Archive for Russie (2014)

Напасашок !

7 septembre

 

Il a fallu quasiment deux semaines à Nikolaï pour réapparaitre à la station. Du coup il nous a été impossible d’aller nous balader de notre côté. Ce qui n’était pas si gênant que ça non plus vu l’évolution de la météo. On est passé en quelques jours des tee-shirts aux pulls, la première tournée des filets de la journée se fait en marchant sur le givre et les baignades dans le lac ne consistent plus qu’en un rapide rinçage de la sueur du banya. Les oiseaux sentent eux aussi l’hiver venir et c’est maintenant par centaines que nous observons les mésanges, pouillots et compagnie dévorer toutes les chenilles qu’ils peuvent trouver sur leur route vers le Sud. Une mésange noire est même rentrée toute seule dans le wagon pour venir chercher sa bague ! Mais si la quantité d’oiseaux qui nous entourent augmente le nombre de capture reste stable. On ne s’en plaint pas trop et les oiseaux rares comme les énigmatiques bouscarles de David et de Taczanoswcki remplissent facilement nos journées.

Et j'ai enfin capturé mon pouillot de Pallas !

Et j’ai enfin capturé mon pouillot de Pallas !

Au final notre attente tranquille au wagon de Mishiha aura largement été récompensé par Yuri. Il est venu nous y chercher pour nous emmener au delta de la Selenga (Селенга), une des perles du lac. La Selenga prend sa source en Mongolie et pour vous donner une idée du bestiau sachez que l’eau qui coule de sa source doit parcourir plus de cinq mille kilomètres avant d’atteindre l’Océan. On est encore loin de l’Amazone ou du Nil mais quand même. Et le delta qui se forme à l’arrivée de cette eau au niveau du lac Baïkal couvre une surface tout aussi respectable, même si elle a réduit de moitié depuis la construction d’un barrage. Comme souvent avec une zone humide aussi importante, le delta constitue l’habitat permanent comme provisoire de nombreuses espèces animales. Immanquablement ce site a été classé d’intérêt prioritaire par la convention RAMSAR qui vise à protéger les zones humides à travers la planète.

Généralement des endroits super moches.

Généralement des endroits super moches.

Au beau milieu du delta on trouve la zakaznik (Заказник) de Kabansk. Ne me demandez pas ce qu’est une zakaznik, je n’ai toujours pas bien saisi. En tout cas elle est en grande partie administrée par la réserve naturelle où nous travaillons. Yuri devait d’ailleurs s’y rendre pour récupérer des appareils photo automatiques qu’il avait placés à proximité de nids de pygargues à queues blanches. Se balader dans le labyrinthe de canaux et de roselières sous le vol des aigles, des busards d’Orient et de milliers d’oies, de cygnes et de canards est tout simplement extraordinaire. Chaque recoin d’eau stagnante abrite des dizaines d’anatidés qui s’envolent à notre approche. Et les buissons ne sont pas en reste, grouillant de bruants et des magnifiques mésanges azurées.

Pour se déplacer plus simplement entre les bras morts, les tapis de nénuphars et les barrières de roseaux, on emprunte un moyen de transport que je n’avais encore jamais testé.

L'aéroglisseur !

L’aéroglisseur !

Une bonne journée à s’en mettre plein la vue en attendant le départ vers d’autres contrées.

 

 

 

 

 

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Disneyland

24 aout

 

Comme on a bien bossé ces dernières semaines il était assez légitime que nous nous offrions des vacances. Yuri en prend justement en ce moment avec sa famille dans le superbe parc national de Tunkinsky (Тункинский).

Je n'ai pas plus dégeu comme photo...

Je n’ai pas plus dégeu comme photo…

Avec Thomas nous avons donc vivement accepté l’invitation qu’il nous avait faite de l’y rejoindre. Et pour se rendre à la frontière avec la Mongolie il n’y a pas trente-six solutions, nous avons sorti nos pouces de nos poches. Faire du stop en Sibérie n’est ni bien compliqué ni inhabituel. Vous imaginez bien qu’avec le service de transports publics disponible ici tendre le pouce est une pratique courante. Par contre dans une région où le concept de licence de taxi en ferait rigoler plus d’un il est important de se mettre d’accord avec votre chauffeur avant de monter dans son véhicule. Certains vous offrent le trajet à un prix exorbitant car ils se tapent l’aller-retour, d’autres vous demandent une participation qui revient souvent moins cher qu’une place à bord d’une marshroutka mais la plupart ne vous demandent rien. Le plus frustrant pour moi reste que l’intérêt de l’autostop vient des discussions imprévisibles échangées avec des chauffeurs issus de la région. Or même si notre niveau de russe commence à être respectable on est loin de pouvoir refaire l’Ukraine avec les locaux…

Le trajet fut malgré tout bien sympathique et c’était quand même super agréable de reprendre un peu la route. Arrivés à Kuren (Курен) nous avons retrouvé Yuri chez son ami Alekseï. Alekseï travaille pour le parc national et nous a fait faire une petite visite du bureau pour nous apprendre tout plein de trucs super intéressant, notamment sur le fonctionnement du parc.

On essaie de ne pas se laisser distraire par la sitelle qui fait son intéressante.

On essaie de ne pas se laisser distraire par la sitelle qui fait son intéressante.

Contrairement à chez nous les parcs nationaux russes sont habités. Il y est autorisé tout plein d’activités diverses y compris la chasse ou la pêche. En gros ils ressemblent plus aux parcs naturels régionaux de chez nous, les habitants étant contraint de respecter certaines mesures pour préserver l’environnement. Mais à part le fait qu’il y est interdit d’ouvrir une centrale nucléaire ou une fabrique de pneus la législation est assez légère.

Le camping sauvage y est largement toléré et pratiqué à outrance. D’ailleurs Thomas et moi nous sommes installés sur les berges sablonneuses d’une magnifique rivière pour camper. Avec Yuri et son père nous avons aussi essayé d’y pêcher mais il est possible que l’absence complète de gestion piscicole ait eu raison des poissons du coin. N’en déplaise au jeune cormoran qui avait quand même l’air bien repu sur son caillou, l’abondance de pêcheurs était assez sidérante.

Mais l’activité principale reste la randonnée. Le parc accueille un bon paquet de touristes et plusieurs sentiers permettent de le parcourir à pied, à cheval ou même en canoë. Pour notre part nous avions prévu de gravir les montagnes à la frontière nord du parc. Les sommets hantés par les panthères des neiges culminent autour de trois mille mètres tandis que des sources d’eau minérale aux vertus diverses jaillissent un peu partout.

De quoi nous donner toute la motivation nécessaire pour nous lever aux aurores et entamer la longue marche sous une pluie battante. Tellement battante qu’après quelques heures à se faire tremper notre motivation s’est facilement envolée… Nous avons donc décidé de nous réfugier sous un abri au pied des montagnes en espérant une accalmie.

Allumer un feu sous la pluie est un très bon moyen de passer le temps.

Allumer un feu sous la pluie est un très bon moyen de passer le temps.

Au final la pluie ne s’est pas calmée et l’état des randonneurs qui redescendaient des montagnes n’auguraient rien de bon. Thomas nous en a déniché deux qui partaient justement en direction de Mishiha et nous les avons donc raccompagné jusqu’à leur voiture. Un trajet contre une nuit tranquille dans une tente chauffée au bord du lac Baïkal et nous voici de retour bien au chaud à la maison.

Nikolaï en a profité pour rentrer chez lui en nous laissant les clés et le soin de faire tourner la boutique. Ce qu’on fait tranquillement entre réparations des filets et baignades dans le lac.Chez les oiseaux la quantité n’est toujours pas là mais la diversité est au rendez-vous, le Big Trap piégeant son lot quotidien de pipits de Richard, pipits des arbres ou hirondelles rustiques.

Et plus une seule pie-grièche !

Et plus une seule pie-grièche !

 

 

 

 

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Les naufragés du Baïkal

17 aout

 

Nikolaï a frôlé l’overdose de sociabilisation ces derniers jours et il découche. Il s’est installé dans une grande tente à l’écart dans notre jardin. Il faut dire que nos deux auto-stoppeuses étaient déjà assez présentes mais quand une colonie de vacances est venue s’installer elle aussi sur notre gazon ça devenait sacrément bondé dans notre petit campement.

The place to be.

The place to be.

Quand on sait à quel point il a été dur pour moi de pouvoir finalement venir travailler ici c’est assez déroutant de voir avec quelle facilité deux touristes russes peuvent squatter tranquilou pendant une semaine. Je sais pour avoir un peu initié leurs candidatures qu’une flopée de gens très qualifiés venant d’un peu partout ne demandent qu’à venir tricoter dans les filets mais les soucis administratifs ajoutés à ceux de communications font qu’au final on ne voit venir que des étudiantes en design…

Mais toutes les bonnes volontés sont bonnes à prendre quand on constate l’intensification de la migration. La toundra est en train de se vider de son avifaune et ça pépie à tout va autour de Mishiha. On ne trouve plus un arbuste sans au moins une pie-grièche perchée dessus, impossible de faire un pas sans soulever des dizaines de bergeronnettes et pipits, les buissons voient défiler quantité de bruants, pouillots, locustelles et rousserolles de toutes plumes.

Il est plus que temps que notre Big Trap soit fonctionnel et aujourd’hui ce n’est pas loin d’être le cas. À vrai dire on l’a déjà ouvert et, même s’il reste quelques fignolages à effectuer pour améliorer nos chances de capture, tous les jours nous retrouvons quelques volatiles dans nos volières.

Même si pour l'essentiel ce sont des pie-grièches.

Même si pour l’essentiel ce sont des pie-grièches.

Beaucoup d’entre vous ne connaissent pas le séduisant barbu à ma gauche mais je pense que vous vous doutez tous qu’il n’est ni une autostoppeuse ni un écolier. Ce séduisant barbu s’appelle Thomas et je l’ai rencontré il y a presque deux ans lors d’un séminaire qui allait nous amener à nous retrouver sur le même bateau, celui qui s’est frotté d’un peu trop près à un caillou de l’archipel Crozet. Thomas a hiverné aux Kerguelen où il a occupé le même poste qu’un autre séduisant barbu, François, occupait sur Amsterdam, celui assez flou de Gener. Mais alors que vient-il faire dans un traquenard d’ornithologues ravis de trouver de nouveaux doigts pour nourrir leurs pie-grièches ? Et bien à force de détermination même un logisticien peut venir filer un petit coup de main par ici. Et de la détermination, quand il s’agit d’aller tremper son popotin tous les jours dans le lac Baïkal, Thomas en a. Malgré les oiseaux un peu caractériels et les coutumes locales parfois déroutantes, j’ai désormais un compagnon de séjour avec qui la communication n’est pas un calvaire.

S’il n’est pas encore capable de différencier un pouillot d’une locustelle, notre nouveau colocataire sait se rendre utile. Entre couture et démaillage, on trouve même le temps de bricoler un peu et on s’est fixé l’objectif de créer de toutes pièces des embarcations de fortune. Thomas dans le but de pêcher au large, moi dans celui de pouvoir enfin me baigner avec les phoques.

Ah oui j'ai oublié de vous parler des phoques...

Ah oui j’ai oublié de vous parler des phoques…

Si je vous mets une photo du nerpa miteux du musée de Kabansk (Кабанск, définitivement dans mon top dix des musées à visiter au moins une fois dans sa vie) c’est parce qu’il n’est pas franchement évident de les prendre en photo depuis la rive. On ne les aperçoit généralement que loin au large ou morts sur la berge. Dès que la surface du lac est calme je ne manque jamais une occasion d’emmener mes jumelles au bord de l’eau et de regarder les phoques faire surface. J’ai même tenté de les approcher à la nage mais les pinnipèdes ne s’approchent pas des côtes et j’ai réalisé que je n’étais pas encore assez inconscient pour trop m’en éloigner.

Mais au fait, qu’est-ce qu’ils foutent là ces phoques ? Et bien personne n’est vraiment sûr… Certains prétendent que les seuls phoques de la planète vivant exclusivement en eau douce se seraient retrouvés coincés dans le lac après le retrait de la banquise qui a suivi la dernière glaciation. Mais d’autres envisagent que les animaux seraient arrivés après avoir remonté le cours d’eau qui quitte le lac. Quoi qu’il en soit ils sont là et bien là et ne courent à priori aucun risque d’extinction immédiat, même si les filets dérivants, la pollution et la chasse légale ou non continuent à en éliminer chaque année. Et puis moi ça me fait du bien après l’année que j’ai passée avec mes otaries, d’avoir des phoques dans les parages. Allez et puisque c’est vous je vous fais une petite piqure de rappel sur la différence entre les phoques et les otaries.

Exemple typique d'une otarie dans toute sa fière splendeur.

Exemple typique d’une otarie dans toute sa fière splendeur.

Pour commencer il y a les différences physiques, et je vais essayer de faire mieux que de vous dire qu’une otarie c’est superbe alors que les phoques sont laids comme des poux. La différence la plus connue se situe au niveau des oreilles. Elles sont visibles chez les otaries et invisibles chez les phoques. Ce qui peut se comprendre lorsqu’on entend le vacarme dans une colonie d’otaries et qu’on sait que la mère utilise une reconnaissance auditive pour son rejeton. Autre caractère physique très visible, les paluches. Les otaries ont des pattes avant très développées, ce qui leur permet de se mouvoir plus facilement au sol, alors que chez les phoques les pattes avant sont souvent ridiculement petites et ils se déplacent au sol par reptation. Le fait que les otaries passent plus de temps à terre que les phoques est d’ailleurs un critère assez constant de distinction entre les deux familles. Les phoques ne restent généralement à terre que pour la mise-bas et le nourrissage du petit qui se fait le plus fréquemment d’une traite sans que la mère ne le quitte, elle l’accompagne même souvent pour son premier bain. Les otaries vivent principalement en colonies denses où des individus sont présents quasiment toute l’année. La mère part régulièrement s’alimenter entre deux nourrissages du petit, qui part en mer tout seul comme un grand lorsqu’il est sevré.

Enfin on trouve le plus souvent les otaries moins loin des pôles que les phoques mais là il y a des exceptions. Ainsi il existait des otaries qui fréquentaient les eaux du détroit de Béring tandis qu’on trouve des phoques (de plus en plus rarement) sur les plages d’Hawaï, et même dans un lac perdu a milieu de la Sibérie…

Ceux qui ont bien suivi doivent pouvoir me dire si l'éléphant de mer est un phoque ou une otarie.

Ceux qui ont bien suivi doivent pouvoir me dire si l’éléphant de mer est un phoque ou une otarie.

 

 

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Ladyboys

10 aout

 

Selon Nikolaï il y a deux hivers en Sibérie, un blanc et un vert. D’une manière générale Vivaldi serait un peu largué par ici. Pour la plupart des autochtones tant qu’on ne peut pas rouler en quatre-quatre sur le lac gelé, l’hiver n’est pas encore arrivé.

Ainsi les signes qui sont chez nous synonymes de l’été sont visibles ici aussi. Les criquets bondissent sous nos pas, les jeunes lézards vivipares se dorent la pilule et les pouillots chantent gaiement. Sauf que dans le même temps un vent froid souffle depuis la toundra, on ramasse surtout des feuilles mortes dans les filets et les pie-grièches sont de retour.

Ô joie...

Ô joie…

Chaque fois qu’un biologiste est sur le terrain, il y a toujours une manipulation dont il se passerait bien. Les perruches de Sparrman en Nouvelle-Zélande, Tétanos sur l’île d’Amsterdam et, pour ceux qui ont bien suivi en Corée, les pie-grièches dans tout le paléarctique. Pour rappel, ces jolis petits passereaux ont déjà des habitudes charmantes sans mêmes que nous nous donnions la peine d’aller les embêter. Comme celle d’aller empaler leurs proies sur des épineux pour les déguster plus tard… Mais c’est vraiment entre nos mains câlines que les adorables volatiles dévoilent toute l’étendue de leur amabilité en enfoncant gaiement leur bec dans la chair de nos doigts avec la ferme intention d’être les derniers à lâcher prise.

Si jusqu’ici nos petites mimines vivaient sereinement, c’est parce que les pie-grèches symbolisent la raison même de l’existence de la station ornithologique de Mishiha, ce sont des oiseaux migrateurs ! Absolument aucun pie-grièche ne se reproduit autour du village, le dernier qui avait été capturé cette année le fût le quatre juin dernier, sur sa route vers les terrains de reproduction arctique où il allait brouter du lemming. Sauf que maintenant ça doit commencer à cailler là-haut et que le pèlerinage vers l’Inde n’est pas qu’un truc de hippie. Résultat les jeunes pie-grièches s’amoncellent sur les buissons qui nous entourent en attendant patiemment de recevoir leur petite bague. Sauf que sans Big Trap il est moins facile de satisfaire la demande, et sans volontaires il est moins facile de rafistoler le piège. Heureusement Yuri est là pour remplacer la troupe de bénévoles qui avait mouvementé notre quotidien pendant une semaine.

Au boulot !

Au boulot !

Pas plus biologistes que leurs prédécesseurs, Yuri nous a sorti de derrière les fagots la sœur d’un pote à sa femme (si si) et sa meilleure amie, Ulyana et Vera. Et non seulement elles étaient vraiment super sympathique mais en plus elles parlaient parfaitement anglais, un bonheur. La tâche qui leur incombait fut « naturellement » de s’armer de fils et d’aiguilles pour corriger les erreurs de coutures dans les filets qui composent le Big Trap. Mais la météo capricieuse ne leur a pas laissé le temps de venir à bout de la tâche monumentale et elles sont reparties chez elles hier sans jamais avoir vu le piège fonctionner. Fichtre foutre mais comment allons-nous parvenir à rendre ce Big Trap fonctionnel ! Fort heureusement deux nouvelles recrues, Marina et Dasha, ont succédé à nos amies le jour même. Elles n’ont plus ne sont pas biologistes, deux touristes en route vers Vladivostok, mais elles aussi sont des femmes, les rendant « naturellement » prédestinées au tricotage…

Même mes lecteurs les moins perspicaces auront noté dans mon dernier paragraphe les allusions manquant lourdement de subtilité quant à la condition de la femme russe. Cruellement en pane de nouveautés croustillantes dans mon petit quotidien, j’en profite pour un écart qui me tient doucement à cœur. Certains ne manqueraient pas de me faire remarquer qu’après avoir vécu trois mois en Corée et trainé mes panards au Japon, il est assez surprenant que la misoginie exotique me choque tellement. C’est peut-être parce que la culture générale de ces pays m’a paru aberrante dans son ensemble et pas seulement parce que, à mon sens, la femme y est considérée abusivement comme un objet.

De la même manière je sais bien qu’en France la misogynie est loin d’être anecdotique et je ne veux pas faire mon moralisateur ignare qui sort des insanités du style : « Non mais regardez-moi ces machos, ce n’est pas en France qu’on verrait une femme traitée comme ça ! ». Quelle que soit la forme ou l’origine géographique, les préjugés idiots sur d’absurdes inégalités entre les hommes et les femmes me donnent systématiquement des boutons.

Oui mais alors pourquoi ? Pourquoi aujourd’hui du fin fond de la Sibérie je me sens obligé de vous faire partager ma surprise ? Je vous passe la trop longue liste de ces petites phrases ou ces petits gestes qui sont ceux d’une fausse galanterie ou d’un paternalisme affligeant, ça c’est malheureusement quasi universel. Non, peut-être est-ce le fait que la culture russe me paraisse si proche de la mienne qui a rendu cette subtile différence si évidente, ce qui m’a frappé fût l’attitude des Russes en groupe mixte. Si un homme russe ne manquera jamais d’aller saluer sans exception tous les porteurs de roubignolles présents dans l’attroupement, il passera devant chaque femme en l’ignorant avec une application qui frôle la provocation. Je vous assure que c’est sidérant, il peut n’y avoir que deux poilus pour quinze gonzesses, ils se donneront des accolades frôlant l’appât à homophobe et n’auront même pas un regard pour leur compagnie féminine. Là je vous ai lâché le gros morceau mais comme ça m’a bien motivé je vais passer à une autre surprise, c’est cadeau.

Le poing (sic) de vue de la femme russe.

Le poing (sic) de vue de la femme russe.

Un aspect déroutant de ces petites réunions que je viens de vous décrire tient aussi du comportement des femmes présentes. Non seulement ne vont-elles pas saluer un seul des hommes présents, ce qui se comprend, mais les femmes ne s’accordent pas non plus entre elles un seul salut. Elles restent juste plantées là et ne prennent part aux discussions que quand un homme, généralement leur mari, leur adresse la parole, où qu’il est tellement plein de vodka qu’il est temps de le ramener à la maison. Bien entendu ce constat ne vaut généralement que pour les femmes que j’ai rencontrées ici, des femmes mariées issues du milieu rural. Il va de soi que les Moscovites ne se comportent pas toutes de la même manière et vous n’avez pas besoin de moi pour imaginer l’attitude des hommes en présence de femmes célibataires… Ainsi je vous citerai l’exemple de la femme de Yuri, qui ne manque jamais de me saluer alors que je n’ai jamais vu un seul russe lui adresser la parole. A l’inverse la jeune Dasha, qui était ici avec son camarade Ivan, semblait perdre tous ses moyens lorsque je lui adressai la parole, me plongeant dans une gêne importante, comme si je manquais à toutes les convenances. Deux cas intéressants furent également Olga (sur la photo précédente) et Vera, qui se veraient facilement attribuées en souriant le qualificatif de garçons manqués. Deux petits bouts de femmes citadines à la langue bien pendue qui n’hésitaient jamais à mettre en avant une certaine virilité. Et bien croyez le ou non mais les propos les plus machistes que j’ai entendus ici venaient d’elles, donnant parfois l’impression de renier leur féminité à travers des comportements prétendument très maculins et vociférant des « be a man ! » ou « it’s a girl thing ! » à tout va. Au point que j’ai très certainement manqué de subtilité en qualifiant Vera de misogyne en ricanant, mais il ne faut pas me pousser non plus.

La corvée de patates, une activité mixte.

La corvée de patates, une activité mixte.

Malgré tout il me semble important de nuancer mon propos, le choc culturel se fait souvent dans les deux sens et des comportements russes envers les femmes me mettent tout aussi mal à l’aise vis à vis du comportement de certains de mes compatriotes. Ainsi je me souviendrais longtemps de la stupéfaction des touristes français devant les tenues arborées par les jolies habitantes de Prague. Personnellement ce qui me choque c’est justement qu’en France ou ailleurs des hommes se comportent de telle manière à ce que nos filles n’osent plus s’habiller comme elles le souhaitent. Et il en va en Russie comme en république Tchèque, une fille en mini short ne fera jamais sourciller un passant, mais qu’un olibrius se permette une réflexion et une armée de chevaliers servants viendra lui enseigner les rudiments de la courtoisie locale. Et je ne parle même pas de Marina et Dasha qui arrivent de Moscou… en stop. Ce qui ne choque absolument personne ici.

Il est toujours dangereux de généraliser et je ne rappelerai jamais assez que ces réflexions ne sont issues que de mon expérience personnelle. On trouve de tout partout et les temps changent, avec eux les mœurs aussi. S’il n’y a qu’une chose qui ne doit jamais changer c’est que de voir une femme sourire, Russe ou Française, reste toujours infiniment plus beau que de la voir pleurer.

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Made in Russia

3 aout

 

Bien que les oiseaux que je capture me soient pour la plupart familiers, travailler sur ce site m’offre quand même l’occasion d’innover.

Enfin en théorie...

Enfin en théorie…

Ce que vous voyez sur cette photo n’est pas un touriste français qui prétend fièrement savoir se servir d’une faux, ça c’est pour l’échelle. La nouveauté c’est l’immense filet tendu au milieu de la prairie. Ici on l’appelle sobrement le « Big Trap » mais je ne pense pas qu’il ait de nom vraiment officiel. Celui de la photo a un problème majeur : on le voit sur la photo. Après deux ans de bons et loyaux services le filet de ce piège s’est délavé et est maintenant d’un blanc éclatant. Ce qui permet aux oiseaux de bien le voir pour être sûrs de ne pas se prendre dedans.

Alors je vous avoue que même peint à la façon des treillis camouflage que tout le monde porte ici, je reste très dubitatif quant à l’efficacité de ce piège que je n’ai jusqu’ici jamais vu fonctionner. Et pourtant mon estime pour l’intellect du passereau moyen n’est pas très élevée. Mais mes collègues persistent à essayer de me convaincre du contraire et prétendent que le piège atteint son efficacité maximum lorsque la météo est très mauvaise et que les oiseaux sont obligés de voler très bas. C’est un argument convaincant d’autant plus que ce genre de météo est généralement plutôt pénalisant pour nous. Dans un filet standard, les plumes des oiseaux capturés sont ébouriffées et ne le protège plus du froid et de l’humidité. Si nous laissions les filets ouverts sous la pluie ce serait l’hécatombe par hypothermie. Mais le Big Trap nous permet d’éviter ce genre de désagréments car les oiseaux qui s’y perdent finissent dans deux petites volières et leur plumage y reste bien ordonné.

Encore faut il qu'ils arrivent jusque là.

Encore faut il qu’ils arrivent jusque là.

Les jeunes gens que vous voyez sur la photo font partie de deux groupes de volontaires qui sont venus nous prêter main-forte cette semaine. Au début quand Yuri m’a annoncé leur venue j’ai un peu rigolé. J’ai déjà du mal à remplir mes journées alors je ne voyais pas trop ce qu’on allait pouvoir faire faire à ces jeunes recrues très motivées.

Sauf qu’en réalité ces braves bénévoles n’étaient pas là spécialement pour la station de baguage mais plus généralement pour le compte de la réserve. Le premier groupe n’était composé que de Russes réunis par je ne sais quelle organisation nationale tandis que le deuxième réunissait des Russes, des Coréens, un Serbe et une Allemande sous la bannière de l’Unesco. Âgés d’entre vingt et trente ans, la plupart étaient de jeunes ingénieurs cherchant à quitter leurs bureaux pour aller enfoncer leurs paluches dans le cambouis. Et ils ont eu à faire, entre le nettoyage des berges du lac et la réfection des routes environnantes ils ne se sont pas ennuyés. Yuri a su mettre à profit la profusion de main-d’oeuvre bon marché. Il plaiderait sûrement le hasard pour sa défense mais figurez-vous que tous ces volontaires sont arrivés au bon moment pour réceptionner le nouveau filet pour le Big Trap ! Et ils n’étaient pas de trop pour nous venir en aide.

Si le nouveau filet n’est pas sur la photo du début de cet article, ce n’est pas parce qu’il est parfaitement invisible, c’est parce qu’il n’est pas fonctionnel. Vous vous doutez bien que la demande pour ce genre de filet n’est pas très importante et qu’on ne le trouve pas au supermarché du coin. Pour faire construire ce piège qui ressemble à si méprendre à un gros chalut Yuri a tout naturellement contacté un fabricant de filet de pêche. Et ils s’y connaissent aussi bien en capture d’oiseaux que moi dans le maniement de la faux. Résultat on s’est retrouvé avec pas mal de boulot sur les bras pour bidouiller notre nouveau piège. Et comme il se trouvait une petite armée de motivés pour nous aider on les a mis à contribution.

Maintenant les gens paient pour venir au goulag...

Maintenant les gens paient pour venir au goulag…

Nos petit gars sont partis mais il nous reste encore du boulot de découpage et de couture avant de pouvoir inaugurer notre nouveau piège. Par contre les oiseaux ne nous ont pas attendus et un matin on en a retrouvé deux dans une des volières, sans trop que nous sachions comment ils étaient arrivés là. Quand je vous parlais du quotien intellectuel du piaf moyen…

Pour l’instant Nikolaï est allé se remettre de ses émotions chez lui pour le week-end et a repoussé le fignolage du Big Trap à la semaine prochaine. Je garde la maison tout seul et profite du calme en capturant ma demi douzaine d’oiseaux quotidienne. Tiens une capture qui mérite d’être mentionné c’est celle d’un petit gobemouche juvénile. Déjà qu’un oiseau adulte n’est pas fûté ce djeuns là s’est fait attrappé à sept heure du matin puis à nouveau à neuf heure du soir le même jour, le couillon. Et bien la surprise c’est que malgré l’épisode au combien traumatisant du baguage, qu’est ce qu’il brailliait le petiot, lors de sa pesée du soir la balance affichait un gramme de plus ! Ça vous fait peut être gentiement sourire mais c’est quand même dix pour cent de son poids en plus au bestiau. Essayez-donc de faire pareil pour voir, et sans Mac Donald ! C’est qu’en plus il faut en dépenser de l’énergie pour capturer les insectes au vol.

La gloutonnerie, un autre caractère commun à tous les djeuns.

La gloutonnerie, un autre caractère commun à tous les djeuns.

 

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Old school

27 juillet

 

Avec les vacances d’été les plages du Baïkal se peuplent. Des Russes des quatre coins de la fédération viennent pêcher et barboter dans les eaux limpides. Andreï a même hébergé une sorte de colonie de vacances pendant quelques jours. Et pour les touristes la curiosité n’est pas le lac mais cet étrange français sortit d’on ne sait où et qui est désormais obligé d’enfiler un maillot quand il va se baigner après son banya.

Du côté des humains avec qui je partage mon quotidien il y a eu du changement. Dasha et Ivan sont reparti il y a un peu plus d’une semaine. On ne peut pas dire qu’ils me manquent, ils me demandaient plus de boulot qu’ils ne m’aidaient et Dasha n’aura ajouté à son unique « Good morning » qu’un « Rémi help me ! » lorsqu’elle s’est retrouvée débordée face à un filet rempli de mésanges. Mais pour leur défense ça ne doit pas être facile de supporter au quotidien un ornithologue qui ne parle pas votre langue.

Et ils s'en sont quand même bien sorti.

Et ils s’en sont quand même bien sorti.

Ils ont été remplacés par Sergueï qui a fini sa troisième saison consécutive d’inventaire dans la réserve, sa dernière. Depuis il squatte le wagon et le moins qu’on puisse dire c’est que la cohabitation est plus animée. Il ne parle pas plus anglais que mes derniers stagiaires et ça pose là aussi problème, mais il est considéré comme une pointure dans le coin et pour mes autres collègues sa parole est sacrée. C’est un vieux de la vieille dans le domaine de l’ornithologie et ses méthodes ont parfois tendance à me choquer. Pour bien l’illustrer je vais vous raconter l’exemple de cette petite linotte que j’ai sauvé d’un destin tragique.

Pour commencer il faut savoir que les fondations de l’ornithologie moderne reposent sur un socle qui n’est pas forcément des plus glorieux. En effet, il fut une époque où les chercheurs du monde entier massacraient allègrement toutes les espèces du globe pour remplir les collections des musées d’histoire naturelle de milliers de specimens empaillés. La frénésie de la collection a eu des effets désastreux comme le célèbre génocide dont fut victime le huia dimorphe en Nouvelle-Zélande et que j’ai déjà évoqué sur ce blog. Malgré tout il fallait quand même que ce massacre ait du bon. Avec tous ces oiseaux naturalisés il était beaucoup plus facile de trouver une cinquantaine de linottes à se mettre sous la main et ainsi pouvoir tranquillement établir la différence entre la mélodieuse (Acanthis cannabina) et celle au bec jaune (Acanthis flavirostris). Ah oui parce qu’il ne faut pas se fier au nom des oiseaux pour les identifier, on tombe toujours sur des cas qui sont bien moins évidents qu’annoncé.

Ce genre de truc par exemple...

Ce genre de truc par exemple…

Les temps ont bien changé et désormais même si on tombe sur une espèce nouvelle on ne la zigouille pas pour l’enfermer dans le tiroir d’un musée. Les mensurations sont prises sur les oiseaux vivants et si par hasard on tombe sur un cadavre frais on le naturalise. D’ailleurs si l’un d’entre vous tombe un jour sur un cadavre bien récent d’albatros d’Amsterdam sachez qu’il n’en existe aucun exemplaire naturalisé et que je connais des gens que ça peut intéresser. Tout ça s’est bien beau mais quand on est un chercheur russe qui ne parle pas un mot d’une autre langue, le nombre de specimens ou de mensurations à disposition devient tout de suite plus réduit. Et lorsqu’on a entre les mains une petite linotte à peine sortie du nid même le plus bilingue des ornithologues a du mal à faire la part des choses. Et oui parce que ça aussi c’est le souci du moment, on ne trouve essentiellement dans nos filets que des juvéniles. Ce que dans un jargon un peu moins scientifique nous appelons plus communément les djeuns. Normalement ça doit plus vous parler. Vous savez ces jeunes individus à l’aube de l’émancipation. Un aspect, voire même un comportement, assez étrange, tellement obnubilés par l’idée de se démarquer des adultes qu’ils en arrivent à tous se ressembler. Un besoin de marginalisation qui finit ironiquement par tous leur donner l’aspect d’une seule et même espèce, parfois complètement à l’opposé des adultes. Et bien en ce moment chez les oiseaux c’est la saison des djeuns. Tout excités à l’idée de découvrir à quoi peut ressembler ce vaste monde, ils n’ont pas l’expérience des adultes et tombent plus facilement dans nos filets.

Comme cette jeune bergeronette grise du Baïkal qui a l'air pressée d'apprendre ce que lui réserve le Sud.

Comme cette jeune bergeronette grise du Baïkal qui a l’air pressée d’apprendre ce que lui réserve le Sud.

Mais tout ceci nous éloigne de notre petite linotte et de son destin un peu trouble. Mais que va donc vouloir en faire ce scientifique russe qui ne sait pas comment l’appeler ? Et bien c’est simple, avec le plus grand sérieux du monde il m’annonce que si nous ne pouvons pas déterminer l’espèce il va l’euthanasier, faire des études génétiques et l’empailler… Alors là je panique. Je veux bien m’adapter aux coutumes locales mais j’ai mes limites. Je suis certain que des cadavres de petites linottes il y en a déjà bien assez dans les musées. Si Sergueï ne veut pas avoir recours à la communauté scientifique internationale pour son identification, il va falloir trouver autre chose, et vite. C’est alors que mon collègue m’annonce que si je lui trouve une photo de jeune linotte assez convaincante sur Internet il acceptera de l’identifier à partir du document. Autant l’assumer tout de suite, il n’y a pas moins scientifique comme démarche… Et là où les ouvrages méticuleux de Svensson avaient échoué, une photo prise au Kazakhstan par un illustre inconnu et légendée Acanthis flavirostris a su convaincre Sergueï. En partant notre linotte avait quand même l’air bien mélodieuse mais je préfère la savoir baguée sous une fausse identité dans une steppe mongole qu’avec son nom étiqueté à sa patte au fond d’un tiroir du musée d’histoire naturelle de Moscou.

Entre les lubies meurtrières de Sergueï et Nikolaï qui veut faire passer un pouillot verdâtre pour un pouillot à grands sourcils en suivant les indications d’une clé de détermination qui date de l’Union Soviétique, les noms d’oiseaux ne sont parfois pas très loin de littéralement voler. Mais les prises de bec finissent toujours par s’oublier dans la bonne humeur autour des ombles attrappés par Sergueï et préparés par Nikolaï, le tout en fredonnant du Piaf. Oui on peut difficilement faire plus cliché pour des ornithologues.

Il triche il utilise un filet ! (Je tiens une de ces formes moi aujourd'hui...)

Il triche il utilise un filet ! (Je tiens une de ces formes moi aujourd’hui…)

 

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Tous à plumes !

20 juillet

 

Il y a comme un vent de changement sur les berges du lac Baïkal depuis une semaine. Les orages violents succèdent aux journées assomьantes sous un soleil de plomb, le tout entrecoupé d’étranges brouillards. Les insectes se font plus rares et les moustiques moins opзressants. Mais surtout la plupart des oiseaux ont arrêté de chanter.

Même la locustelle de Pallas.

Même la locustelle de Pallas.

À mon arrivée l’air était rempli de chants, tous plus variés les uns que les autres. Du chant super élaboré de la calliope de Sibérie à celui franchement bâclé du pinson du Nord. Les mâles emplumés s’en donnaient à cœur joie pour asseoir leurs souverainetés sur un bosquet ou une roselière. Tout ce bruit pour protéger une ressource importante, la nourriture. C’est qu’il en faut pour nourrir toutes les portées de ces messieurs, et plus le territoire est riche en bouffe, plus les oisillons ont de chance de s’en sortir. D’autant plus que d’ici peu, nombre d’entre eux vont entamer leur première migration.

On voit ainsi les familles de gobemouches, pipits et pouillots s’y mettant en famille pour dévorer en masse les insectes. Chacun à sa technique, les gobemouches se perchent sur les arbres pour surveiller les insectes qui s’approchent puis, avec parfois avec des acrobaties impressionnantes, attrapent les arthropodes au vol. Les pipis se spécialisent pour la prospection au sol tandis que les pouillots vérifient sous chaque feuille de chaque buisson s’il ne reste pas une petite chenille à se mettre sous le bec.

Du côté des sédentaires on est un peu moins tatillons et les mésanges s’associent avec les sitelles et les pics pour former d’immenses essaims qui dévastent toute microfaune sur son passage. Sur le Baïkal par contre c’est plus calme. Les hérons sont partis mais les garots à œil d’or continue à survoler le lac en formation serrée, tandis que les poussins de harles n’ont toujours pas de plumes.

Mais faire des réserves pour l’hivernage ou la migration n’est pas la seule raison de cette hyperactivité. Les oiseaux ont aussi besoin d’énergie pour muer.

Ce mâle de bruant à calotte blanche n'y va pas avec le dos de la cuillère.

Ce mâle de bruant à calotte blanche n’y va pas avec le dos de la cuillère.

Les plumes ont été mises à rude épreuve ces derniers mois et il est temps que de nouvelles les remplacent. D’autant plus que pour les mâles, plus de raisons de faire le beau. Un plumage plus sobre est tout indiqué pour échapper aux prédateurs, notamment les rapaces qui eux aussi pensent au grand voyage et aimeraient bien s’empiffrer un peu avant.

Vous l’aurez compris, toute cette agitation aviaire est la raison de ma présence ici. Et oui, encore une fois, je me retrouve à l’autre bout du monde pour embêter les oiseaux et leur coller de petites bagues sur les pattes. La raison est encore une fois de mieux comprendre leur biologie et surtout, dans le cas présent, leurs déplacements. C’est assez rigolo pour moi d’être ici parce que je me retrouve entre deux régions du globe où j’ai déjà travaillé sur les oiseaux migrateurs, la Corée et l’Europe, du coup les espèces présentes sont un mélange des deux. Par contre comme en Corée je me retrouve au cœur d’un problème de taille pour les chercheurs qui étudient les migrations en Asie. La plupart des oiseaux que nous capturons ici vont passer l’hiver en Chine, en Inde et en Asie du Sud-Est. Or pour que les données soient intéressantes et productives il faudrait que les numéros des bagues retrouvées sur les oiseaux en hiver, dans le cadre de programmes scientifiques ou sur des oiseaux morts, soient renvoyés au muséum d’histoire naturelle de Moscou. Et bien entendu ce n’est pas le cas. Dans les régions où nos oiseaux passent l’hiver les populations locales sont rarement informées de la démarche à suivre lorsqu’on trouve une bague sur un oiseau. Une bague au Bengladesh risque plus facilement de finir dans une casserole qu’entre les mains des chercheurs. Quant à la coopération scientifique internationale de pays comme la Chine, je ne préfère pas en parler…

Un pipit à dos olive l'hiver 2011 en Corée du Sud. Peut-être l'un des nombreux que nous baguons en ce moment.

Un pipit à dos olive l’hiver 2011 en Corée du Sud. Peut-être l’un des nombreux que nous baguons en ce moment.

C’est au cours de mon dernier voyage en Asie que j’ai entendu parler de la station de baguage du Baïkal. Elle avait eu ses heures de gloires dans les années quatre-vingts et à l’époque les oiseaux défilaient dans les filets. Mais elle n’a pas résisté à l’effondrement de l’Union Soviétique et pendant de nombreuses années les oiseaux du lac ont été tranquilles. La résurrection est toute récente et le retour des bagueurs sur la station date d’il y a à peine deux ans. Le matériel est vieux, on n’est pas prêt de savoir où vont nos oiseaux et la barrière de la langue freine les possibilités internationales mais c’est quand même excitant de faire partie de cette aventure. La motivation est impressionnante et tenir dans les mains un oiseau qui porte une bague depuis deux ans reste assez émouvant.

Alors oui pour l’instant les journées sont un peu creuses et à part une avalanche de mésanges par jour nos filets troués sont souvent vides. Mais ça permet de faire tourner le ciboulot et d’élaborer des stratagèmes pour varier le quotidien. J’ai par exemple pris pour cible ces derniers jours les chevaliers guignette qui nichent à côté de chez nous.

Le chevalier guignette appartient à la grande famille des limicoles, des oiseaux généralement hauts sur patte et inféodés aux milieux aquatiques. Ils ont aussi la particularité d’être de très grands voyageurs (rappelez-vous les barges néozélandaises!) et les baguer représente donc un réel intérêt. Le chevalier guignette est très commun, vous en avez sûrement déjà vu sans le savoir. Des bords de Loire aux plages d’Okaïdo, du Cap à Sidney, ils sont partout, fuyant l’hiver où qu’il se trouve. Et il n’y a pas de raisons pour qu’ils se privent d’aller nicher sur les bords du lac Baïkal. Le nid est généralement caché au pied d’un buisson en haut des plages de galets. Pour être sûr qu’il ne soit pas découvert, les parents ont une stratégie toute particulière. Si un intrus s’approche du nid, l’adulte s’envole en beuglant comme un veau pour aller se poser plus loin, l’idée étant de monopoliser l’attention de l’inoportun, et de le détourner du nid, ainsi que de prévenir les poussins qui se baladeraient trop loin de la sécurité du buisson. Par contre quand on connait la combine on peut arriver à deviner où se situe le nid, après de nombreux essais… Et après de multiples tentatives et beaucoup de chance on arrive à surprendre un poussin trop jeune pour voler et à l’attraper avant qu’il ne s’enfonce dans les broussailles.

Il m'aura fait courir.

Il m’aura fait courir.

Honnêtement, jusqu’ici c’est le seul que j’ai réussi à attraper. Il va très bien, je le revois souvent lorsque je tente d’ajouter ses frères et sœurs à mon tableau de chasse. Sauf que maintenant ils commencent à maitriser l’envol sur de courtes distances et je deviens sérieusement défavorisé…

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Boucle d’or

13 juillet

 

Lors de sa visite hebdomadaire au banya la semaine dernière, Yuri a emmené avec lui deux jeunes étudiants russes qui ne parlent pas un mot d’anglais, Dasha (Даша) et Ivan (Иван). L’idée est de les former au baguage pendant une dizaine de jours. Et bien sûr qui c’est qui s’y colle ? C’est bibi ! Mes autres collègues m’ont tous abandonné avec les deux nouvelles recrues. Je ne vous raconte pas la galère, pour le coup j’ai arrêté de me plaindre du manque d’oiseaux. Si Ivan commence à trouver l’expérimentation de la langue de Shakespeare amusante, en une semaine Dasha ne m’aura accordé qu’un « Good morning »…

Du coup je continue à m’occuper autrement et notamment grâce à un cadeau de Nikolaï :

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Le kit du parfait petit pecheur.

J’ai découvert ici une technique de pêche assez étonnante que je vais tenter de vous décrire. Pour commencer il vous faut un lac avec une surface assez calme, ce qui sur le Baïkal n’est pas forcément évident. Ensuite il vaut mieux pratiquer cette technique au petit matin ou au coucher du soleil, quand les ombles en chasse font apparaître des petits cercles à la surface de l’eau. Ce qui permet aussi de profiter du paysage dans toute sa splendeur.

Ensuite il vous faut du matériel. Je vais commencer par cet étrange petit radeau bleu que vous voyez sur la photo et que je vais appeler le bouchon pour simplifier. Il consiste en deux flotteurs reliés par deux cales en bois. Sur la face externe d’un des flotteurs sont plantées deux agrafes, à côté de chaque cale. Le bouchon fait un peu penser à une maquette grossière de catamaran et doit flotter sur l’eau en maintenant les agrafes quelques centimètres au-dessus de la surface du lac. Il vous faut ensuite une ligne en nylon que vous enroulez autour du moulinet en bois que vous voyez sur la photo. Au bout de votre ligne vous attachez une sorte de crochet solide avec un système de fermeture similaire à ceux des épingles à nourrisse. Enfin le plus important, les bas de ligne. Montez plusieurs petits hameçons en mouches. C’est-à-dire que vous fixez des petits bouts de laine, de plumes, etc, à vos hameçons. Puis vous les reliez à la ligne principale par l’intermédiaire de petits bouts de nylon de manière à ce qu’elle en ait une petite dizaine disposés les uns après les autres à son extrémité.

Voilà pour la préparation. Maintenant la pêche à proprement parler. Vous placez votre bouchon sur la berge face au lac, comme si votre catamaran allait se jeter à l’eau. Vous fixez ensuite votre ligne à l’agrafe la plus proche de l’eau par l’intermédiaire du crochet. Puis déroulez votre ligne en vous éloignant doucement du bouchon. Une fois que tous les bas de ligne sont déroulés vous pouvez mettre le bouchon à l’eau. Et c’est là que la magie opère, en continuant de longer le rivage dans la même direction que celle que vous avez suivie pour dérouler votre ligne, le bouchon va effectuer un arc de cercle pour venir se placer en face de votre berge. Vous n’avez plus qu’à continuer à avancer, en déroulant progressivement votre ligne si vous voulez éloigner votre bouchon du rivage. Entre vous et votre bouchon, votre ligne va survoler la surface du lac et chacun de ses bas de ligne est juste assez long pour que la mouche caresse la surface de l’eau, à la manière d’une éphémère en train de pondre.

Je n'ai pas encore de meilleure photo mais ça doit donner quelque chose comme ça.

Je n’ai pas encore de meilleure photo mais ça doit donner quelque chose comme ça.

Autant vous dire que l’efficacité est redoutable. Dès que votre bouchon est en croisière, les ombles sautent dans tous les sens. Le problème c’est que dès que vous avez accroché un poisson, son poids est suffisant pour noyer le reste de la ligne et il est rare d’en attraper plus d’un en un seul lancé. L’autre souci c’est que ce premier poisson est souvent trop petit pour être mangé. Par contre lorsque vous attrapez une omble de taille raisonnable c’est Noël, personnellement j’en raffole et pourrais en manger tous les jours.

Mais fermons cette parenthèse pour revenir à nos moutons. Vendredi dernier Yuri est repassé à la station et cette fois encore il avait une surprise pour moi. Il m’avait obtenu un sésame dont je rêve depuis mon voyage au Kyrghyzstan, un permis d’entrer pour une zapovednik (Заповедник). Les zapovednik sont l’équivalent soviétique de nos réserves naturelles. Elles correspondent au plus important statut de protection d’un milieu, il est interdit d’y pénétrer et surtout interdit d’y exercer une quelconque activité économique. Seuls les rangers et les scientifiques détenteurs d’un permis spécial peuvent y circuler, mais comme on dit en Russie, on peut toujours s’arranger.

Bref voilà donc Yuri qui nous dépose Vassily (Васили), le professeur de Dasha et Ivan, Nikolaï et moi sur le bord de la transsibérienne avant de retourner à la station pour garder la boutique tout le week-end. Ah oui parce que comme son nom ne l’indique pas, la réserve du Baïkal ne concerne pas du tout le lac. Les berges du lac sont habitées, puis bordées par une voie ferrée et une route très fréquentées. La réserve commence donc au Sud de cette route.

Notre randonnée doit faire huit kilomètres et Nikolaï m’a promis un trajet difficile, la raison pour laquelle Dasha et Ivan ne nous accompagnent pas. Je ne sais pas si mon année sur l’île d’Amsterdam y est pour quelque chose mais je n’ai pas la même vision que les russes d’une randonnée difficile…

Après à peine un kilomètre expédié en vingt minutes, nous atteignons le campement de Sergueï.

Et là je comprends mieux son problème avec les ours...

Et là je comprends mieux son problème avec les ours…

Nous prenons donc le thé avec lui, ce qui en Russie consiste à taper le gueuleton pendant une heure. Nous reprenons ensuite notre route sur un chemin très bien entretenu à un rythme très lent. Nikolaï nous impose une pose au moins à chaque kilomètre parcouru, pause pendant laquelle il se grille un paquet de clopes. Le paysage est merveilleux. Après le campement de Sergueï nous laissons définitivement les boulots et le sol spongieux recouvert de prêles derrière nous pour nous enfoncer dans la taïga. Les conifères sont rois et la forêt n’a jamais été victime de l’Homme. Les épicéas multi-centenaires meurent sur pied et leurs cadavres finissent par joncher un sol où poussent myrtilles, groseilles et fougères. Les robins à flancs roux et pouillots de Pallas chantent à tue-tête tandis que je passe pour un abruti en m’émerveillant devant les fourmilières géantes. Au bout du sixième kilomètre, exténué, Nikolaï décide de prendre le thé au bord d’un torrent. Pour qu’un russe nous propose de s’arrêter près d’une rivière il doit vraiment être crevé. Pour eux la rivière à deux désavantages majeurs, le bruit de l’eau qui court empêche d’entendre les ours approcher, et elles empêchent les ours de nous entendre approcher. Ici personne ne rigole avec les ours. Les mises en garde à leur encontre m’ont été répétées à maintes reprises et Sergueï ne quitte pas son flambeau de détresse destiné à dissuader les plantigrades. Il continuera à le garder à porter de main même dans l’isba qui nous sert de refuge.

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Le refuge.

Le lendemain nous laissons l’essentiel de notre matériel à l’isba pour randonner vers le sommet le plus proche. Dès notre départ j’ai peur que nous perdions notre guide. Nous devons gravir une pente assez raide d’environ cinq cents mètres de haut et Nikolaï me supplie tous les cent mètres pour qu’on fasse une pause. Au final nous arrivons en haut de la crête en une seule traite et il s’effondre au sol entamant un paquet de Максим pendant que j’admire le paysage. La vue de ce côté de la vallée donne essentiellement sur le lac, comme toujours, et sur la Mishiha. Nous entamons ensuite la douce ascension vers le sommet en longeant la crête. Plus nous grimpons et plus les arbres rétrécissent, ne dépassant rapidement même plus le haut de nos chaussures. Nous atteignons alors ce que Nikolaï qualifie de tundra. Les lichens crépitent sous nos pas et les lagopèdes s’envolent pour trouver refuge dans les rares bosquets de rhododendrons ou de résineux ratatinés. Après une pause thé nous passons un col où la vue vers le Sud se dévoile enfin un peu mieux. L’enchaînement de vallées et de sommets est à couper le souffle.

Et pour les furieux : les deux pixels noirs dans la prairie à gauche de l'éboulement, lui même à gauche du lac, ce sont des ours...

Et pour les furieux : les deux pixels noirs dans la prairie à gauche de l’éboulement, lui même à gauche du lac, ce sont des ours…

Je pense qu’il est inutile de décrire ma réaction lorsque je les ai repéré. Par contre à ma simple évocation du mot « bears ! », Nikolaï s’est immédiatement saisi de son flambeau et jettait des regards paniqués dans tous les sens. Lorsqu’il a réalisé la distance raisonnable qui nous séparait des prédateurs, il s’est un peu calmé et a profité du spectacle avec nous. Vassily était au moins aussi ravi que moi, c’était ses premiers ours.

Lorsque nous avons atteint le sommet et commencions à redescendre la crête de l’autre côté de la vallée, j’aurai peut-être dû m’abstenir de signaler à Nikolaï le troisième ours… Le flambeau s’est à nouveau retrouvé dans son poing crispé, il nous a imposé de rester groupés et de ne pas faire de bruit. Ne pas faire de bruit est de loin la dernière chose à faire lorsqu’on ne veut pas tomber sur un ours mais je me suis abstenu de lui faire la réflexion, je ne souhaitais surtout pas que l’animal remarque notre présence. Il était en train de fouiner le sol au pied d’un névé surplombé d’un éboulis. La pente entre lui et le sommet de la crête devait déjà faire un bon demi-kilomètre et nous étions encore loin de surplomber le nounours. Par contre je dois reconnaître que le bestiau était assez costaud et que si l’opportunité lui était donnée de nous faire perdre quelques quenottes, un revers de la paluche aurait largement suffi… Une fois que le chemin nous permettait de nous éloigner de l’ours en suivant un versant opposé, Nikolaï s’est un peu détendu. Je n’ai malgré tout pas résisté à l’envie de le faire participer à une petite expérience. Je lui ai demandé de venir avec moi au surplomb de l’ours, là où le vent descendait de la crête directement vers l’animal. La réaction ne s’est pas faite attendre. Le plantigrade a sorti le museau du sol pour renifler le fond de l’air. Il ne lui a pas fallu une minute pour prendre ses pattes à son cou et partir d’un trot lourd vers le lointain. Il ne nous a jamais vus mais je pense qu’il est toujours en train de courir

Pour ma défense je tiens à vous rappeler que je n'ai pas pris de douche depuis deux semaines.

Pour ma défense je tiens à vous rappeler que je n’ai pas pris de douche depuis deux semaines.

Nous avons poursuivi notre route et les prairies parsemées de fleurs des champs ont vite redonné son sourire à Nikolaï. Nous avions perdu le chemin et nous dirigions en nous repérant à l’isba que nous pouvions parfois entrevoir de l’autre côté de la vallée, mais lorsque nous avons atteint le sommet de l’éboulis qui domine la rivière où nous nous approvisionnions en eau potable, plus rien ne semblait pouvoir gâcher cette belle fin de journée. Rien sauf ce cri strident semblant provenir de souvenirs que j’espérais à jamais oubliés…

Le cri émanait des hauteurs de l’éboulis. Il ne me fallut pas longtemps pour le repérer et instantanément une sueur froide s’est mise à descendre le long de mon dos. Il était là, comme surgis directement du tréfond des enfers, posé sur son rocher à me regarder fixement. À sa maigreur et au point de salive que je pouvais voir étinceler à la comissure de ses lèvres, je savais très bien ce qu’il avait en tête. Je pensais ne plus jamais avoir le malheur d’en croiser un mais il était là :

Un pika !

Un pika !

Oui un pika ! Rappelez-vous ! Ces créatures diaboliques qui avaient déjà failli avoir ma peau au Kyrghyzstan (voir https://whereisremi.wordpress.com/2011/08/08/jeanneton/) ! Et on osait me mettre en garde contre les ours ? Mais ces vicieux lagomorphes doivent dévorer trois ours à chaque petit-déjeuner ! Et qu’avions-nous pour nous protéger contre ce dangereux prédateur ? Un flambeau de détresse ! Nous mais de qui on se fout dans ce pays ! Je ne saurai jamais comment-nous avons pu en réchapper mais je peux vous garantir que je n’ai pas fermé l’oeil de la nuit. Et c’est avec un franc soulagement que j’ai suivi Nikolaï le lendemain sur la route du retour…

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Baïkakal

5 juillet

 

L’arrivée à Irkoutsk se révéla être loin de marquer la fin de mon périple. Je devais encore me rendre dans un endroit semblant presque plus reculé que l’île d’Amsterdam. N’ayant trouvé ni d’hôtes pour m’héberger en ville, ni d’intérêt particulier pour m’inciter à y séjourner, je me suis directement mis en route pour Tanhoy (Танхои). Après plusieurs heures de routes, la marshrutka me dépose à un croisement où me rejoint Yuri. Yuri travaille pour la réserve naturelle du Baïkal, il bosse sur pas mal de truc en même temps et si il m’a invité c’est pour l’aider à faire tourner sa station de baguage des oiseaux migrateurs. Je vous en dirai plus plus tard.

Après un petit tour dans les bureaux on est allé rendre visite à Nikolaï. Un autre employé de la réserve qui, à ce que j’ai compris, devrait passer pas mal de temps à la station. On passe ensuite chercher la femme et les deux enfants de Yuri avant de partir pour ma nouvelle demeure. La route qu’on empreinte est celle qui mène à Vladivostok, soit la version carrossable de la ligne de chemin de fer transsibérienne, qui d’ailleurs la longe.

Il ne faut pas être pressé par contre...

Il ne faut pas être pressé par contre…

Après un long trajet nous atteignons la rivière Mishiha (Мишиха), elle marque plus ou moins la limite Est de la réserve. De là un chemin vaguement praticable en voiture nous amène à un hameau coincé entre la rivière et le lac Baïkal. Financé par le gouvernement qui veut promouvoir l’écotourisme, la réserve y a fait construire une sorte de village vacance flambant neuf, tenu par Sergueï et Oksanna. Le petit lotissement est vide et un des congélateurs est utilisé par les ornithologues de la station. Mais si toute la famille de Yuri nous a accompagné c’est aussi parce qu’on y trouve un superbe banya (Баня), la version locale du sauna. Causer boulot avec un nouveau patron, à poil dans un sauna, là j’avoue j’innove…

Une fois qu’on a bien transpiré Yuri m’accompagne chez moi, une sorte de remorque de camion réaménagée en roulotte grand luxe, posée dans une clairière à l’écart du hameau. Tout y est, poêle à bois, gazinière, panneaux solaires et même, par intermittence, Internet ! Il manque juste l’eau courante mais comme je suis garé à quelques dizaines de mètres du lac ce n’est pas vraiment un problème. Pas de douche non plus mais j’ai mon propre banya ! Les russes en ont fait une version de camping qui consiste en une tente et un poêle spécialement conçus pour, et avec le Baïkal juste à côté je n’ai que quelques pas à faire pour me jeter dans l’eau glacé après une bonnes suée !

Home sweet home !

Home sweet home !

J’ai passé mes premiers jours seul dans la station, et comme les oiseaux ne se bousculent pas encore j’ai largement eu le temps de faire le tour du propriétaire. Indéniablement c’est le lac qui attire le plus l’attention. Il est entouré de hautes montagnes aux sommets enneigés et le soleil d’été qui frappe la surface de ses eaux glacées le coiffe d’un épais brouillard. Du coup lorsqu’on est sur ses berges on ne distingue pas l’horizon est l’impression d’être au bord d’une mer est encore renforcée. Régulièrement on entend le tonnerre résonner au loin alors que le soleil brille fort au-dessus de nos têtes. Le lac est tellement immense que la météo peut-être complètement différente d’une de ses extrémités à l’autre.Par contre lorsqu’une tempête nous tombe dessus elle laisse derrière elle un paysage surprenant. Une île immense apparaît à l’horizon. Il s’agit en réalité de la berge opposée mais les dimensions gigantesques du Baïkal donnent l’illusion que, de part et d’autre de cette berge, l’horizon se perd dans les eaux.

Après quelques jours Nikolaï et Sergueï sont venus me rejoindre dans ma retraite. Sergueï est un ornithologue russe qui travaille en ce moment dans la réserve, plus haut dans la montagne, de l’autre côté des deux voies transsibériennes. Les ours en rut violent la vaisselle qu’il laisse sécher sur sa table de jardin en ce moment, il est donc venu prendre du repos près du lac. C’est le meilleur spécialiste des oiseaux du coin que j’ai rencontré jusqu’ici et il devrait m’aider à tirer au clair les quelques identifications délicates que je pourrais croiser. Mais pour l’instant les rares oiseaux qui se prennent dans mes filets sont assez communs et avec les collègues on s’évertue surtout a essayer de se comprendre les uns les autres. Ce à quoi nous nous débrouillons plutôt bien, en témoigne la première soirée que nous avons passé tous ensemble…

Après un bon dîner russe dans la clairière en compagnie de Yuri, nous sommes allés observer le soleil embraser le ciel au dessus de la rive d’en face. Dans le climat si spécial qui précède les tempêtes, et accompagnés d’une vodka locale, nous avons trinqué à la santé des ours obsédés, de l’amitié entre les peuples, des phoques, de la beauté et de la vie. Puis nous sommes rentrés, hilares et bien bourrés, sous une pluie battante, pour débattre dans le wagon de la solidité des fourchettes de Mao comparés à celles de Staline, le tout en dégustant une mixture à base d’un spiritus que Nikolaï bricole lui même…

J'espère sincèrement que vous n'avez pas lu cet article depuis un bureau tout pourri où vous passez votre mois de juillet...

J’espère sincèrement que vous n’avez pas lu cet article depuis un bureau tout pourri où vous passez votre mois de juillet…

 

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Tchou tchou!

Du 24 au 28 juin

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Au premier abord le train n’a pas vraiment quoi que ce soit de spécial. On dirait vaguement un TER, en un peu moins large peut-être… Ce n’est pas que je m’attendais à une locomotive à vapeur ou un truc folklorique dans le genre, mais au moins un petit côté construction soviétique aurait donné du cachet. Cela-dit les trains c’est comme un pull tricoté par mémé, qu’importe son aspect tant qu’il est confortable.

J’ai pris le billet le moins cher possible, pas pour le contact avec le bas peuple, juste parce que c’est moins cher. C’est Yura qui m’a fait une réflexion intéressante sur ce sujet avant que je parte. Il ne comprenait pas trop l’engouement des occidentaux pour ce train. Ici les gens ne le prennent que parce qu’ils n’ont pas les moyens de prendre l’avion. Le côté historico-romantique du trajet les passionne autant que mon envie de faire la queue pour escalader un empilement de poutrelles métalliques en plein Paris… Et pour le côté typique on repassera, on a plus de chance de croiser un occidental dans son wagon que dans un coucou de l’Aeroflot.

Mais revenons-en à mon billet de pingre. Il m’a quand même valu d’être le seul du wagon à qui la provodnitsa (Проводнитса ) n’a pas donné de draps. Au moins je n’aurai pas amené mon sac de couchage pour rien. La provodnitsa c’est la chef du wagon, il y a pas mal d’employés dans le train mais chaque wagon a sa propre provodnitsa. La notre s’appelle Tatiana (Татьяна), et elle n’a pas l’air d’aimer ceux qui ne comprennent rien au russe. Pour vous faire une bonne idée de Tatiana imaginez-vous une pionne d’internat d’élèves bouchers qui a besoin de s’incliner pour passer la porte des dortoirs. La jeune femme précédemment décrite ne tiendrait pas cinq secondes face à Tatiana.

Le wagon est divisé en plusieurs compartiments ouverts contenant six couchettes. Au départ dans la mienne il y avait une mère et sa fille, aussi sympathiques qu’un lundi matin, et surtout Maxim (Максим). Il ne parle pas un mot d’anglais, et je maîtrise autant le russe que le patinage artistique, mais il a le mérite d’être déterminé et de ne pas se laisser abattre. Du coup j’ai quand même réussi à comprendre qu’il était dans l’armée ou qu’il faisait son service militaire. Ou alors le costume qu’il avait en montant dans le train est destiné à un bal costumé…

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Un costume qu’il n’aura gardé qu’une petite heure avant de revêtir des sandales, un short et un marcel. Il faut dire qu’au bout d’une heure nous étions déjà loin de Moscou et tout le monde commençait à se détendre et prendre ses marques, tous sauf Tatiana. Moscou c’est déjà bien verdoyant mais là on avait atteint la véritable forêt russe. Et l’intérêt d’un train qui ne va pas très vite c’est qu’on a le temps de profiter du paysage. Je vous met au défi d’observer depuis un avion un élan qui broute les herbes inondés par une rivière qui déborde sous la contrainte d’un barrage de castors ! Et ainsi défilent bouleaux et résineux, huttes de castors et hameaux isolés, jusqu’à ce que la forêt s’éclaircisse ; nous approchons de la Volga.

Notre première halte se fait donc dans une ville bordant le fleuve. C’est là que mon compartiment se complète avec la venue de Sergueï (Сергеи) et Raïssa (Раиса). Allez savoir pourquoi, Raïssa, dynamique femme russe en pyjama rose à fleur, s’est mise en tête de me materner dès son arrivée. Notamment en allant exiger auprès de Tatiana une paire de chaussons à ma pointure. Les maigres espoirs qu’il me restait d’arriver à une cohabitation paisible avec ma provodnitsa se sont envolés et je reste en sandales. Maxim quant à lui a la joie de faire connaissance avec Rose, Rachel et Caleb, trois étudiants américains en voyage linguistique. Malheureusement même traduits en anglais les propos de ma jeune recrue ne sont pas très compréhensibles… Par contre une manière simple de communiquer malgré les barrières de la langue reste de pousser la chansonnette. Et tout le monde s’est plutôt bien prêté au jeu, mais c’est à l’unanimité Tatiana qui a scotché tout le wagon avec son bref mais convaincant « Заткнись ! »

Lorsque nous nous éloignons de la Volga nous retrouvons la forêt où le soleil se couche doucement, incitant les passagers à faire de même.

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À mon réveil je constate que Sergueï s’est changé en un russe assoupi que je ne verrai jamais réveillé. À peine tombé de ma couchette je suis attrapé par Raïssa qui entreprend de superviser notre petit déjeuner à Maxim et moi-même. Un repas complet qui se termine par la médecine miracle de notre mère adoptive, une flasque de gnôle. Une gorgée contre tout et trois contre le stress. Vu comme elle a l’air détendue je lui fais confiance mais ma bidasse en reste au traitement de base. À mon grand étonnement, une autre qui a l’air d’avoir bu ses trois gorgée médicinales c’est Tatiana. Si elle est plus avenante c’est parce qu’elle a troqué son uniforme de provodnitsa contre celui de l’employée qui parcours les wagons avec un panier plein d’absurdités à vendre aux passagers. La nouvelle patronne du wagon s’appelle Anna (Анна) et on dirait que sa prédécesseur lui a parlé de moi…

Avec le progressif réveil du wagon commence un manège permanent, les allers-venues vers la machine à eau chaude. Les passagers qui n’ont pas de récipients peuvent en demander à la provodnitsa mais vu ma popularité auprès d’elle s’est Maxim qui s’en charge. Et il ne revient pas qu’avec un thé mais également avec un passager en possession d’un paquet de cartes. On se met donc à taper joyeusement le carton et il me faut plusieurs tours pour convaincre mes camarades que j’ai compris les règles…

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Le paysage qui défile autour de nous est différent de celui de la veille, vallonné, la présence humaine y est beaucoup plus visible. On aperçoit cultures et bétail ainsi que villes et villages. La différence entre les deux est assez évidente. Les villages se composent de maison en bois et de petits potagers, certains abritent aussi de petites scieries ou les ruines d’anciennes usines. Les villes se distinguent par les horribles bâtiments en béton de style soviétique qui les défigurent tels des furoncles. On ne s’arrête pas à tous les villages mais dans quasiment toutes les villes que nous traversons. Parfois jusqu’à une petite demi-heure ce qui permet aux passagers d’acheter des casse-dalles, de se dégourdir les jambes ou de fumer une clope.

Au coucher du soleil nous atteignons Ekaterinbourg (Екатеринбург), plus ou moins dans le prolongement de l’Oural et pour certains la dernière ville d’Europe, pour d’autres la première d’Asie.

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La musique infâme qui sert de sonnerie de téléphone à mon voisin narcoleptique réveille tout mon compartiment à l’exception dudit voisin. Si j’ai l’impression de tomber du lit, le soleil haut dans le ciel m’informe que la journée est bien avancée. Il faut dire qu’en roulant vers l’Est nos journées comme nos nuits sont plus courtes que la normale.

La journée commence sous le signe de l’apprentissage, les américaines apprennent à jouer au durak (дурак) et je suis ravi de constater que leur maîtrise de la langue locale ne les aide pas plus que moi. En retour Rose apprend à Maxim les rudiments du tricot. Nous exploitons aussi une autre technique artistique de communication en remplissant un bloc-note de dessins plus ou moins réussis.

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Le paysage que nous traversons a beaucoup changé. Le train roule désormais au milieu d’une grande plaine inondée principalement recouverte de roselières et parsemée de rares bosquets de bouleaux ainsi que de petits villages. Seule la ville d’Omsk (Омск), que nous atteignons en début d’après-midi, fait figure d’exception. En flânant sur les quais je remarque deux choses. Premièrement que nous sommes bien plus au Sud que notre point de départ et qu’il y fait bien plus chaud. Deuxièmement qu’une étrange mélodie emplie l’air un peu lourd. Des types vêtus d’un gilet rouge fluo parcourent les quais armés d’un long marteau et frappent systématiquement différentes pièces sous chaque wagons. Comme pour s’assurer de leur bon fonctionnement à travers le son qu’elles renvoient.

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La journée s’écoule tranquillement, ce qui me fait remarquer assez vite la curieuse absence de Tatiana. Mais quand je tombe sur elle en pyjama Snoopy au distributeur d’eau chaude je me retiens de lui dire bonjour. Dieu seul sait de quoi elle est capable quand elle n’est pas de service. Finalement elle est rapidement de retour dans notre couloir vêtue de son uniforme de provodnitsa.

La nuit tombe pendant une halte prolongée à Novossibirsk (Новосибирск) pendant laquelle Maxim arbore à nouveau fièrement son costume militaire pour retrouver sa sœur sur le quai, tandis que Caleb et moi quittons la gare pour une bière fraîche en ville.

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Lorsque je me lève, Maxim est en train de remonter dans le train avec un sac de victuailles que lui a remit un vague parent retrouvé sur le quai. Résultat notre petit déjeuner consiste en un poulet rôti et des pommes de terres bouillies. Ce n’est qu’une fois les doigts pleins de graisse que nous réalisons que Раиса ne porte plus son pyjama rose. Et que son sac et rangé. Nous l’accompagnons jusqu’au quais où Tatiana m’engueule pour avoir quitté le train. Sous les remontrances de ma provodnitsa préférée qui finit son service de nuit, je regarde par la fenêtre notre amie s’éloigner de la gare dans un paysage champêtre tels que nous n’en avions pas observés jusqu’ici. Les vallons sont parsemés de villages, de bosquets mixtes mais toujours dominés par les bouleaux, de champs et de troupeaux. On remarque aussi que plus on va vers l’Est plus on croise d’autochtones aux yeux bridés.

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Pour nous changer les idées, nous décidons d’humilier les Yankees au durak. La chaleur devient vite étouffante alors que le paysage s’aplanit à nouveau. J’ai du mal à croire mon militaire quand il me dit que nous atteignons la Sibérie. Malgré les passages répétés d’Anna qui nettoie consciencieusement notre voiture, et les toilettes de chats de tous les passagers, le wagon n°10 commence doucement à sentir le fennec, mouillé, mort, depuis huit jours…

Chaque halte prolongée voit l’intégralité des passagers sortir profiter d’un bol d’air et la plupart des hommes n’hésitent plus à rester en caleçon même à l’extérieur du train. Pourtant au coucher du soleil Maxim remet son costume. Et cette fois ci il ne l’enlèvera plus, pas plus qu’il ne remontera dans le wagon n°10. Il part avec un sourire et une étoile en moins. Je l’épingle à mon carnet d’adresse tandis que Tatiana reprend son service et que la voie ferrée s’enfonce dans la taïga :

Don’t smoke in Туалет !

Yes, right… Good night to you too…

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До свидания Татьяна !

Даваи ! Иркутск !

Les adieux sont déchirants et je sens que je lui manque déjà. J’abandonne aussi sur le quai d’Irkoutsk mes trois jeunes américains après plus de quatre-vingt six heures partagées ensemble sur la ligne de chemin de fer trans-sibérienne.

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