les bricoles dont le défunt aura besoin dans l’autre monde. Et au milieu du bric-à-brac se trouve un cercueil où repose l’ancien souverain dans ses plus belles parures.
Mystère résolu, je peux quitter le pays l’esprit léger.