Une danse avec le diable au clair de lune.

8 mai

Salut les copains ! La dernière fois je m’étais arrêté assez abruptement alors que je vous annonçais tout juste ma participation à un projet particulièrement hors du commun. Si je vous ai fait languir ce n’est pas (uniquement) par machiavélisme mais parce que je voulais avoir un peu plus d’expérience dans l’art du sauvetage de diables avant de m’étendre sur le sujet.

Sauve qui peut ! (Calvin)

Sauve qui peut ! (Calvin)

Pour sauver les diables de Tasmanie il faut tout d’abord mieux comprendre ces petites créatures. Pour ce faire il convient comme souvent de capturer la bête. Attraper des diables de Tasmanie ça n’est pas, dans l’absolu, très compliqué. On place des pièges un peu partout et on attend que ça morde. David a déterminé une trentaine d’emplacements fixes au Nord d’Arthur River auxquels sont attribués des pièges. Chaque piège se compose d’un large tube en plastique dur, fermé de chaque côté. On utilise une forme tubulaire plutôt que rectangulaire car la mâchoire du diable de Tasmanie, une des plus puissantes parmi les prédateurs terrestres, est connue pour pouvoir détruire les barreaux d’une cage en métal classique… Il suffit juste de s’assurer que la prison n’aille pas rouler n’importe où, en l’entourant de pierres par exemple, pour éviter que l’animal pris au piège ne soit bringuebalé dans tous les sens. Une des parois aux extrémités du tube peut pivoter et est retenue ouverte par une goupille en métal. La dite goupille est-elle même reliée par une cordelette à un gros morceau de côtelettes d’agneau (la proie préférée du Démon), suspendu à l’autre extrémité du traquenard. À ce stade vous aurez compris que quand l’animal se saisi du bout de gras la goupille libère la paroi qui retombe en enfermant le diable.

Sommes toutes un piège assez standard.

Sommes toutes un piège assez standard.

Les pièges sont vérifiés par David et un volontaire chaque matin. Si on est chanceux on entrouvre le piège pour y trouver un diable endormi profondément. Ça fait maintenant un bout de temps que je participe à la capture d’animaux sauvages les copains. Je peux affirmer sans me tromper que jusqu’ici cette action engendre systématiquement (et malheureusement) un stress variable chez l’animal ciblé. Jusqu’ici. Les diables de Tasmanie sont des créatures très difficilement perturbées, ce qui peut être parfois un peu perturbant… Comme ce matin où j’ouvre un peu vite la trappe d’un piège dans lequel Phoebe, une belle femelle adulte, était tombée. La belle s’était endormie la tête contre la trappe amovible et lorsque j’entrouvris celle-ci, la truffe glissa à l’extérieur du piège. Phoebe n’a pas daigné se réveiller à un seul moment, pas même quand je lui ai remis le museau dans le piège. Généralement les diables se réveillent lorsqu’on les bascule un peu brusquement du piège vers un grand sac de jute.

C’est dans ce sac qu’ils sont manipulés par David, et qu’assez souvent ils se rendorment, les seuls manifestations de stress étant d’occasionnelles flatulences… Chaque diable est tout d’abord identifié à l’aide d’un transpondeur puis subit une série de prélèvements. Un bout d’oreille pour la génétique, une touffe de poil pour les hormones de stress, une vibrisse pour l’alimentation et un peu de sang pour l’épidémiologie.

Jusqu'ici j'ai échappé au prélèvement de fèces...

Mais j’ai échappé au prélèvement de fèces…

Les diables de Tasmanie qui vivent autour d’Arthur River sont les derniers individus sauvages à ne pas être exposés au cancer qui décime l’espèce. C’est pour cette raison que les scientifiques prélèvent un maximum d’informations sur ces animaux avant qu’ils ne soient tous contaminés.

La séance d’enquiquinements se poursuit par toute une série de mesures. Les marsupiaux stockent leurs excédant de gras au niveau de leurs queues, on mesure donc le diamètre de celle de chaque diable. On prend aussi des photos des marques blanches sur le pelage de l’animal. Ces marques pourraient éventuellement permettre de différencier visuellement chaque diable observé dans la nature. Les différents parasites qui peuvent se trouver sur la bête sont eux aussi recensés et les chicots de l’animal sont méticuleusement inspectés. Leur usure permet une estimation assez précise de l’âge de l’animal.

C'est pour mieux te manger mon enfant ! (Cosette)

C’est pour mieux te manger mon enfant ! (Cosette)

David recherche en particulier une quinzaine d’individus adultes qu’il a équipé de colliers indicateurs de proximités. Des appareils assez simples qui enregistrent les interactions entre les animaux. Si deux colliers se retrouvent à moins de trente centimètres l’un de l’autre, l’identité de l’individu à proximité ainsi que la date et l’heure, sont enregistré sur l’appareil. Si deux cous de diables de Tasmanie se retrouvent à moins de trente centimètres l’un de l’autre ça veut aussi souvent dire qu’ils sont en train de se mordre. Ou de s’accoupler, c’est possible aussi. La morsure au visage étant une pratique très répandu chez cette espèce mais aussi le principal moyen de transmission du cancer entre les diables de Tasmanie, il convient de mieux comprendre le contexte de ces agressions ainsi que les types d’individus les plus susceptibles de se défigurer l’un l’autre.

David a équipé ses colliers en janvier dernier, juste avant la période de reproduction. Le choix n’a pas été décidé par hasard, le comportement reproducteur des diables de Tasmanie le justifie pleinement. En janvier, les petits diablotins de l’année passée quittent leurs terriers et en février, les femelles adultes sont à nouveau réceptives. Les mâles se mettent alors en quête d’une partenaire et lui colle littéralement au train. Il chasse tous les concurrents potentiel qui s’approchent du couple et se prend aussi régulièrement des coups de crocs de sa partenaire quand cette dernière est fatiguée de son insistance. Les morsures continuent quand le mâle séquestre la femelle avec laquelle il vient de s’accoupler pour éviter qu’elle n’aille batifoler ailleurs…

Toutes ces interactions ont été enregistrées par les colliers et dès que nous capturons un individu équipé nous téléchargeons les données collectées. Ce qui, étant donné la placidité de l’animal, ne nécessite même pas de retirer l’appareil…

Tasmanian Devil 2.0 (Linus)

Tasmanian Devil 2.0 (Linus)

C’est assez rigolo de découvrir ce que le diable que nous avons dans le sac à trafiqué ces derniers mois. Découvrir avec qui il s’est bastonné ou envoyé en l’air. D’ailleurs, puisque la saison de la reproduction est maintenant finie, nous vérifions aussi systématiquement la poche des femelles que nous capturons. La gestation interne des diables de Tasmanie ne durent pas plus de trois semaines et la poche de certaines femelles est déjà occupée. C’est le cas de Phoebe par exemple, dans la poche de qui nous avons pu observer une sorte de tout petit fœtus, attaché à une mamelle. En temps normal, les diablesses donnent naissance à entre vingt et trente larves marsupiales. Les larves se lancent alors dans une course effrénée vers les quatre mamelles présentes dans la poche. Les premières arrivées se fixent goulument à chacun des appendices et les autres meurent. Le fait que seule une des larves de Phoebe soient encore accrochée à une mamelle vient de l’âge avancé de la mère.

Pas besoin d'échographie avec les marsupiaux ! (Enigma)

Pas besoin d’échographie avec les marsupiaux ! (Enigma)

À chaque capture on note aussi les nouvelles cicatrices reçues par l’animal. Un vieux mâle de quatre ou cinq ans est bien souvent défiguré par les balafres.

Une fois toutes ces manipulations terminées le diable est relâché. Le procédé est moins simple qu’il ne peut le paraître car beaucoup d’individus, surtout les jeunes, préfèrent rester dans le noir du sac plutôt que de s’aventurer dehors en plein jour. Il faut parfois que David aille chercher l’animal lui même au fond du sac pour qu’il accède de s’éclipser. Lorsque le diable nous quitte nous mesurons sa vigilance en observant sa vitesse de fuite ainsi que la position de sa queue et de ses oreilles.

Vient ensuite la partie la plus fastidieuse de la capture : le nettoyage du piège.

En règle générale les diables sont plutôt propres, mais ils ne sont pas les seuls à être attirés par un bon morceau d’agneau… L’absence de dingo en Tasmanie et la faible, si existante, population insulaire de renards ont permis à un autre prédateur marsupial de survivre de l’autre côté du détroit de Bass.

Le chat marsupial à queue tachetée. (Hobbes)

Le chat marsupial à queue tachetée. (Hobbes)

Comme les diables sont susceptibles de passer la nuit dans le piège, l’appât que nous utilisons doit être assez conséquent pour couvrir leurs besoins alimentaires quotidiens. Or les chats marsupiaux, qui sont eux aussi charognards mais beaucoup plus petits que les diables, n’ont pas besoin de beaucoup manger pour être parfaitement rassasiés. Du coup ils sont très content de passer leurs nuits en sécurité dans le piège après avoir mangé à leur faim, c’est la raison pour laquelle certains d’entre eux s’aventurent quasiment toutes leurs nuits dans nos tubes en plastique. Les chats n’intéressent pas du tout David, et il n’apprécie pas vraiment que les petits malins occupent ses pièges alors qu’ils pourraient servir à capturer des diables. Mais puisqu’ils sont là nous les marquons quand même et effectuons des prélèvements de base. C’est d’ailleurs comme ça que nous réalisons que, même si nous en capturons bien plus souvent que des diables, les chats marsupiaux sont minoritaires en nombre dans la région.

Un autre soucis qui rend les chats assez impopulaires c’est leur fâcheuse tendance à se délester d’une quantité impressionnante de défections et de soigneusement étaler le résultat sur l’ensemble des parois de sa chambre.

« Très bonne adresse, je reviendrais ! » (Witch)

« Très bonne adresse, je reviendrais ! » (Witch)

Je vous laisse imaginer la perplexité des chauffeurs qui nous dépassent alors que nous nettoyons nos pièges sur le bord de la route ou le long de chemins de traverse. L’activité d’une manière générale peut prêter à confusion. Deux grands barbus qui parcourent les culs-de-sac de campagne en déposant des paquets dans des sortes de planques et retournant les visiter régulièrement pour vérifier si ils n’ont rien reçu en retour ? Les mêmes barbus cachés dans d’anciennes carrières nettoyant avec soin et aux grandes eaux de grands tubes avant de les désinfecter soigneusement ? Jusqu’ici personne n’a osé s’arrêter pour nous demander ce que nous trafiquions…

« What do you think ? We're cooking meth ! »

« What do you think ? We’re cooking meth ! »

Mais c’est surtout lorsque je travaille avec Gavin que je croise les doigts pour que personne ne tombent sur nous…

Gavin a reçu la lourde tâche d’essayer d’observer en direct les interactions entre les diables sauvages. L’écologie alimentaire comme le comportement social du diable de Tasmanie restent encore très flous et le travail de l’étudiant Australien est censée permettre de mieux les comprendre. Pour l’instant le seul résultat a été de confirmer l’idée qu’il va s’écouler encore de nombreuses années avant que l’énigme vivante qu’est le diable de Tasmanie ne soit résolue…

Pour invoquer le diable, c’est bien connu, il nous faut lui offrir un sacrifice rituel. Gavin doit donc se doter d’un accessoire assez macabre, une carcasse d’animal. Il avait d’abord prévu de se servir des innombrables animaux écrasés qui se trouvent en abondance sur les bords des routes Tasmaniennes. Mais c’était sans compter la circulation quasiment inexistante autour d’Arthur River en ce début d’hiver. Et comme si ça ne suffisait pas les rangers du coin ont mis en place un peu partout un super système de petits appareils à ultra-sons qui s’activent automatiquement lorsqu’ils sont éclairés par des phares de voitures.

Les wombats peuvent circuler tranquilles.

Les wombats peuvent circuler tranquilles.

Avant même d’être entamé, le projet de Gavin semblait déjà frappé d’une malédiction… Mais les errances de l’étudiant dans sa recherche morbide l’amenèrent à faire la connaissance de Damian, le gérant d’une station service de Smithton qui tient également un magasin d’armes à feu à proximité immédiate de son premier établissement. Damian, en bon fils du Démon qui se respecte et après avoir pris connaissance de la quête de Gavin, lui proposa un arrangement qui sauva in extremis le projet d’étude. Damian est payé par les fermiers du coin pour massacrer chaque nuit les wallabys et thylogales qui pâturent sur leurs champs.

Les copains, vous me voyez navré de vous annoncer aussi sèchement que ces créatures que vous venez à peine de découvrir à travers mon dernier article disparaissent par centaines chaque nuit de manière brutale. Je me dois de vous expliquer le pourquoi du comment.

Comme vous l’avez découvert lors de mes mésaventures à Mildura, en Australie, les fermiers sont clairement au-dessus des lois et sont dramatiquement libres d’assouvir la plupart de leurs excentricités. De plus dans ce pays les lois peuvent être très différentes d’un état à l’autre. En Tasmanie celles qui régissent la chasse des espèces natives est, si existante, totalement floue. Ainsi Damian peut librement abattre quatre cent thylogales en une nuit pour le compte d’un fermier et laisser les carcasses pourrir sur place, personne ne lui en tiendra rigueur.

Mais ce qui personnellement me choque le plus c’est la raison de ce massacre. Les fermiers dépensent chaque année des fortunes en clôtures et abattages de marsupiaux natifs, dont la viande est parfaitement comestible, pour protéger leur précieuse herbe. Herbe qui sert d’alimentation pour des vaches introduites qui seront ensuite abattues pour leur viande et un pécule…

Je préférais encore quand j'étais la proie des thylacines...

Je préférais encore quand j’étais la proie des thylacines…

Ah oui parce qu’en plus de tout ça, si les thylogales et les wallabys sont maintenant en nombre problématique sur l’île, c’est avant tout à cause des éleveurs eux-mêmes ! Vous pensez bien que pendant les millénaires au cours desquels l’Homme blanc n’avait pas encore tout déréglé en Tasmanie, le nombre de marsupiaux brouteurs en Tasmanie était tout à fait raisonnable. Et ce grâce à la présence d’un prédateur très bien adapté : le thylacine. Un carnivore marsupial de la taille d’un chacal qui fût rapidement accusé par les éleveurs de décimer leurs bêtes. Une prime fut longtemps offerte à quiconque tuait un thylacine ce qui a largement favorisé l’extinction de ‘espèce. L’impact de la prédation des thylacines sur le bétail n’a jamais été sérieusement étudié mais il est impensable que les pertes des éleveurs aient été plus élevées que ce que leur coûte le contrôle des marsupiaux herbivores à l’heure actuelle…

Enfin bref, cette parenthèse refermée revenons au pacte avec Damian. Le chasseur fournit donc gracieusement des animaux fraichement abattus à Gavin,à moins que le procédé ne lui ai couté son âme, c’est une pratique courante lorsqu’on s’intéresse un peu trop au diable…

Tous les soirs, Gavin se munie d’une carcasse et d’un volontaire et se dirige soit vers la forêt soit vers la côte. Une fois à destination il installe la carcasse aux pieds de deux lampes dont les ampoules ont été recouvertes de films transparents rouges, une couleur que le diable, un nocturne inconditionnel, supporte mieux que les autres. À l’abri dans la voiture garée un peu plus loin, l’attente commence…

Klatu Verata Nektu!

Klatu Verata Nektu!

Le but du jeu est de rester immobile, silencieux et dans le noir à fixer un thylogale crevé en attendant que non pas un mais deux diables de Tasmanie se mettent à table et interagissent. Ce qui en trois semaines n’est arrivée qu’une seule fois et pour seulement une poignée de minutes.

Les copains je ne sais pas si vous pouvez vous imaginez l’horreur que représentent sept heures de complète inactivité mais je vous assure que c’est intensément dur. Et encore, après une semaine Gavin a ajouté un Babyphone à son équipement. Les bestiaux mangent si bruyamment que l’appareil nous alertait de leur présence sans que nous ayons besoin de fixer la carcasse en permanence. D’ailleurs si des parents négligents lisent ces lignes je peux leur transmettre les références d’un Babyphone qui marche sous la pluie par moins de dix degrés et à un demi kilomètre de distance…

En plus du côté pratique, les deux seules fois où j’ai pu observer des diables se nourrir, avoir le son en plus de l’image était assez immersif. Voir les petits monstres croquer avidement dans le thylogale comme s’il s’agissait d’un gâteau est assez impressionnant, surtout après qu’ils aient chassé les tatillons chats marsupiaux qui ne s’attaquent généralement qu’aux entrailles. En temps normal un diable adulte peut dévorer un thylogale entier et ne laisser que quelques poils derrière lui en un rien de temps. Et en théorie c’est ce qu’ils font. En théorie…

Sauf que dans les faits on a été assez surpris. À plusieurs reprises Gavin et Tamara ont vu des diables passer nonchalamment près de ce qui constitue leur source essentielle de nourriture, et incompréhensiblement l’ignorer. Le pire qu’on ait vu c’est un jeune diable qu’on venait tout juste d’entendre se castagner avec un autre un peu plus loin (c’est assez perturbant d’entendre ça à travers un Babyphone d’ailleurs) se rabattre sur notre appât et commencer à en grignoter la queue. Puis il s’est arrêté et à préférer abandonner le reste de notre thylogale pour aller se battre à nouveau un peu plus loin.

Gavin aura au final observé plus de chats marsupiaux que de diables. (Cinderella)

Gavin aura au final observé plus de chats marsupiaux que de diables. (Cinderella)

Il aura fallu une patience à toute épreuve à notre étudiant Australien pour passer trois semaines à se les geler dans une bagnole toutes les nuits sans résultats, de retour à l’université il compte bien avoir une sérieuse discussion avec ses superviseurs…

La dernière partie de mon travail était bien plus sympa. Les colliers dont certains diables sont équipés émettent des ondes radio et dès qu’on avait du temps on partait se balader avec une antenne de réception pour trouver les terriers dans lesquels ils passaient la nuit. Les diables de Tasmanie ne sont absolument pas territoriaux et leurs déplacements sont encore très mal connus. Trouver qui dort où devrait aider à mieux comprendre l’écologie sociale de ces animaux, même si on faisait quand même souvent chou blanc.

Arthur River se trouve, comme son nom l’indique, à l’embouchure du fleuve Arthur, à la frontière Nord du Tarkine et au sein de la zone de conservation Arthur-Pieman. Une de ces régions du monde encore très sauvages et peu marquées par les hommes. À l’intérieur des terres une forêt où poussent des pins Huon plus vieux que Rome et où l’Eucalyptus regnans, l’une des plus hautes plantes de la planète (si ce n’est la plus haute), domine la canopée. Au milieu de cette majestueuse forêt coule un fleuve aux eaux troubles qui cachent les dernières écrevisses géantes de Tasmanie et qui est survolé par le ballet majestueux des aigles d’Australie.

Un spectacle d'autant plus appréciable lorsqu'on se ballade en canoë.

Un spectacle d’autant plus appréciable lorsqu’on se ballade en canoë.

Du côté de la mer c’est un tout autre spectacle non moins magnifique. La côte ouest Tasmanienne est malmenée par les tempêtes célèbres des quarantièmes rugissant. Un promontoire qui surplombe la plage à cinq minutes de marche du village porte très justement le nom d’« Edge of the World ». Un endroit où il est facile de perdre des heures, que ce soit de nuit pour apercevoir les aurores australes sur fond de ciel étoilé, ou de jour pour admirer pensivement l’Ouest en se disant que rien d’autre que l’océan, si ce n’est peut-être l’archipel Crozet, ne nous sépare de l’Argentine.

C'est quand même beau l'horizon...

C’est quand même beau l’horizon…

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Dans la poche

22 avril

La suite de mon voyage m’amène à croiser à nouveau les traces de ce cher Antoine Bruny. En 1792, un mois après avoir cartographié une partie de l’île d’Amsterdam et avoir fait route vers l’Est, notre contre-amiral préféré atteint une immense île qui fût découverte en 1642 par Abel Tasman et qui porte aujourd’hui son nom : la Tasmanie. La Recherche et l’Espérance y retourneront d’ailleurs moins d’un an plus tard, après avoir fait le tour de l’Australie en espérant en vain retrouver La Pérouse.

L’état le plus septentrional du pays fait figure de parfaite exception lorsqu’on le compare au continent. Bien installé juste au Sud des quarantièmes rugissants, il pleut abondamment sur un territoire majoritairement couvert de forets humides dont la plupart sont classées en réserves ou parcs nationaux. Le relief est un enchainement de collines et de montagnes entrecoupées d’innombrables rivières et ruisseaux. Les petits villages aux artères tortueuses remplacent les quadrillages citadins sans personnalités qui abondent à travers le reste du pays. Vous l’aurez compris, c’est un endroit très laid.

Beurk, toute cette eau...

Beurk, toute cette eau…

Avec Sophie nous avons atterris à Launceston et nous étions tranquillement en train de nous diriger vers la sortie du parking lorsque Jane, une fermière des environs, s’est spontanément arrêtée pour nous faire visiter une partie de la campagne avoisinante. Les habitants sont à l’image de leur île. En un rien de temps nous arrivons jusqu’à Burnie où nous sommes hébergés par Megan, une journaliste locale. Juste le temps pour Sophie de nous dénicher une auberge de jeunesse qui accepte de nous offrir gracieusement une chambre en échange d’un peu de jardinage et nous pouvons explorer les parages. Burnie en soi ce n’est pas spécialement brillant mais en y regardant de plus près on y trouve de quoi s’émerveiller. Si le bord de mer au centre de la petite ville abrite surtout un énorme port très laid, les plages qui s’étendent de chaque côté hébergent quantité de manchots pygmées.

Ça faisait longtemps tiens.

Ça faisait longtemps tiens.

Et puis en Tasmanie la forêt n’est jamais bien loin. Une forêt isolée du reste du monde pendant si longtemps qu’elle a échappée au plus grand fléau qui frappe la vie sauvage à travers la planète, l’introduction d’espèces exotiques. Bien entendu on trouve quantité d’animaux domestiques et les chats errants, rats et souris sont bien présents. Mais ni les dingos, qui ont malheureusement envahis le continent Australiens, ni les mustélidés et les hérissons, qui exterminent les oiseaux Néo-zélandais, n’ont mis la patte sur le territoire Tasmanien. La conséquence directe de cette absence est l’abondance d’espèce natives, notamment de marsupiaux.

L’Australie détient le record assez sombre du nombre d’extinctions d’espèces de mammifères au cours des siècles derniers. Une des raisons qui expliquent ce déclin est liée à l’histoire de l’évolution du vivant. Les marsupiaux appartiennent à un très ancien groupe de mammifères qui existait déjà alors que les dinosaures régnaient en maîtres sur la planète. Ils se caractérisent par une gestation interne très rapide immédiatement suivie par une gestation externe un plus longue. La gestation interne donne naissance à une sorte de sangsue rose appelée la larve marsupiale qui vient se coller à une des mamelles présentes dans une poche sur le ventre de sa mère appelée le marsupium. Dans cette poche abdominale l’embryon continue de grandir jusqu’à devenir indépendant.

Ce qui peut prendre du temps...

Ce qui peut prendre du temps…

Il y a environ cent million d’années, alors que la Pangée commençait à se diviser en deux super continents, les marsupiaux apparurent en Laurasie et atteignirent le Gondwana de justesse avant que les deux énormes continents ne se séparent il y a soixante-cinq million d’années. Cinq millions d’années plus tard l’Australie tenta d’échapper à l’invasion marsupiale en se désolidarisant du Gondwana avec à son bord des monotrèmes et des placentaires. Mais un petit marsupial parvint malgré tout à traverser l’étendu d’eau qui se formait. L’Australie envahie, l’évolution suivit son cours et les marsupiaux profitèrent de la disparition inexpliquée des placentaires pour coloniser le continent.

Les placentaires se démarquent des marsupiaux par leur placenta, qui remplace le marsupium et leur permet d’effectuer toute la gestation en interne. Un peu à la masse au Gondwana, les placentaires profitèrent de l’extinction massive des dinosaures et inexpliquée des marsupiaux en Laurasie pour dominer cette moitié du monde. Au cours du temps ils regagnèrent largement du terrain en Amérique du Sud et en Afrique et entreprirent la recolonisation de l’Australie relativement récemment. Leur progression se ralentit toutefois au niveau de l’Asie du Sud-Est et peu de placentaires terrestres parvinrent à franchir la ligne Wallace, parmi eux seuls quelques rongeurs posèrent leurs pattes en Australie. Tout du moins jusqu’à ce qu’un placentaire particulièrement invasif ne s’en mêle…

Vous voyez de qui je veux parler?

Vous voyez de qui je veux parler?

Les premiers êtres humains à s’installer en Australie furent les Aborigènes. Leur apparition remonte tellement loin qu’il est difficile de dire si ils ont amené avec eux des animaux exotiques nuisibles. Il faudra attendre le débarquement de pêcheurs Asiatiques il y a environ dix mille ans pour constater la première introduction d’une espèce animale aux conséquences désastreuses.

Le dingo n’était au départ qu’un cabot parmi tant d’autres qui échappa au contrôle de ses maitres. Il devint progressivement de plus en plus sauvage et on le tient responsable de la disparition d’un bon nombre de marsupiaux natifs. Il est particulièrement pointé du doigt comme une cause de la disparition par compétition des rares prédateurs natifs du continent. Or il y a quelque siècles, des marins Européens ont réitéré la même bêtise déjà répétée sur de trop nombreuses îles. Ils ont introduit les lapins en Australie.

Devant la peste lagomorphe les dingos, les chats et même les hommes se retrouvèrent démunis. La prolifération de mangeurs de carottes pris des proportions telles que les Australiens se tournèrent vers des solutions extêmes. L’une d’entre elle, particulièrement stupide, consista à introduire des renards dans le pays en espérant qu’ils viennent à bout des lapins.

Bien entendu les goupils préférèrent de loin se rabattre sur les rares marsupiaux à avoir survécu aux dingos que de se coltiner les lapins.

C’est pourquoi aujourd’hui quand on se balade en Tasmanie, où il semblerait que même les renards aient du mal à s’implanter et que les humains ont relativement préservé de leur folie, on croise énormément de marsupiaux, certain ayant même disparu du continent.

Attention les photos qui suivent dévoilent une série de ces animaux repoussant qui ne mériteraient pas d’exister dans un monde parfait : âmes sensibles s’abstenir.

Phalanger renard

Phalanger renard

Wombat commun

Wombat commun

Ornithorynque

Ornithorynque

Wallaby de Bennett

Wallaby de Bennett

Possum à queue en anneau

Possum à queue en anneau

Jeune thylogale (difficilement soutenable)

Jeune thylogale (difficilement soutenable)

Le lecteur attentif aura noté que dans la liste ci-dessus figure un mammifère qui n’est ni un marsupial, ni un placentaire ! C’est un piège ! Oui je suis fourbe.

C’est l’abonda

Highway to Hell.

Highway to Hell.

nce de ces boules de poils qui a motivé ma venue en ces terres reculées. Comme je vous l’ai déjà dit certaines d’entre elles ne survivent plus qu’en Tasmanie. L’une d’entre elles en particulier déchaine les passions. Un animal emblématique qui propage à travers toute la planète la notoriété de cette île perdue que peu de gens savent situer sur une carte. Une créature qui a inspiré un célèbre personnage de cartoon par sa gloutonnerie et son absence prononcée de finesse. Un marsupial au destin très incertain et dont la survie dépend peut-être de l’aide que Tamara, une ranger Serbo-Australienne en vacances, et moi apportons depuis une semaine à David et Gavin, deux étudiants de l’université de Tasmanie.

Le diable de Tasmanie, le plus gros marsupial carnivore d’Australie, occupait par le passé tout le pays. Après s’être considérablement raréfiés pendant la désertification du pays et cohabité un court moment avec les dingos, ils ne survivent plus aujourd’hui qu’en Tasmanie où ils étaient encore très abondant il y a une vingtaine d’années. Puis survint l’imprévisible. Une maladie virulente décima la majeure partie des diables en moins de vingt ans. Une forme rarissime de cancer, l’un des trois seuls connus à ce jour pour être transmissible d’un individu à l’autre. Surgit d’on ne sait où il se propagea très rapidement à travers l’île. La maladie développe chez sa victime d’énormes tumeurs au niveau du museau. Petit à petit les tumeurs aveuglent l’animal, lui déchaussent les dents et gênent son alimentation. S’il n’a pas la chance de succomber rapidement au cancer lui-même, le marsupial souffre une longue agonie avant de mourir de faim. Seuls deux individus sont connus pour avoir survécu à cette maladie et résorbé leurs tumeurs. Mais dans la plupart des cas la meilleure issue est que l’animal survive assez longtemps pour pouvoir donner le jour à plusieurs portées de petits diables.

Aujourd’hui seul la région du Nord-Ouest de la Tasmanie est épargnée mais les scientifiques s’accordent à dire que d’ici deux ans tous les diables adultes en liberté sur l’île seront exposés à l’épidémie. À travers tout l’état une armée de chercheurs, étudiants et volontaires redoublent d’efforts pour permettre d’espérer revoir un jour les diables proliférer sur l’île qu’ils ont rendu si célèbre.

Sympathy for the Devil.

Sympathy for the Devil.

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Là où le soleil se couche.

11 avril

Après un tel périple nous nous sommes autorisés une journée de repos sous la pluie à Esperance, une petite cité balnéaire très sympa. Mais nos pouces nous ont très vite à nouveau démangé et dès le lendemain nous montons dans une nouvelle voiture. Sur le tableau de bord trône un gros caillou, zébré par un filon d’or.

Esperance → Lucky Bay

Le mineur qui s’est arrêté pour nous ne se rendait qu’à trois kilomètres de notre point de départ, retrouver des amis sur une plage. Mais quand il nous a entendu lui dire que notre objectif était une plage perdue au fin fond du Parc National du cap Le Grand, il a éclaté de rire et s’est proposé de nous y conduire lui-même. Le peu de voiture sur la route nous a rapidement fait comprendre l’hilarité de notre chauffeur. Lorsque nous entrons dans le parc il nous annonce également que ça ne le dérange pas si nous voulons repartir tout de suite avec lui pour Esperance. L’annonce n’a rien de très rassurant mais le parc est vraiment superbe et nous confirmons notre décision de nous arrêter.

Le petit camping où nous plantons notre tente est situé à quelques mètres à peine d’une plage réputées comme la plus belle d’Australie. Un sable d’une blancheur laiteuse irréelle, des eaux couleur turquoise sont déjà des arguments séduisant mais ce qui fait la renommée de Lucky Bay c’est aussi la manie étrange qu’ont pris les kangourous du coin d’aller se promener eux aussi sur la plage.

Boïng !

Boïng !

J’ai beau avoir cherché je ne sais pas vraiment pourquoi les kangourous de la région se comportent de telle manière…

Le sable qui compose la plage est également assez surprenant. Outre sa couleur particulière, sa texture ne rappelle pas vraiment le sable de Fontainebleau. Lorsqu’on se déplace dessus, on a l’impression de marcher sur un immense sac de sable compressé. La densité des grains est impressionnante et le sable crisse littéralement sous nos pas.

À ces latitudes, l’eau de l’océan ne prête pas vraiment à la baignade, mais même avec quelques degrés de plus je ne pense pas que je serais allé faire trempette. Notre chauffeur du matin n’a pas manqué de nous raconter que deux mois plus tôt un habitant d’Esperance à fait cadeau de ses deux mains à un grand requin blanc, un poisson régulièrement observé près de ces côtes. Nous nous sommes donc contentés de balades dans les dunes et de pêcher un maquereau pour agrémenter notre dîner.

Largement assez pour nourrir quinze personnes...

Largement assez pour nourrir quinze personnes…

Le lendemain nous nous sommes attaqués à la route retour, assez convaincus de passer la journée à marcher. Finalement nous avons eu de la chance et un couple de touristes Suisses très sympa nous a fait monter dans leur van de location.

Lucky Bay → Esperance

Initialement, ils ne s’étaient arrêtés que pour nous avancer jusqu’au Frenchman Peak, un énorme bloc de granit haut de presque trois cent mètres. Les compagnies qui louent des vans n’autorisent pas leurs clients à transporter des passagers et de toutes manières il est interdit de voyager à l’arrière de ce genre de véhicules. Mais bon à l’intérieur du parc et pour une poignée de kilomètres ça passait encore pour nos touristes.

Vu qu’on y était, Sophie et moi avons décidé d’accompagner nos montagnards dans leur ascension. Grand bien nous en a pris car la vue était quand même superbe. Arrivés en bas notre sympathique couple de touriste propose de nous emmener jusqu’à l’embranchement qui mène vers la baie Le Grand, où ils souhaitent passer la nuit, et la sortie du parc.

À ce stade du récit vous devez vous demander pourquoi tous les noms de lieux dans le coin sonnent quand même bien français. Et bien figurez vous que l’un des responsables est un contre-amiral dont le nom doit désormais vous être familier : Antoine Bruny d’Entrecasteaux. Dans leur quête du disparu Jean-François de La Pérouse, les deux navires sous son commandement, la Recherche et l’Espérance, auront cartographié la côte orientale de l’île d’Amsterdam et effectué une circumnavigation autour de l’Australie avant d’être piégés par une tempête le 9 décembre 1972. Ce jour là Jacques-Bertrand Legrand sauve l’expédition en découvrant une baie qui sera baptisée Espérance, du nom du navire sur lequel officiait l’enseigne salvateur.

Ça fait toujours rêver les histoires de marins.

Ça fait toujours rêver les histoires de marins.

Bref revenons à un croisement du parc national du cap Le Grand où nous marchons doucement à travers une garrigue parsemée d’arbustes rabougris à l’allure étrange. Le climat méditérannéen et le sol sableux a donné naissance à un paysage relativement plat où s’enchainent petits reliefs de granit et marais couverts de roseaux. Après une petite heure de marche nos Suisse, qui ont finalement changé d’avis, repasseront par notre route et nous déposerons au centre ville d’Esperance. La cité balnéaire est juste assez petite pour ne pas voir l’utilité d’un service de transports en commun mais trop grande pour que ous soyons motivés à la traverser à pied.

Esperance, croisement de Norseman et Shelden Roads → Croisement de Harbour Road et South Coast Highway

Bryan est un ancien employé d’une auberge de jeunesse du coin et en passant à côté de nous il s’arrête pour nous déposer à la sortie de la ville sur un emplacement plus propice à la pratique de l’auto-stop.

Esperance → Munglinup

Steeve et sa fille Michelle rentraient vers Ravensthorpe lorsqu’ils se sont arrêtés pour nous faire monter dans la voiture de l’adolescente. Le cliché de la bagnole d’une jeune campagnarde. Sophie et moi sommes assis autour d’un siège enfant aux motifs zèbre, le volant est recouvert d’un étui Playboy tandis qu’à mes pieds gît une batte de Baseball en aluminium fluorescent et que de la musique pop niaise dégouline des hauts-parleurs.

Lorsque Steeve arrête sa fille à la station essence d’un bled perdu pour se prendre un soda à la tombée du jour nous n’hésitons pas vraiment longtemps avant d’abandonner notre charrette et décidons de planter la tente au bord de la route. Le site est d’ailleurs prévu à cet effet. L’Australie regorge d’aire de repos le long des routes où on peut trouver des toilettes et de l’eau potable. Le notre s’avérera au final être assez agréable. Surtout lorsque passe au dessus de nous un groupe bruyant de cacatoès à rectrices blanches qui se déplacent d’un vol qui semble surnaturel.

Munglinup → Ravensthorpe

Le lendemain nous partons assez rapidement grâce à un australien qui enchaîne régulièrement les allé-retours entre Perth et Esperance pour diverses raisons. Ce coup ci c’est pour une opération que notre chauffeur se farcit les centaines de kilomètres qui sépare son chez lui du premier hôpital digne de ce nom. C’est un peu le soucis de l’Australie Occidentale. Le plus grand état du pays, qui couvre près d’un tiers du territoire national, n’abrite pas vraiment grand monde et tout se passe essentiellement à Perth. Donc si vous avez besoin de quoi que ce soit que vous ne pouvez pas trouver près de chez vous, vous êtes bons pour des centaines de kilomètres de route. D’autant plus qu’avec une démographie aussi faible les transports en commun sont quasiment inexistants…

Raventhorpe → Albany

Perdus dans un coin reculé de l’Australie nous ne verrons pas beaucoup de circulation et il nous faudra attendre trois heures avant de pouvoir repartir. Duncan, un routier Néo-zélandais installé en Australie depuis plusieurs décennies s’arrêtera pour nous faire monter dans sa voiture. Un type très sympa qui coupait régulièrement nos discussions pour monter le volume de sa radio et vérifier le score de la demi-finale de la coupe de monde de cricket. La Nouvelle-Zélande y jouait à domicile sa place pour la finale. Sur l’essentiel du trajet le paysage se résume en des champs de blé démesurés où s’éparpillent des silos à grains gigantesques. Mais plus nous approchons d’Albany et plus l’herbe devient verte. De majestueux bœufs angus paissent tranquillement dans des près de tailles modestes. C’est la première fois depuis longtemps pour nous que la teinte dominante est le vert. Des grains s’échappent des camions pour aller se poser sur les bords de route où des myriades de perruches picorent à tout va.

Perruche à oreilles jaunes

Perruche à oreilles jaunes

Perruche à tête pourpre

Perruche à tête pourpre

Perruche à collier jaune

Perruche à collier jaune

À Albany nous serons hébergé par Rémi, un français qui utilise son visa vacance/travail comme la plupart de ses titulaires, pour se faire de l’argent. Pour l’instant ça ne marche pas terrible pour lui car il est employé à la cueillette des fraises, payé au rendement avec trop peu d’heures de travail. Mais comme beaucoup de français expatriés au pays des kangourous il fait jouer la communautarisation entre bouffeur de grenouilles. On croisera plusieurs de ses amis français chez lui et ça s’échange pas mal de bons plans boulots les compatriotes. En général Sophie et moi nous évitons justement pas mal les Français, bien que ce soit loin d’être facile. Après tout nous n’avons pas traversé la moitié de la planète pour se retrouver avec cette race de fainéants qui trouve quand même le moyen de voler le travail de ces braves Australiens tout en fustigeant de loin une société au final plus équitable que celle qu’ils enrichissent ici. Vous avez aimé cette phrase pleine d’hypocrisie patriotique et de lucidité de comptoir ? Entre voyageurs on appelle ça le mal du pays.

Mais je dis ça et au final on a plus passé une soirée sympa à jouer au tarot que les moralisateurs tristes qui prétendent refaire un monde où un pilote de ligne entraîne une classe de lycéens et des dizaines d’innocents dans sa dépression égoïste.

Et puis Albany était la ville la plus adaptée à cette réunion entre gaulois. La première colonie officielle d’Australie Occidentale fût fondée en 1826 par le major Edmund Lockyer avec le but assumé de couper court aux prétentions françaises envers la Nouvelle-Hollande. Comme souvent à cette époque, Lockyer est arrivé avec vingt soldats et autant de criminels pour établir les fondations d’une nouvelle démocratie.

Bien penser à compter les moutons avant de s'endormir...

Bien penser à compter les moutons avant de s’endormir…

Albany, tout comme Esperance, est une ville autour de laquelle il y a bien assez pour que nous ne puissions nous ennuyer pendant des jours mais nous n’y resterons finalement qu’une journée grise, occupés à préparer la suite de notre voyage.

Albany → Denmark

Le lendemain Rémi nous déposera à la sortie de la ville où nous monterons rapidement dans la voiture d’un nouvel australien. Avec sa boite il a participé à la construction des ponts tout le long du chemin de cyclo-randonnée Munda Biddi, une piste cyclable d’environ mille kilomètres entre Albany et Perth. Les promenades aux parcours exagérés sont une spécialité de cette partie de l’Australie avec le célèbre Bibbulmun, un chemin de randonnée lui aussi de mille kilomètres et là encore allant d’Albany et Perth.

Nous ne nous serions jamais arrêté dans le paisible village de Denmark si nous n’y avions été invité par Duncan, le chauffeur qui nous avait déposé à Albany. L’accueil qu’il nous a réservé avec sa femme Marie-Lou était des plus agréables. Nous sommes allés rendre visite à ses amis Warren et Karen pour l’anniversaire de ce dernier. La célébration consistait en quelques toasts et verres sur la terrasse du wagon que le couple de retraités hippies avait aménagé en petit nid d’amour. Duncan, Sophie et moi étions les seuls invités, assis en très bonne compagnie avec vue sur la mer et les champs, survolés par les cacatoès au coucher du soleil.

Le lendemain le charme dévastateur de cette région de rêve avait fait son effet. En passant devant le tableau des petites annonces accroché au mur du supermarché local nous n’avons pu retenir un regard envieux en direction des offres de petits boulots dans ce petit bout de paradis.

Et comme si ça ne suffisait pas à nous torturer il a fallut que Duncan nous amène avec un de ses amis à Greens Pool, une piscine naturelle d’eau de mer, protégée de l’océan par des blocs de granites.

Un peu nuageux quand même...

Un peu nuageux quand même…

Mais nous avons réussi à résister et laissons notre ami pour continuer notre route vers l’Ouest.

Greens Pool → Walpole

Notre nouveau chauffeur travaille pour une compagnie qui construit des foreuses pour les plates formes pétrolières maritime et s’envole une fois par mois pour Dalian, une ville que les enragés qui connaissent ce blog par cœur peuvent situer sur une carte. Mais son projet personnel c’est un élevage de « marrons », une écrevisse locale de la taille d’une langouste. Il devait se rendre directement à Brow Bridge mais décidera finalement de prolonger considérablement sa route pour nous faire profiter encore plus des merveilles cachées du coin.

Comme les Conspicuous Cliffs.

Comme les Conspicuous Cliffs.

Walpole → Croisement de Western et Vasse Highway

Kim et Sophia seront nos dernières rencontres de la journée. Sophia ne sera pas d’une compagnie très loquace, vautrée dans son siège, prisonnière d’un sommeil profond, elle a visiblement du mal a se remettre de son anniversaire. On ne lui en a pas vraiment tenu rigueur, ce n’est pas tous les jours qu’on fête ses deux ans. En règle générale j’ai un peu tendance à me permettre de gentilles remontrances un peu déplacées à l’encontre des mères seules qui font monter de parfait inconnus dans leurs voitures mais Kim est de ces femmes déterminées et intimidantes à qui il est difficile de dire non.

Si depuis Albany la route est principalement entourée de superbes forêts d’eucalyptus verdoyantes cette partie du pays a été victime d’un terrible incendie il y a un peu plus de trois mois et les cicatrices en sont encore très visibles. Mais la vie reprend ses droits et les rayons du soleil couchant à travers les jeunes repousses donnent à la forêt un aspect presque magique. Nous planterons notre tente sur un chemin forestier pour pleinement profiter de l’endroit.

Croisement de Western et Vasse Highway → Pemberton

Peter, qui construit des digues de retenue d’eau dans la région nous conduira sur les quelques kilomètres qui nous séparent de Pemberton. Un village de sylviculteurs qui a connu un essor important grâce au commerce de bois d’Eucalyptus diversicolor, localement appelé « karri ». L’attraction du coin est d’ailleurs l’arbre Gloucester. Un karri d’environ soixante mètres qui servait de vigie pour détecter les dangereux feus de forêt et avertir les bucherons. Il est toujours possible d’y monter et la vue du sommet de l’arbre est imprenable.

Safety first.

Safety first.

Pemberton, croisement de Kennedy Street et Burma Road → Croisement de Ellis Street et Vasse Highway

En haut de l’arbre nous tomberons sur un touriste Australien venant de Perth qui nous épargnera la marche retour jusqu’au village en nous y conduisant avec sa femme. En face de la scierie du village nous montons dans la voiture de Kevin.

Pemberton → Karridale

Kevin est un vieux hippie désabusé qui a perdu sa ferme dans un divorce coûteux et qui passe sa vie entre des communautés aborigènes et le lancement d’une ferme à truffes. Il nous conduira jusqu’à une région d’Australie Occidentale réputée pour son vin, son chocolat et ses glaces. Encore un endroit loin d’être accueillant.

Karridale → Augusta

Nous continuons notre route dans une voiture d’Outback Initiatives, conduite par un couple d’employés en habit de fonction. Leur travail est d’encadrer des séjours commandés par diverses compagnies. Le but de ces séjours est de souder les équipes de ces entreprises en leur faisant vivre un enfer collectif. Notre chauffeur et son complice sont chargés de beugler sur leur victimes tout au long d’une semaine de randonnée extrême dans le bush à se nourrir de racines d’eucalyptus.

Je ne suis pas convaincu par l’efficacité du procédé. Me faire subir ce genre d’épreuve m’inciterait plus à me nourrir de mes collègues qu’à partager mon steak de rat durement gagné avec eux…

Arrivés à destination nous installons notre tente dans un camping le long d’une rivière où se joue un manège assez comique. Il ne nous faut pas longtemps pour remarquer que chaque fois qu’un petit cormoran noir se décide à se mettre à l’eau en quête de pitance, un gros pélican à lunettes qui traîne dans les parages ne tarde pas à le rejoindre. Et dès que le petit plongeur réussi à cerner un groupe de poissons, aux prix de laborieux efforts, le gros parasite qui lui colle aux palmes se paye goulûment la part du lion dans l’assiette du malheureux. On a même vu un pélican engloutir à moitié son cormoran !

Les yeux plus gros que la poche !

Les yeux plus gros que la poche !

Augusta → Cape Leeuwin

John, un antiquaire venu faire les vendanges dans la région, se proposera de nous faire profiter de la route touristique qui mène jusqu’au phare du cap Leeuwin.

Atteindre la pointe Sud-Ouest du pays, le bout de la route, n’est pas sans avoir un effet très mélancolique sur moi. Si nous pouvions poursuivre encore plus loin notre chemin, parcourir encore trois mille kilomètres dans la même direction, à travers l’océan Indien, le premier bout de terre que nous rencontrerions serait une petite île couverte d’otarie.

Au pied de l’une des ampoules les plus proches géographiquement de la base Martin de Viviès, un chevalier guignette refait ses réserves de graisse en préparation de son grand voyage vers le Nord, où il ira peut-être passer l’été à courir les galets sur les bords du lac Baïkal…

A la croisée des mondes...

A la croisée des mondes…

Le cap Leeuwin marque pour nous le point de départ d’une randonnée éprouvante appelée le « Cape to Cape ». Près de cent quarante kilomètres de sentiers mal balisés longeant la côte du Sud au Nord. Une marche épique à travers des paysages époustouflant.

Cape Leeuwin → Cape Naturaliste

Les deux premiers jours furent les plus exténuant. Deux longues journées où nous ne croiserons quasiment personne et parcourrons de longues plages les pieds dans le sable. Marcher le long des plages est particulièrement fatiguant mais nous permet de profiter pleinement des oiseaux du coin. Si les sternes, les goélands et les fous n’ont rien de très exotique, faire s’envoler des perruches des rochers occupées à se nourrir dans les touffes d’herbe entre les dunes est assez surprenant.

Et puis nous auront également la chance d’admirer quelques pluvier à camail, un oiseau endémique du pays menacé d’extinction. Une activité très prisée des australiens est de parcourir les immenses plages du pays en véhicule tout terrain pour aller taquiner le goujon et laisser vagabonder le toutou tranquillement dans les dunes. Après avoir perdu des kilomètres de ligne et plusieurs kilos d’hameçons dans l’océan ils laissent en cadeau à la plage un pack de bières vides avant d’e rentrer en écrasant gaiement les œufs que les petits limicoles déposent à même le sable et que le clébard n’a pas encore mangé.

Sous les pluviers la plage.

Sous les pluviers la plage.

Un des plus sérieux soucis que nous rencontrerons sera le manque d’eau. Nous ne croiserons aucune source d’eau douce pendant deux jours à l’exception d’un réservoir à eau de pluie et un village. Mais heureusement pour nous nous tomberons le deuxième soir sur Ben, un randoneur qui campe le long du chemin dans la seule forêt d’eucalyptus que nous traverserons. Ben sort d’une sérieuse rééducation qui a suivit des complications de santé au niveau de son dos. Pour fêter ça il a planifié minutieusement une marche de deux semaines le long de la randonnée et caché des réserves d’eau potable un peu partout le long de son parcours. Il nous fera gracieusement cadeau de deux de ses bouteilles d’eau tandis que les ninoxes boubouk font résonner leurs chants caractéristiques à travers la sombre nuit forestière. La seule pluie de notre épopée réveillera aussi quantité de rainettes et l’ambiance sonore autour de notre tente fut exceptionnelle.

Notre troisième journée nous écraserons d’un pas assuré une bonne trentaine de kilomètres à travers une impressionnante variété de paysage avant de planter notre tente près de l’embouchure de la rivière Margaret.

Sur la plage se prépare une compétition internationale de l’activité sportive la plus pratiquée sur la côte.

Le patinage artistique.

Le patinage artistique.

Les gamins du coin tiennent sur une planche de surf quasiment aussi tôt qu’ils tiennent sur leurs jambes. Plus nous monterons vers le Nord et plus nous croiserons de sites réputés pour leurs vagues où des acrobates domptent l’océan avec dextérité.

L’activité n’est pas sans risques et le plus célèbre d’entre eux est sans doute l’abondance dans la région de ces gros poissons qui ont une fâcheuse tendance à planter leurs quenottes dans la viande tartinée de crème solaire des baigneurs. Une stèle à la mémoire d’un surfeur qui a finit sa glissade dans un estomac ainsi que le passage régulier de l’hélicoptère chargé de surveiller la présence de requins aux alentours de chaque spot de surf nous rappelle que la menace, bien que rarissime, est prise très au sérieux. D’ailleurs, alors que nous déjeunions tranquillement sur la plage Smith, où était installés plusieurs panneaux temporaires indiquant que des requins avaient été repérés récemment dans les parages, nous avons vu l’hélicoptère stationner à quelques mètres seulement au-dessus de l’eau et une centaine de mètres de la plage. Il y restera moins d’une minute et peu de temps après son départ nous verrons un énorme squale d’au moins trois mètres de long sauter à plusieurs reprises hors de l’eau. La seule explication que nous ayons eu pour ce comportement fut qu’il s’agissait peut-être d’une technique de chasse au saumon. Quoi qu’il en soit le spectacle n’aura pas ému les baigneurs outre mesure car ils continueront à se baigner insouciamment, sans toutefois trop s’éloigner du rivage.

Mais les animaux que nous verrons le plus souvent dans les vagues furent bien moins inquiétants.

Et ils sont très doués aussi pour le patinage artistique.

Et ils sont très doués aussi pour le patinage artistique.

Après avoir traversé la Margaret nous ralentissons la cadence et profitons de plus de pauses baignades et observation de bestioles.

La végétation est souvent dense autour du chemin et il n’est pas évident de repérer les bestioles qui s’y cachent. Les plus faciles à repérer sont ceux qui se dorent la pilule au beau milieu du sentier, les reptiles. Les petits scinques et bébés agames abondent en permanence mais nous aurons la chance de croiser quelques lézards de taille tout-à-fait respectable tels les varans de Rosenberg et les scinques rugueux. Ces derniers ont perfectionné une de ces techniques de défense qui laissent perplexe quant à l’efficacité des prédateurs qui les entourent… Si un scinque rugueux se retrouve dans l’incapacité de fuir un danger, ce qui arrive assez souvent vu qu’il n’est pas vraiment ce qu’on appelle une flèche, il ouvre grand sa gueule et en tire une langue d’un bleu profond et intense.

Astérix aux jeux olympiques.

Astérix aux jeux olympiques.

Bon je me moque mais au final si le bestiau vous claque ses puissantes machoires autour des doigts vous vous en souviendrez pendant longtemps.

Bien entendu il n’est pas possible de parler de reptiles en Australie sans évoquer les serpents. Le pays abrite une belle collection des producteurs des venins parmi les plus violents et dangereux du monde. S’ajoute à cela un comportement parfois agressif qui est habituellement assez rare chez les serpents mais très fréquent chez les espèces animales Australiennes. Malgré cela il reste très rare de tomber sur un de ces reptiles et les premiers que nous observerons ne laisserons apparaître que le bout de leur queue avant de disparaître dans les fourrés. Nous aurons quand même la chance d’admirer un superbe Pseudonaja affinis de plus d’un mètre cinquante au départ de notre dernière journée de randonnée. Le venin de cet animal est bien évidement très dangereux mais la dernière victime connue à avoir succombé à son poison s’est éteinte en quatre-vingt treize. Comme il se doit le serpent s’éclipsera bien vite sans nous menacer et au final les seuls que nous aurons vraiment le loisir d’admirer sont les juvéniles qui sont trop petits pour fuir assez vite.

Attends un peu que je sois assez grand pour m'éclipser avant que tu ne sortes ton appareil photo !

Attends un peu que je sois assez grand pour m’éclipser avant que tu ne sortes ton appareil photo !

Outre les reptiles les seuls autres animaux que nous croiserons furent bien entendu les emplumés. Balbuzard pêcheur, géopélie diamant, queue-de-gaze du Sud, mérion splendide, miro boodang, l’avifaune a tout pour me plaire.

Après une semaine de randonnée nous atteignons enfin le cap Naturaliste et déjeunons au pied du petit phare qui le surplombe. Ereintés, couverts de sueur et de poussière, nous n’en sommes pas moins ravis par l’accomplissement et très vite nos pouces se tendent à nouveau vers le ciel.

Cape Naturaliste → Bunker Bay

Jimmy et Kanako nous font vite réaliser que trouver une douche de libre dans les parages va se révéler beaucoup plus compliqué que prévu. Nous achevons notre randonnée en plein week-end de Pâques dans l’un des endroits les plus touristique d’Australie Occidentale. La plupart des campings le long de la route qui mène à Perth sont complets et ont fait énormément grimper leurs prix.

Bunker Bay → Dunsborough

Un couple de Taïwanais nous amènera jusqu’au supermarché le plus proche pour que nous puissions refaire le plein de nourriture. Le retour à la civilisation est étrange, surtout dans l’effervescence du week-end férié. On nous apprend qu’il ne reste plus un emplacement où dormir jusqu’à Busselton.

Dunsborough → Busselton

Les retraités qui nous font faire le trajet le passe à commenter à quel point et quelle vitesse le coin à changé depuis que la septuagénaire y est née. Pour fêter ses soixante-quinze ans l’aïeule s’était elle aussi offerte l’a randonnée du « Cape to Cape », on ne peut s’empêcher d’être assez impressionnés !

Busselton → Bunbury

Rosalie, accompagnée de sa fille Tracey, se rend chez sa nièce pour lui souhaiter un bon voyage. La nièce part pour Paris étudier la pâtisserie dans une grande école de cuisine.

Les adorables fermières nous déposerons devant un camping à l’entrée de la ville mais les prix exorbitants nous obligerons à tendre le pouce une fois de plus.

Bunbury, croisement de Bussel Highway et Washington Avenue → Bunbury, Croisement de Koombana Drive et Lyons Cove.

Un couple d’Indiens vraiment sympathiques nous amènera jusqu’au seul camping de la ville aux prix encore abordables et nous y obtenons le dernier emplacement disponible pour la nuit. La douche chaude et la cuisine sont des luxes auxquels nous nous abandonnons avec plaisir.

Bunbury → Warnbro

Peter et Felice, un couple d’Irlandais installés en Australie depuis une trentaine d’années nous fait faire le trajet d’une traite jusqu’à la banlieue de Perth. Notre chauffeur travaille pour une société qui installe des systèmes de climatisation sur les bateaux. Ce sont eux qui se sont notamment occupés de la ventilation du navire de surveillance des pêches australien l’Oceanic Viking, un des nombreux navires à nous avoir posé un lapin lorsque j’hivernais sur l’île d’Amsterdam.

Warnbro → Midland → Bus jusqu’au croisement de Park Road et de la Great Eastern Highway

C’est en train que nous traverserons la capitale de l’état avec seulement un bref coup d’œil au centre ville le temps d’un changement de ligne. Puis après un court trajet en bus nous serons pris en stop par Bobby, un grand gaillard aux bras tatoués et couverts de cambouis.

Croisement e Park Road et de la Great Eastern Highway → The Lakes

Il passera le trajet à comparer la voiture jaune de sa frangine (230 chevaux), qu’il est en train de conduire car la sienne, la noire (260 chevaux), est en panne, avec celle de son père (290 chevaux). Le tout dans le jargon de ceux que les gens du coin appellent les « bogans ».

The Lakes → Nortam

Michelle et Chris, le couple de Philippins qui s’est arrêté pour nous, se font rabattre sur le côté de la route par la police pour un contrôle d’alcoolémie de routine. L’agent qui tend à notre chauffeur un éthylotest est une femme un peu forte avec des tatouages qui dépassent de ses manches et de son col tandis que son collègue est un grand gringalet qui porte une énorme paire de lunettes de soleil aux montures roses fluo.

Nortam → Meckering

Après avoir passé la nuit sur le bord de la route nous attendons quatre heures avant que quelqu’un ne daigne s’arrêter pour nous. Sophie installe son sac dans le coffre de la grosse Mitsubishi bleue de Russel mais mon baguage devra aller sur la banquette arrière car le reste du compartiment est occupé par un énorme réservoir de gaz accélération.

Nous n’avions jamais prévu de nous arrêter à Meckering mais le bled perdu entre les champs de blés gigantesques et les pâturages à moutons démesurés cache une anecdote inattendue.

Et un musée de la photographie super kitsch.

Et un musée de la photographie super kitsch.

Tous les bleds d’Australie, même les plus petits, abritent un musée ridicule plein de babioles ennuyeuses. Ce n’est pas de ce côté qu’il faut chercher l’originalité de Meckering. Le bled est l’un des seuls à ma connaissance à être apparu sur les cartes suite à un tremblement de terre plutôt que d’en avoir été effacé. Le 14 octobre 1968 un violent séisme de magnitude 6.9 sur l’échelle de Richter a anéantit à peu près tout ce qui tenait debout dans le comté, tordu les rails de la voie ferrée, surélevé le sol sur deux mètres par endroits et a été ressentit jusqu’à sept cent kilomètres à la ronde.

La faible population, la date qui correspondait à un jour férié et pas mal de chance ont résulté en l’absence de victimes à l’exception d’une vingtaine de blessés.

Meckerling → Coolgardie

Le lundi de Pâques n’est pas la date la plus indiquée pour la pratique de l’auto-stop dans la région et il nous faudra encore deux bonnes heures pour pouvoir quitter cet ennuyeux village de campagne. Peter se rendait vers Kalgoorlie où il bosse comme réparateur d’à peu près tout ce qui peut lui tomber sous la main, machine de forage comme camions. Les cinq cent kilomètres de route qui séparent Perth de la ville minière longe le Pipeline Goldfields, un tuyau de béton qui achemine de l’eau douce dans cette région terriblement sèche. La construction de ce géant fut tellement critiquée par les sceptiques que son ingénieur, Charles Yelverton O’Connor, se suicidera moins d’un an avant que les travaux soient finis. Peter nous offrira deux burgers lors d’un arrêt à la station service de Southern Cross et la moitié de son jerky fait maison une fois arrivés à destination. Le jerky se sont des morceaux de bœuf marinés dans des épices avant d’être désydratés. Une friandise que les Australiens adorent.

Coolgardie → Wudinna

La fin du week-end prolongé n’a au final pas changé grand-chose pour nous. La circulation est restée très faible et le seul qui s’est vraiment intéressé à nous était le pitbull de la casse d’à côté qui n’a pas l’air d’avoir très bien compris le concept de chien de garde…

Rantanplan.

Rantanplan.

Avoir un molosse à nos côtés n’a pas vraiment augmenté nos chances de voir un chauffeur s’arrêter pour nous… Au total il nous faudra une bonne demi-douzaine d’heures pour que Thibault, un jeune pisciculteur Français, ne nous fasses monter dans sa voiture. Traverser une deuxième fois le Nullarbor est beaucoup moins passionnant lorsqu’on sait à l’avance qu’on s’engage dans une immensité désertique qui ne nous offrira rien de nouveau. D’autant plus que Thibault, qui vient de quitter un job à Perth pour retourner travailler dans un pisciculture près de Port Lincoln, n’a aucune intention de faire du tourisme et conduira presque sans arrêt du lever au coucher du soleil. Mon plus long trajet en stop avec le même chauffeur, trois jour pour mille cinq cent kilomètres, fût particulièrement calme.

Wudinna → Kyancutta

Une employée du motel miteux de ce bled perdu nous fera gentiment avancer d’une quinzaine de kilomètres jusqu’à un village encore plus petit où elle vit depuis une presque trente ans.

Kyancutta → Port Germein

Vassily n’avait jamai pris d’auto-stoppeurs. Après trois mois passés à conduire d’énormes camions dans une mine près de Kalgoorlie sans voir sa famille, il venait de se faire quasiment toute la route sans s’arrêter lorsqu’il nous a aperçu sur le bord de la route. Il a tout de suite vu en nous les interlocuteurs qui allaient lui permettre de tenir le coup jusqu’à sa maison à Port Augusta. Le fils d’immigrés Grecs ne mettra pas très longtemps à nous offrir l’hébergement pour la nuit. Les six enfants et sa femme Isabel, d’origine espagnole, furent aussi ravi de le retrouver qu’ils ne furent étonnés par notre présence. Si nous n’avions nous même précisé que Vassily nous avait ramassé au bord de la route personne ne nous aurait posé la question. L’ambiance dans cette petite maison peuplée d’enfants de deux à vingt ans débordait d’animation. L’hyperactivité et la gentillesse de nos hôtes, ainsi qu’une bouteille entière de Green Fairy, nous fit un immense bien, surtout après la traversée du Nullarbor.

Le lendemain, la petite famille qui se rendait à Melrose pour l’après-midi, nous avança un peu plus et nous déposa sur le bord de la route. Non sans avoir au préalable remplis nos sacs de toute la nourriture qu’ils pouvaient contenir.

L'auto-stop c'est beaucoup plus facile le ventre plein !

L’auto-stop c’est beaucoup plus facile le ventre plein !

Port Germein → Port Pirie

Craig, qui travaille à Port Pirie, s’arrêtera rapidement pour nous amener à une station service à peine plus loin où il est plus facile pour les véhicules de s’arrêter.

Port Pirie → Redhill

Nous avons à peine le temps de nous installer sur notre bord de route qu’un couple de Polonais en vacances nous font un peu de place sur leur banquette arrière.

Redhill → Adelaide

C’est au tour d’un médecin Sri-lankais de garer sa superbe Jeep à notre niveau alors qu’il rentre de sa clinique de Whyalla.

Adelaide → Keith

Arrivée dans la capitale de l’état nous pensions que nous allions avoir plus de mal à arrêter quelqu’un mais ce ne fut pas l’avis de Lyam, un surfeur Australien, qui nous amènera jusqu’à un jardin d’enfant où nous plantons notre tente après avoir englouti une bonne partie de nos provisions Gréco-ibériques.

Keith → Melbourne

La soixantième voiture a s’arrêter pour nous depuis un mois de voyage était conduite par deux touristes Anglaises qui venaient de finir leurs fameux quatre-vingt huit jours de travail agricole dans une ferme à nourrir des vaches. Le dernier trajet d’une aventure extraordinaire.

Avant le premier d'une nouvelle !

Avant le premier d’une nouvelle !

Vous aurez noté que mes deux derniers articles furent beaucoup plus long qu’à l’accoutumé. C’est qu’après plus de dix ans à pratiquer l’auto-stop très régulièrement je me suis dit qu’il était temps que je vous explique vraiment pourquoi se moyen de voyager à ma préférence absolue.

En seulement un mois de voyage nous avons parcouru près de huit mille kilomètres dans le pays, à bord de soixante véhicules différents, conduits par des personnes issues d’une vingtaine de nationalités différentes et milieux sociaux divers et variés.

À savoir que les nationalités mentionnées sont celles des pays d’origines mais la plupart de nos chauffeurs avaient également la nationalité Australienne et habitaient le pays depuis de nombreuses années.

Aucun autre moyen de transport que l’auto-stop ne m’aurait permis de rencontrer autant de ces personnes qui font de l’Australie le pays qu’elle est et de véritablement en avoir un aperçu aussi brut et honnête. Rien d’autre que mon pouce tendu vers le ciel sur le bord des routes n’ouvrent les portes d’une aventure aussi extraordinaire.

Des bisous les copains !

Map

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La nymphe du Nullarbor

20 mars

Lara → Marshall

Mine de rien Lara c’est un peu un bled paumé et pour sortir de l’agglomération de Melbourne en stop, il vaut mieux commencer par s’éloigner en train. C’est le moyen de transport que Sophie et moi avons choisi pour démarrer notre voyage, mais même si il n’y en a qu’un par heure, on a bien failli le rater.

Arrivés dans la ville de banlieue typique qu’est Marshall, nous n’avons pas eu beaucoup de marche à faire pour rejoindre la route qui marque le début de la Great Ocean Road. Vous vous rappelez ? Cette route que j’avais déjà pris il y a cinq ans lors de mon excursion au pays des kangourous. Sophie aussi s’y était déjà rendue mais elle nous plait tellement qu’on a décidé d’y refaire un tour.

On n’a pas attendu bien longtemps avant qu’un jeune ambulancier originaire d’Apollo Bay ne s’arrête pour nous inviter à monter dans sa voiture. Il allait rendre visite à ses parents pendant deux semaines avant de s’envoler pour l’Angleterre où il prévoit de s’installer avec sa copine.

Marshall → Kennett River

Cette minuscule bourgade à l’embouchure d’une petite rivière nous avait assez séduit Sophie et moi pour que nous décidions d’y passer la nuit. Les koalas y abondent toujours et nous avons même pu apercevoir des albatros depuis cette côte toujours aussi majestueuse.

La nouveauté c’est que le petit café à côté du camping vend des graines pour les oiseaux.

LES OISEAUX !

LES OISEAUX !

Le lendemain on n’est pas vraiment partis très tôt puisqu’il fallait encore attendre que les perruches viennent finir nos dernières graines. Mais sur la Great Ocean Road on n’attend jamais bien longtemps pour être pris en stop de toutes manières.

Très vite nous montons dans le van de location d’un jeune Suisse. Il avait prévu que ce soit sa copine, partie étudier à Melbourne il y a quatre mois, qui l’accompagne plutôt que nous mais bon, c’était sans compter le nouveau mec qu’elle a rencontré il y a deux mois…

Kennett River → Lavers Hill

On lui a tenu compagnie sur un petit bout de cette route jonchée de points de vue magnifiques. On a même fait un détour décevant vers le cap Otway, un attrape touriste sans intérêt, qui nous aura tout de même permis de secourir un très jeune échidné ! Le petit malheureux trottinait joyeusement le long de la route. Et les boules de piquants ne partagent pas seulement une ressemblance physique avec les hérissons de chez nous, ils finissent bien trop souvent leurs vies de la même manière.

Une fois le monotrème relâché un peu plus loin dans la forêt nous avons abandonné notre helvète à la buvette d’une station service. Il n’avait pas assez d’essence pour aller plus loin et celle-ci attendait d’être ravitaillée en carburant dans la journée.

Histoire de gagner du temps nous avons décidé de tendre le pouce en attendant et c’est comme ça que nous avons fini dans la voiture de Katherine et Isabelle.

Lavers Hill → The Twelve Apostles

Katherine, Australienne, et Isabelle, Française, se sont rencontrées via un site Internet qui propose à des inconnus de s’enseigner mutuellement leurs langues maternelles. Après plusieurs échanges via Skype, Isabelle avait décidé de rencontrer son amie Australienne en chair et en os et l’avait rejoint à Melbourne. Une promenade le long de la Great Ocean Road leur avait semblé une solution parfaite pour passer leur première journée ensemble.

Avec arrêt à la plage.

Avec arrêt à la plage.

Leur parcours devait se terminer à la formation rocheuse appelée les Twelve Apostles, l’équivalent Australiens de nos falaises d’Etretat. Mais Sophie et moi avions déjà vu le site et il ne mérite pas forcément deux visites. D’autant plus qu’il commençait à se faire tard, nous avons donc sauté dans le van d’une guide qui venait de finir son service.

Twelve Apostles → Port Campbell

La Great Ocean Road est certainement l’une des attractions touristiques les plus populaires de l’état du Victoria. De très nombreuses agences de Melbourne proposent des sorties à la journée, la plupart allant de Torquay aux Twelves Apostles. Plus à l’Ouest il n’y a plus assez d’intérêt pour prolonger le trajet, sauf l’hiver, lorsque les baleines sont visibles depuis la côte. Arrivés à Port Campbell, le trafic avait fortement diminué. Pendant une bonne heure un vieux toutou miteux adossé à la station service d’en face me fait des regards de chien battu et c’est lorsque je craque pour aller le papouiller que notre prochain chauffeur s’arrête. Je fais donc demi-tour en courant et laissant derrière moi un cabot tout penaud…

Port Campbell → Nullawarre

Un jeune barman belge et sa colocataire étudiante chinoise se payaient une virée de trois jours depuis Sydney, autant dire qu’ils n’avaient pas beaucoup dormi. C’est peut-être ce qui explique leur mauvais sens de l’orientation. Après avoir pas mal tourné en rond dans la campagne nous avons finalement été déposés un peu plus loin sur notre route.

Salut, on est au Nullaware.

Salut, on est au Nullaware.

Où un couple de Singapouriens s’est empressé de nous faire monter dans leur véhicule.

Nullawarre → Port Fairy

Nos citadins par défaut étaient visiblement ravis de nous ajouter à la liste des excentricités exotiques que leur offrait leur petite virée. Ils s’extasiaient devant les rues plantées d’arbres et s’émerveillaient de la hauteur des constructions australiennes, qui dans les campagnes n’excèdent quasiment jamais un rez-de-chaussée, tandis que la Marche Impériale résonnait avec force depuis les enceintes de la voiture de location.

Arrivé à Port Fairy nous commencions à nous demander si nos estimations de temps de trajet n’avaient pas été un peu optimistes… C’est peut-être pour ça que nous avons été peu regardant quant à l’état de notre chauffeur suivant.

Port Fairy → Fitzroy River Rest Area

Le jeune ouvrier du bâtiment qui s’est arrêté pour nous était très sympa mais aussi visiblement très fatigué. Or je suis en Australie depuis assez longtemps pour savoir qu’un jeune fatigué peut l’être pour des raisons légitimes tout aussi bien que suite à l’ingestion abusive de produits psychotropes. Mais bon il commençait à faire nuit, il ne nous restait plus beaucoup de route et surtout, il savait où se trouvait le camping où nous voulions nous rendre.

Parce que bien entendu pas nous… Sophie, qui est bien plus en phase avec notre temps que moi (je préfère cette tournure de phrase que d’assumer pleinement que je suis un vieux dinosaure qui peste sur les claviers tactiles), a téléchargé sur sa tablette une super application qui nous indique tous les campings les moins cher d’Australie. Le problème c’est que les informations les concernant, notamment les indications pour s’y rendre, sont laissées par les différents utilisateurs qui sont déjà passé par là. Et ça manque pas mal de précisions, d’autant plus que ce genre de camping ne se situent pas exactement à proximité immédiate des grands axes routiers…

Mais nous avons pu y arriver sans encombres avant que notre chauffeur ne s’endorme au volant et avons passé la nuit entourés de koalas, wallabies et phalangers.

Le lendemain nous sommes partis assez vite pour le village du coin dans la voiture d’une australienne qui se trimbalait trois énormes skateboards dans son coffre.

Fitzroy River Rest Area → Tyrrendarra

Un trajet un peu inutile puisqu’il était au final plus avantageux pour nous d’aller dans l’autre sens. Ce que nous offrit rapidement une habitante du village.

Tyrrendarra → Cape Bridgewater

Notre conductrice se tapait la route jusqu’à Portland pour apporter son déjeuner à sa fille au lycée. Mais au final elle s’est dit que puisqu’on était dans le coin il serait domage de ne pas en profiter pour se balader jusqu’au cap Bridgewater. Son mari bossait dans une maison située au départ de la randonnée et nous avons pu y laisser nos sacs.

La balade était très sympa et le cap marque une limite intéressante. Des colonies d’otaries à fourrures ponctuent le littoral mais elles n’abritent pas les mêmes espèces. À l’ouest du cap on ne trouve que des otaries à fourrures de Nouvelles-Zélande et à l’est seulement des otaries à fourrure d’Afrique du Sud. Très franchement il faut vraiment bien regarder pour voir une différence entre les différents tas de graisse vautrés sur les rochers mais c’est une bizarrerie remarquable.

Et puis ça faisait longtemps qu'on n'avait plus parlé d'otaries sur ce blog.

Et puis ça faisait longtemps qu’on n’avait plus parlé d’otaries sur ce blog.

Après avoir récupéré nos sacs et cassé la croute près de la plage où se tenaient des cours de surf, une jeune américaine et sa colocataire australienne se sont arrêtées pour nous faire monter dans leur voiture.

Cape Bridgewater → Mount Gambier

En repassant par Portland on jette un dernier regard par la fenêtre au port où mouillent plusieurs navires chargés de troncs de pins. En s’enfoncant dans les terres nous roulons justement pendant des dizaines de kilomètres à travers des plantations de pins à la superficie démesurée. Puis nous retrouvons les fameuses Plaines Occidentales du Victoria, mais nous ne verrons aucune grue, outarde ou oedicnème. L’aspect des plaines n’est pas sans rappeler les pâturages boisés de Roumanie, en plus plat. Vaches et moutons brouttent l’herbe déjà rase autour d’immenses eucalyptus dans un enchainement continu de clotures barbelées.

Après avoir passé la frontière entre l’état du Victoria et de l’Australie méridionale, les filles optent pour la route touristique du littoral mais Sophie et moi décidons de continuer à parcourir l’intérieur des terres. À Mount Gambier nous montons dans la voiture d’un couple de fermier.

Mount Gambier → Naracoorte

Le soleil est déjà assez bas lorsque nous atteignons cette minuscule ville au milieu de nul part mais assez vite une habitante s’arrête à notre niveau.

Naracoorte → Cockatoo Lake

Cette brave dame s’était arrêtée après avoir déposé son fils à son cours de hockey et se demandait si elle pouvait nous déposer à une supérette pour que nous y fassions nos courses. Mais lorsque nous lui avons annoncé que nous avions tout le nécessaire et que nous cherchions juste à nous rapprocher du lac Cockatoo, elle s’est joyeusement empressée de se proposer comme chauffeur. Le soleil se couchait sur l’étang tandis que notre charmante locale s’éloignait de notre camping perdu.

Le coin était superbe et très calme si ce n’était pour les phalangers qui se battaient bruyamment pour les bouts de courgettes que nous avions laissé tombés par terre.

Ça rend téméraire les courgettes.

Ça rend téméraire les courgettes.

Au petit matin nous avons compris d’où le lac tenait son nom. Le raffut des cacatoès nasiques, rosalbins et à huppes jaune valait bien tous les chants de coqs du monde. Une fois la tente rangée le fermier d’à côté nous a fait monter dans sa remorque.

Cockatoo Lake → Croisement de Dickenson Road et Riddock Highway.

Une fois sur la route principale il ne nous faudra pas longtemps pour que quelqu’un s’arrête.

Croisement de Dickenson Road et Riddock Highway → Padthaway

Notre nouveau chauffeur est un contractor, et vu l’expérience que j’ai de ce genre d’énergumènes j’ai forcément des à priori négatifs dès qu’il nous l’annonce. Il passe le trajet à nous raconter à quel point c’est bien de travailler pour lui tandis que nous longeons les vignobles où il envoie bosser les voyageurs qui font appel à ses services. Sophie me fait quand même justement remarquer que, contrairement à Don, notre chauffeur ne prétend pas avoir du boulot pour nous alors qu’il n’y en a pas en cette saison. Il nous laissera sa carte des fois que nous repassions dans le coin plus tard ou que nous croisions des voyageurs qui cherchent du travail dans la région.

Je suis en train de la ranger dans ma poche lorsque notre prochain chauffeur s’arrête.

Padthaway → Keith

Trois jeunes ouvrier agricoles, un Australien et deux Néo-Zélandais, qui rentrent de la tonte des moutons nous font avancer de plusieurs dizaines de kilomètres. Lorsqu’ils se sont arrêtés ils nous avait annoncé ne pouvoir nous avancer que jusqu’au prochain village. Mais en Australie ça fait tout de suite un petit paquet de bornes…

Le paysage a de nouveau laissé la part large au bush australien où pâturent par endroit des petits troupeaux de moutons.

Keith → Murraybridge

La route est maintenant une sorte d’autoroute, celle qui relie Melbourne à Adelaide, et notre chauffeur est un retraité qui bricole des combines pas très claires de revente de voiture d’occasion.

C’est aussi le long de cette route que nous recroisons le cours du Murray, le même fleuve qui coule au milieu de Mildura.

Murraybridge → Adelaide

L’étudiante australienne qui s’est arrêtée sur une bretelle d’autoroute pour nous faire monter dans sa voiture ne devait initialement aller que jusqu’à Stirling pour chercher des médicaments. Mais bon tant qu’à faire elle nous a conduit jusqu’au centre ville d’Adelaide.

Et ses œuvres d'art qui valent bien le Manneken pis.

Et ses œuvres d’art qui valent bien le Manneken pis.

À Adelaide nous avons passé le week-end chez Mark que nous connaissions via, je vous le donne dans le mille, le site Internet Couchsurfing. Un week-end bien plus sympa que nous nous y attendions au départ. Promenades sur la plage, en ville ou dans un canyon infesté de koalas, la plus grande ville d’Australie méridionale nous a facilement séduits.

Après nous être bien reposés c’est plein d’énergie que nous sommes montés dans un train de banlieue vers le nord.

Adelaide → Salisbury Interchange (puis bus jusqu’au croisement de Waterloo Corner et Wakefield Road) → Port Wakefield

Nous quitterons la banlieue d’Adelaide dans la voiture de deux jeunes iraniens qui partent bosser dans une boucherie industrielle. Le trajet se fera dans un paysage assez désertique couvert d’herbes hautes et de buissons que se partagent quelques rares moutons et émeus, pendant que nos chauffeurs nous font faire des questionnaires débiles sur leur tablette. Ils nous apprennent aussi que l’équipe de foot de Bordeaux (d’où est originaire Sophie) a battu celle de Paris, ce qui nous fait tous bien marrer.

Port Wakefield → Croisement de Princes Highway et Horrocks Pass Road

Notre chauffeur est un père de famille australien qui part bosser dans la ville minière de Whyalla. Sur le trajet nous passons par Snowtown, rendue célèbre par John Bunting, le Landru local. Il assassinait des personnes âgées puis cachait les cadavres dans le coffre-fort d’une banque désaffectée qu’il avait acheté à Snowtown et touchait leurs pensions. Notre chauffeur en profite pour nous annoncer en rigolant que l’état de l’Australie méridionale a le taux le plus élevé de tueurs en série par habitants de la planète.

Les histoires de psychopathes sont très populaires en Australie et avec Sophie nous ne comptons plus le nombre de chauffeurs qui, après nous avoir pris en stop, ne pouvaient se retenir d’évoquer le célèbre film d’horreur Australien « Wolf Creek » très librement inspiré des meurtres perpétrés par Ivan « The backpacker Murderer » Milat, qui ciblait des auto-stoppeurs.

Croisement de Princes Highway et Horrocks Pass Road → Melrose

Un employé de banque en déplacement de ferme en ferme nous déposera au centre de ce bled qui borde le parc national de Mount Remarkable. La ville a été fondée au milieu du dix-neuvième siècle alors que la colonisation de la région par les fermiers européens et australiens battait son plein. Puis l’histoire classique des patelins de l’île continent a suivit son bonhomme de chemin, conflit avec les aborigènes locaux, prospection minière dans la chaine des Flinders voisine, industrialisation et exode rurale. Le village n’est plus que l’ombre de ce qu’il était et n’existe encore sur les cartes que parce que les citadins d’Adelaide y passent leurs week-ends et vacances à la campagne.

Après une nuit sur place nous nous sommes payés l’ascension du mont Remarkable. Une balade très chouette jusqu’au sommet qui culmine à neuf cent quatre-vingt cinq mètres d’altitude.

Ce qui n'est pas si mal pour l'Australie.

Ce qui n’est pas si mal pour l’Australie.

Quitter ce patelin n’aura pas été une mince affaire. Après deux heures d’attente une fermière qui allait chercher sa fille dans la ville d’à côté (vingt kilomètres) nous à sortit de notre misère.

Melrose → Wilmington

Arrivés dans une ville un peu plus importante il nous aura quand même fallu une bonne heure de plus pour enfin pouvoir quitter la région.

Wilmington → Port Augusta

Suzanne vit avec son mari et leur troisième fille dans une ville fantôme au cœur des plaines de Willochra. Après huit ans à y retaper une vieille baraque, le couple s’est installé dans le patelin abandonné depuis des années par les fermiers. Suzanne conduit jusqu’à Port Augusta tous les jours pour aller travailler au Woolworth de cette ville portuaire qui sert d’aiguillage ferroviaire et routier entre l’Australie méridionale, Occidentale et le territoire du Nord. C’est là qu’elle nous déposera et que nous tendrons le pouce au départ de l’Eyre Highway pendant trois heures.

Port Augusta → Kimba

Si nous avons attendu aussi longtemps c’est que peu de monde s’aventure à l’Ouest de Port Augusta passé quatre heure de l’après-midi, à l’exception des road trains. Celui qui nous à fait monter à bord de son monstre de métal au coucher du soleil écoute des audio books de Tom Clancy pour l’aider à rester éveillé dans la solitude du routier le long des lignes droites qui traversent les immensités désertiques de l’Australie.

Tout vient à point à qui sait attendre.

Tout vient à point à qui sait attendre.

Les road trains sont les rois de l’Eyre Highway. Trainant derrière eux deux à trois remorques, ces camions lancés à cent kilomètres par heure ne s’arrêtent pour quasiment rien, en témoignent les cadavres de marsupiaux qui jonchent le bord de la route.

Si depuis Adelaide la distance qui sépare chaque agglomération s’agrandit, au Nord de la Péninsule d’Eyre ce sont centaines de kilomètres de pâturages et champs céréaliers qui s’étendent entre chaque villages. Le plus remarquable d’entre eux est la ville champignon d’Iron Knob, qui a vu le jour lorsqu’un gisement de minerai de fer a été trouvé dans le sol de la région et qui disparaitra lorsque celui ci sera épuisé.

Au final notre carrosse nous déposera au pied du cacatoès rosalbin géant qui trône au milieu de Kimba, qui se vante d’être située exactement à mi chemin des côtes orientales et occidentales du pays.

Le lendemain nous n’attendrons pas longtemps avant que Daniel et sa sœur Rachel ne s’arrêtent pour nous faire un peu de place dans leur voiture.

Kimba → Bunda Cliff Lookout (2)

Faire du stop le long de l’Eyre Highway est incroyablement efficace. Tous les chauffeurs qui s’aventurent sur les milliers de kilomètres d’asphalte qui longent la côte Sud du continent sont ravis à l’idée d’ajouter un peu d’imprévu et de compagnie à la monotonie de leur voyage.

Daniel est un ouvrier agricole qui a l’habitude de ce long trajet mais ce coup ci c’est pour un anniversaire qu’il se rend à Esperance.

Le reste de la péninsule d’Eyre, jusqu’à la ville ostréicultrice de Ceduna, est similaire en aspect à la moitié que nous avions déjà parcouru. S’ensuit une grosse centaine de kilomètres de champs céréaliers où apparaissent très rarement de petits hameaux. Nous traversons parfois des sections envahies d’une fumée blanchâtre parfumée d’une odeur de paille brulée. Le feu est un sujet sensible en Australie où les incendies font régulièrement d’immenses ravages. Les fermiers profitent des journées sans vent pour brûler les lignes de paille qui témoignent des fauches récentes.

Et puis d’un coup le paysage se transforme radicalement pour laisser la place à la forêt d’eucalyptus qu’on appelle ici le bush. Le bush couvrait originellement la quasi totalité des terres que nous avons parcouru depuis Melbourne et c’est la colonisation européenne qui a transformé l’aspect de ces régions. Si après notre longue route les champs cèdent à nouveau la place à la forêt c’est parce que les terres nous entourent sont celles cédées aux aborigènes tel d’hypocrites cadeaux. En Australie la plupart des terres dénuées d’intérêts commerciaux pour la société capitaliste sont réservés aux aborigènes et leur accès est très réglementé. Le sujet des aborigènes d’Australie est très complexe et peut-être aurais-je un jour le courage de vous en dire plus. Pour l’instant sachez juste que le vingt-six janvier dernier, fête nationale du pays qui célèbre l’arrivée des premiers européens sur le territoire australien, j’ai participé à une de ces nombreuses marches que des aborigènes organisent pour exprimer leur mécontentement et leur frustration. Des manifestations qui pour eux commémorent ce qu’ils appellent l’« Invasion Day »…

Crise d'identité.

Crise d’identité.

Il nous faudra encore rouler sur des centaines de kilomètres pour atteindre les plaines de Nullarbor, du latin nullus (nul) et arbor (arbres). Un immense plateau qui surplombe la Grande Baie Australienne à une centaine de mètres au dessus du niveau de la mer. Le paysage est une steppe parsemée de petits buissons et d’herbes hautes. Le climat est sec et lorsqu’un orage frappe la région il engendre de rapides inondations qui disparaissent aussi vite qu’elles sont venues. À l’exception des rares roadhouses qui s’enchainent le long de la route, personne ne vit dans ce qui a tout naturellement été classé comme parc National.

Nous abandonnons nos compagnons de voyage au niveau des points de vue qui surplombent les falaises Bunda pour planter notre tente avant que le soleil ne se couche.

Si la chaude journée ne permet pas d’observer beaucoup d’animaux les nuits dans le Nullarbor sont plus animés et le faisceau de ma lampe frontale alterne entre scorpions et geckos.

Glop

Glop

Pas Glop

Pas Glop

Le lendemain matin je cours après les mérions leucoptères tandis que Sophie incite un nouveau road train a s’arrêter pour nous.

On va aller loin tiens...

On va aller loin tiens…

Bunda Cliff Lookout (2) → Fraser Range Designated Rest Area

Chris fait régulièrement la route avec son camion entre Melbourne et Perth. Ce qui s’avèrera utile lorsque nous passerons le poste frontière entre l’Australie méridionale et Occidentale. Le poste a pour fonction de contrôler qu’aucun fruit ou légume non déclaré ne passent d’un état à l’autre. Une mesure de biosécurité courante dans ce pays qui souffre lourdement des menaces que constituent les espèces animales ou végétales invasives ainsi que les maladies exotiques qui touchent le bétail ou les cultures.

Tandis que nous patientons, les méliphages à cou jaune viennent nettoyer le camion des cadavres d’insectes que sont collés sur l’avant du véhicule. Un échange de banalités amicales entre Chris et le nouvel employé chargé du contrôle des bagages et véhicules nous épargnera la longue fouille imposée au commun des voyageurs.

Une dizaine de kilomètres plus loin nous passons à proximité du village d’Eucla, un petit regroupement de maisons en taule qui semble être un mirage tellement rien ne justifie que des gens se soit installés aussi loin de tout.

Le paysage restera magnifique mais monotone sur des centaines de kilomètres jusqu’à ce que nous descendions du plateau pour redescendre en plaine. Là les eucalyptus refont leur apparition très progressivement tandis que nous traversons des propriétés de plusieurs milliers d’hectares regroupant des dizaines de millier de têtes de bétails que les fermiers regroupent à l’aide d’hélicoptère. Nous ne verrons aucune vache mais les nombreux cadavres de kangourous attirent les superbes aigles d’Australie qui s’envolent lourdement à notre passage.

Par endroit la route s’élargit et nous cheminons sur une piste d’aviation d’urgence utilisée par les secours médicaux lors de situations exceptionnelles. Une portion de la route se targue également d’être la plus longue ligne droite d’Australie, cent quarante six kilomètres et six cent mètres sans un virage.

Et vous trouviez l'autoroute de l'Est ennuyeux ?

Et vous trouviez l’autoroute de l’Est ennuyeux ?

Nous décidons de finir cette longue journée de route en plantant la tente près d’un étang salé asséché. Se dégourdir les jambes au milieu des eucalyptus salubris fait un bien fou et entendre chanter les oiseaux après le silence du Nullarbor est très agréable.

Fraser Range Designated Rest Area → Esperance

Le lendemain nous n’avons pas à attendre longtemps avant que Glenn « Bundy » ne nous fasse monter dans son camion citerne aux trois remorques. Derrière ce pseudonyme qui n’est pas sans rappeler le célèbre tueur en série américain Ted Bundy se cache une des légendes de l’Eyre Highway. Glenn a passé les trente cinq dernières années à ravitailler en essence les roadhouses de Cokclebilly à Norseman. Les roadhouses sont quasiment les seules distractions de l’Eyre Highway. Si la plupart des road trains peuvent se farcir la traversée sans avoir à refaire le plein, les plus petits véhicules ne pourraient pas s’offrir un tel voyage sans l’aide de ces étapes pittoresques. Cumulant les fonctions de stations services, motel, restaurant, pub et camping, chaque roadhouse est une sorte d’attraction touristique à elle toute seule. Chacune d’entre elles étant généralement espacée d’une centaine de kilomètre, il est assez important de ne pas les rater. Notre légende papote à l’aide de sa radio avec chaque routier que nous croisons alors que son immense poids lourd traverse les Great Western Woodlands, une immense étendue de climat méditerranéen où s’enchainent bush, garrigues et étangs salés asséchés.

Plus nous approchons des plus belles plages d’Australie et plus les champs et le bétail se font présent.

Mais nous sommes encore loin du terme de notre voyage !

Mais nous sommes encore loin du terme de notre voyage !

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Le chant des plaines

5 mars

Mon boulot à Serendip se termine doucement et vu le nombre de captures qu’on réalise chaque jour on peut dire qu’il est temps. La courte période de dispersion pendant laquelle les mérions se baladent n’importe où pour tenter leur chance dans divers territoires touche à sa fin et nous ne nous courrons plus dans tous les sens les mains pleines de piafs.

Du coup ça me laisse du temps pour vous parler un peu plus du sanctuaire !

Wouhou !

Wouhou !

La situation géographique du sanctuaire est déjà en soit très intéressante. Nous nous trouvons dans l’une des régions les plus densément peuplées d’Australie et l’espace laissée vacant à la vie sauvage est très restreint. Malgré la proximité de Melbourne, Lara reste avant tout une ville tournée vers l’agriculture. La ville est petite et en dix minutes de marche depuis le centre on atterrit déjà chez les premiers fermiers. L’essentiel de l’activité agricole du coin est focalisée sur l’élevage de bovin. Une orientation assez logique puisque la région marque la limite orientale de ce que les Australiens appellent les Plaines Occidentales du Victoria. Les troisièmes plus grandes plaines volcaniques de la planète ont donné naissance à un écosystème qui, bien entendu, s’est vite retrouvé menacé par l’expansion humaine.

C’est pour remédier à cette menace que l’état du Victoria a racheté deux cent cinquante hectares de pâtures à proximité de Lara en 1959. Et après un important plan de gestion incluant une revégétation intensive ainsi que des travaux sur les billabongs, ces étangs temporaires typiquement australiens, le sanctuaire ouvrit ses portes au public en 1991.

L’objectif principal du sanctuaire est d’élever en captivité des espèces menacées typiques des plaines pour pouvoir relâcher leur progéniture dans la nature. Dit comme ça ça peut paraître un peu débile vu que si les bestioles ont déjà disparu une fois il n’y a pas de raisons qu’elles survivent maintenant. Sauf que là je ne vous parle que du boulot qui est fait au sanctuaire. Les animaux relâchés le sont dans des zones aménagés par d’autres personnes, pour que l’environnement leur soit favorable. Les deux raisons principales pour la raréfaction des espèces natives des grandes plaines du Victoria sont la détérioration du milieu et l’introduction d’espèces nuisibles, surtout le renard. Donc d’un côté on a des actions de réhabilitation et sauvegarde du milieu et de l’autre des manœuvre de contrôle des invasifs qui, comme en Nouvelle-Zélande implique des tonnes et des tonnes de fluorocétate de sodium, le célèbre poison 1080.

Bref une fois l’habitat propice on peut réintroduire les bestioles qu’on veut. Parmi celles élevés à Serendip, la plus impressionnante est certainement la grue brolga.

Grus rubicunda.

Grus rubicunda.

La grue brolga n’est pas vraiment menacée au niveau mondiale. Les populations en Nouvelle-Guinée et dans le nord de l’Australie se portent encore assez bien. Par contre dans le Victoria le nombre de brolgas avait quand même bien diminué après le développement incontrôlé de l’agriculture dans la région. Depuis plusieurs couples pondent dans des enclos du sanctuaires et déjà plusieurs dizaines de rejetons sont allés repeupler les grandes plaines.

En soit ce n’est pas une grue très particulière, elle est même un peu moche, mais c’est la seule a être assez commune sur le continent et la seule présente dans l’état. Or comme toutes les espèces de grue, avec leurs danses rigolotes, ça reste un oiseau assez emblématique, d’ailleurs elle est l’emblème de l’état du Queensland.

En descendant d’une taille dans la famille des oiseaux élevés à Serendip, on passe ensuite à l’outarde d’Australie.

Ardeotis australis.

Ardeotis australis.

Alors là on peut difficilement faire plus oiseau des plaines. On trouve des outardes depuis les savanes d’Afrique jusqu’aux plaines d’Australie en passant par les déserts du moyen Orient. L’outarde d’Australie est toutefois la seule présente en Océanie. Là encore, le plus lourd oiseau volant du pays n’est pas vraiment menacé d’extinction, mais la population du Victoria a pris une claque sévère par le passé. Leur avenir dans l’état est d’ailleurs encore loin d’être assuré car sa reproduction en captivité n’est pas des plus simples. Les outardes ont généralement des modes de reproduction qui impliquent des parades complexes et souvent impressionnantes. Le mâle de l’outarde d’Australie par exemple, remplit d’air deux sortes d’énormes nichons qui vont alors se mettre à pendre jusqu’à une poignée de centimètres du sol. Puis les balances dans tous les sens en paradant. Les outardes paradent également souvent en utilisant des zones de lek, en gros des aires de parade où les mâles se lancent dans des compétitions de séduction. Le soucis avec l’outarde d’Australie c’est que c’est leks sont assez vastes et les mâles souvent tellement espacés les uns des autres qu’on a du mal à se rendre compte qu’ils interagissent entre eux. Des conditions qui, vous vous en doutez bien, ne sont pas facile à reproduire en captivité. Mais l’équipe persévère et peut-être qu’un jour les outardes trimbalerons à nouveau leurs nibards à travers les plaines Occidentales du Victoria.

Le troisième oiseau de plaine à être élevé au sanctuaire et l’oedicnème bridé.

Burhinus grallarius.

Burhinus grallarius.

Là où on trouve des outardes, on trouve généralement des oedicnèmes. En gros pour ne pas me répéter sachez que, et son habitat et son statut de conservation, sont les même que pour l’outarde. Par contre l’oedicnème est essentiellement nocturne et passe ses journées planqué dans les fourrés ou les hautes herbes. Par conséquent pas de parades spectaculaires non plus mais un beuglement assez costaud tout au long de la nuit. Et leur enclot est juste à côté de ma chambre…

Le nouveau dada des rangers de Serendip c’est l’élevage de stictonettes tachetées. Une sorte de canard préhistorique. Pour le coup on ne touche plus vraiment à l’écosystème des plaines mais à un truc très australien : le billabong.

Les billabongs sont des anciens bras de rivières dont le cours a changé et qui se remplissent temporairement d’eau. Ils sont assez répandus dans le pays et constituent un aspect important de l’écosystème des plaines occidentales du Victoria. À Serendip des digues ont été érigés entre les billabongs pour qu’ils s’assèchent moins rapidement et pour permettre à la faune qui en dépend d’être un peu plus tranquille. L’élevage de stictonettes débute tout juste et aucun canard n’a encore été relâché mais personne ne doute vraiment de la réussite du programme puisqu’il fait suite au grand succès de l’équipe du sanctuaire, la réintroduction dans l’état du Victoria de la canaroie semipalmée.

Anseranas semipalmata.

Anseranas semipalmata.

Derrière cette allure de canard de cartoon qui se serait pris une poêle sur la tête se cache un oiseau assez improbable. La véritable particularité de cette espèce est sa place au sein du règne animal. L’Australie est considérée par la majorité des scientifiques comme le berceau de très nombreuses familles et espèces d’oiseaux qu’on trouve maintenant jusque dans vos jardins. Plus précisément ce berceau serait l’ancien super-continent appelé le Gondwana qui réunissait il y a deux cent millions d’années l’Antarctique, l’Océanie, l’Amérique du Sud, l’Afrique, le sous-continent Indien et la péninsule Arabique. L’exemple qui vous parlera le plus sera celui des passereaux, ces oiseaux dont l’immense majorité des espèces peut nous faire profiter d’une chose fabuleuse : leur chant. Ces oiseaux ont vu le jour au sein du Gondwana est ont très vite divergé en quatre sous-ordres. Le plus anciens et plus petits étant celui des xéniques, qu’on ne trouve qu’en Nouvelle-Zélande. Ensuite on distingue grossièrement les eurylaimes, qui se répartissent entre l’Afrique et les Indes, des tyrans qui peuplent l’Amérique du Sud. Et pour finir vous avez le sous-ordre des oscines. Si vous avez encore en tête la carte du Gondwana vous avez en tête le continent où on les trouve.

Non ! Pas en Antarctique !

Non ! Pas en Antarctique !

Si je vous parle de ces animaux qui ont perfectionné l’art du chant jusqu’à son paroxysme ce n’est pas parce qu’il regroupent ensemble les mérions superbes et les ménures superbes (en photo au-dessus). C’est parce que l’ancêtre de tous les oscines, qui a vu le jour au pays des kangourous, a donné naissance, après des milliards de mutations, à autant d’espèces différentes que sont les mésanges, les hirondelles, les merles, les corbeaux, les alouettes, les sittelles ou les bergeronnettes. Je continue ? Vous allez peut-être regarder votre prochain moineau différemment ? Mais ne nous arrêtons pas en si bon chemin ! Maintenant que tous les oiseaux de votre jardin vous apparaisse sous un jour nouveau attaquons nous aux canards de l’étang d’à côté. Et oui ! La canaroie est un oiseau descendant d’une famille de pintades qui vadrouillait à travers le Gondwana. Notre vilain petit canard constituant un chainon entre les dinosaures et le foie gras, il y a fort à parier que les cygnes, les oies et autres colverts descendent d’oiseaux qui ont vu le jour en Australie. C’est pas fou tout ça ?

Là encore la canaroie n’est pas vraiment un animal menacé d’extinction. Le Nord du pays présente en réalité pas mal de point commun avec les plaines à l’Ouest du Victoria et comme les hommes y sont moins implantés, les canaroies y abondent. Par contre l’oiseau avait disparu des alentours de Melbourne depuis plusieurs décennies avant qu’un programme de réintroduction ne soit lancé à Serendip. On est encore loin d’une population florissante mais les canaroies fanfaronnent maintenant gaiement et en toute liberté dans les billabongs de la réserve, donnant naissance à des petites boules de duvet qui iront peut-être s’installer plus tard un poil plus à l’Ouest.

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Big Brother

15 février

Bon après cette interlude passionnante sur une des proies favorites des mérions il est temps de replonger dans le vif du sujet. Tous les petits de l’année ont maintenant quitté leurs nids, il est temps de passer à ce pourquoi j’ai personnellement été embauché.

Georges ! On t'avais pourtant prévenu que quand Rémi est dans le coin il ne tarde pas à foutre des filets partout !

Georges ! On t’avais pourtant prévenu que quand Rémi est dans le coin il ne tarde pas à foutre des filets partout !

Notre routine quotidienne avec Chris est maintenant de parcourir Serendip en disposant chaque jour six filets à divers endroits du sanctuaire. Le but est de capturer un maximum d’oiseaux. Et pour en capturer on en capture… Apparemment en un mois on a manipulé autant d’oiseaux qu’il n’en a été attrapé l’année dernière… Du coup on ne refuse jamais un coup de main de Michelle, Asthon ou Amy, une étudiante en Master.

Si le procédé de capture ne change pas trop de ce dont je commence à avoir l’habitude, ce qu’on fait subir au oiseaux est nouveau pour moi. Notre priorité du moment est une liste d’une centaine d’individus. Ce sont ou bien des oiseaux que Michelle et Timon étudient depuis environ quatre ans, ou bien leurs petits de l’année, et on s’intéresse particulièrement à ceux qui ont été placés avec des parents adoptifs lorsqu’ils n’étaient encore que des œufs.

Lorsque nous attrapons un de ces oiseaux prioritaires, nous lui refaisons une série de mesures classiques et souvent une prise de sang. Puis l’oiseau est emmené dans une petite cage recouverte d’un drap où il se remet doucement de ses émotions pendant une heure en dégustant des vers de farine mis à sa disposition. À l’issue de sa convalescence, il est conduit vers une chambre.

The Room.

The Room.

La chambre est blanche et insonorisée, aucune ouverture vers l’extérieur. Le sol est divisé en neuf carrés de tailles égales et quatre perchoirs sont disposés dans la pièce, divisés en plusieurs branche. Sur une branche de ces perchoirs se trouve un plateau où gigotent une dizaine de vers de farine. Toute la pièce est filmée par une caméra placée dans un angle du plafond. L’oiseau est d’abord placé dans une salle d’attente, une petite boite pendant cinq minutes. Puis le panneau qui bloque l’accès à la chambre est soulevé et l’expérience commence. Assis dans la pièce d’à côté nous observons ce qu’il se passe sur un écran de téléviseur. L’oiseau a trois minutes pour quitter la salle d’attente. Ces trois minutes procurent déjà beaucoup d’informations sur la personnalité de l’oiseau. Est ce un individu plutôt timide ou curieux par exemple. Si la bestiole est réticente on entrouvre la porte de la salle d’attente et la vision d’un barbu hirsute suffit généralement à forcer l’oiseau à s’aventurer dans la chambre. Et là c’est le grand jeu. On peut se retrouver devant un sacré nombre de cas de figure. Allant de celui qui s’installe sur un perchoir pour toute la durée du test à celui qui ne tient pas en place en passant par celui qui engloutit dix vers de farine en une minute. Tout ce que l’oiseau fait, ses moindres faits et gestes, s’il mange, s’il se nettoie, sur quel perchoir il se pose, sur quel carré il sautille, etc, tout est noté en temps réel sur notre iPhone. Pendant huit minutes, l’oiseau est livré à lui-même et parmi les informations essentielles que nous recueillons, nous obtenons surtout celles qui vont permettre de calculer sa propension à l’exploration. Une fois ces huit minutes écoulées, on révèle un miroir pendant cinq minutes. Ce coup ci c’est l’agressivité de l’oiseau qui est mesurée, et là encore on a ceux qui vont se cacher tout de suite ou ceux qui se battent comme des débiles pendant cinq minutes contre leur reflet…

Une fois l’expérience terminée on ramène l’oiseau où on l’a trouvé et il retourne prestement à ses petites affaires.

Bon vous l’aurez deviné ce n’est pas franchement une activité qui m’enchante au plus haut point. Le procédé est quand même assez lourd pour l’oiseau et se retrouver trop longtemps loin de son territoire peut avoir des conséquences désastreuses sur la hiérarchie.

Mais c’est pour cela que Michelle est progressivement en train de passer à la méthode de la cage.

The Cage.

The Cage.

Pour cibler nos oiseaux pendant la période de reproduction, c’est assez simple. On connait la composition des groupes et la localisation de leurs territoires. Sauf qu’après la saison c’est un peu plus complexe. Les cartes sont remélangées, les jeunes femelles de l’année couvrent de longues distances à la recherche de nouveaux territoires et les mâles subalternes explorent les alentours pour vérifier si un vieux dominant n’a pas cassé sa pipe. Bref on tombe sur un peu tout et n’importe quoi dans nos filets, y compris des oiseaux non bagués. Tout les oiseaux qui ne sont pas sur la liste ou qui ont eu leur dernière visite de la chambre depuis au moins deux semaines passent donc par la cage. Je vous avais dit que si j’ai accepté de me compromettre en participant à de la recherche fondamentale c’est essentiellement parce que Michelle m’a convaincu qu’elle s’appliquait à minimiser l’impact sur les oiseaux. La preuve en est que lorsqu’elle a eu vent d’une méthode qui lui permettait d’obtenir des résultats similaires à ceux obtenus avec la chambre en beaucoup moins de temps, elle a rapidement décidé de l’appliquer.

Le premier intérêt de la cage est qu’on peut la trimbaler partout au lieu de trimbaler les oiseaux de leurs territoires vers la chambre. Ensuite l’expérience de la cage nécessite que l’oiseau soit placé dans le dispositif directement après sa capture, et non après une heure d’acclimatation. Et puis l’expérience prend beaucoup moins de temps. L’oiseau patiente trente seconde dans une petite boite, il passe ensuite quatre minutes à explorer sa cage et deux minutes de plus face à un miroir. L’inconvénient c’est qu’on ne peut pas enregistrer les activités de l’oiseau en temps réel. Pour ne pas que l’oiseau passe tout le test à chercher à sortir de la cage, elle est recouverte d’un drap et filmée par une petite caméra. Par contre ce test nous permet d’enregistrer beaucoup plus de facteurs comme les changements d’orientation de l’oiseau dans la cage, des mouvements à beaucoup plus petites échelles et des activités beaucoup plus précises. Si l’oiseau chante, pépie, ouvre son bec ou même, depuis mes conseils avisés, si il dépose une fiente dans la cage !

Bien entendu tout ça nous prend énormément de temps. En raison des contraintes météorologiques du moment nous n’ouvrons généralement nos filets que six heures dans la matinée. Mais si nous attrapons une vingtaine d’oiseaux dans la matinée, ce qui n’était apparemment jamais arrivé mais nous arrive très régulièrement, on est rapidement débordés. Et puis après il faut corriger les résultats du test de la chambre. Les activités qui ne sont pas enregistrées pendant qu’on s’éclipse pour révéler le miroir par exemple. Il faut aussi enregistrer les résultats des vidéos de la cage. Des vidéos qu’on regarde en vitesse très réduite vu comment certains oiseaux sont nerveux.

Bref on s’occupe mais ne croyez pas que je ne trouve pas un peu de temps pour profiter des divers attraits de la région. Mais ça je vous en parlerai plus tard.

Non il n'y en a pas que pour vous !

Non il n’y en a pas que pour vous !

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Le paradis de Werber

6 février

Aujourd’hui les copains j’avais prévu de vous parler de ce qu’on fait subir quotidiennement à nos pauvres mérions depuis que nous n’avons plus vraiment de nids à suivre. Mais au final je vais vous parler myrmécologie !

Non ce n'est pas un nouveau mouvement artistique.

Non ce n’est pas un nouveau mouvement artistique.

La myrmécologie c’est l’étude des fourmis, et si ça me passionne particulièrement en ce moment c’est pour deux raisons essentiellement. Tout d’abord le jeune homme sur la photo est myrmécologue, il en passe quelques-uns à la maison de temps à autres et ils devraient s’installer de manière un peu plus permanente d’ici peu. Je ne sais plus trop de quelle université ils viennent mais leurs études sont passionnantes !

Ensuite les fourmis en Australie c’est assez incontournable. De ce que j’ai pu voir du pays jusqu’ici, ces petits insectes sont partout. Les gens du coin prétendent même que la première chose qu’on voit bouger après un incendie, ce sont les fourmis. Il y en a de toutes sortes et avec les copains ont peut parfois passer un bon quart d’heure à les admirer en attendant que nos filets se remplissent. Du coup je vous propose un tour d’horizon des plus exceptionnelles.

Et autant commencer par celles qui intéressent le plus nos myrmécologues : Iridomyrmex purpureus, que les australiens appellent aussi « meat ant ». Un nom qui leur va plutôt bien vu qu’ils leur arrivent d’utiliser ces fourmis pour se débarrasser des carcasses de bétails !

Iridomyrmex est très présente à Serendip et elle est parfois considéré comme étant un caïd chez les fourmis, dominant les autres espèces dans la région. J’en ai vu assez se faire démembrer par des fourmis bien plus petites pour pouvoir me dire que cette réputation est un peu exagérée… Quoi qu’il en soit, quand on observe les différentes espèces de fourmis du sanctuaire, on a plutôt l’impression qu’elles s’ignorent toutes cordialement les unes les autres.

Donc revenons en simplement à notre petite iridomyrmex qui d’ailleurs est d’une taille plutôt respectable quand on la compare aux fourmis françaises. Une des premières particularités de ces insectes est la structure invraisemblable de leurs colonies. Elles peuvent abriter jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’individus mais ce qui est vraiment extraordinaire c’est qu’elles abritent plusieurs reines ! Et attention, je ne parle pas de frangines qui décident de s’installer d’ensemble, ou de descendance qui décide de prendre la relève de la mère supérieure. Non chez les iridomyrmex, on peut trouver sous le même toit plusieurs reines qui n’ont absolument aucun lien de parenté. Une reine qui passe par là peut, si elle est acceptée par le reste de la colonie, s’installer dans un coin et commencer à pondre des œufs. Tout se beau monde s’entasse sous terre mais il est quand même assez facile de repérer la fourmilière depuis la surface. Les iridomyrmex rasent tout ce qui pousse au-dessus de chez elles puis placent sur le toit de leurs domiciles tout un tas de petits graviers et débris qui servent d’accumulateur de chaleur pour les étages inférieurs.

Surtout faites ça discret les filles...

Surtout faites ça discret les filles…

Mais le spectacle ne s’arrête pas là, la structure sociale des iridomyrmex est elle aussi particulièrement intéressante. Chez la plupart des espèces de fourmis, les individus asexués sont divisés en castes établies dès la naissance. Si une fourmis rousse de chez nous nait ouvrière elle le reste jusqu’à la fin de ses jours et idem pour celle qui naissent soldat. Chez iridomyrmex c’est complètement différent, la caste de chaque individu évolue avec son âge! Je vous préviens tout de suite c’est un fonctionnement qui reste encore très peu compris et renferme énormément de mystères. Ce qui semblerait déjà assez sûr c’est que plus une fourmi est âgée plus la caste à laquelle elle appartient lui demandera de prendre des risques. Par exemple une des premières castes à laquelle va appartenir un individu après son passage à l’âge adulte sera de s’occuper des couvains. Leur apporter le bibi, nettoyer le caca, tout ça tout ça. Un boulot de planqué qui ne demande même pas de sortir de la fourmilière. Puis viennent les castes qu’étudient nos myrmécologues. Les excavatrices, qui passent leurs journées à déblayer le merdier qui s’accumule dans les galeries. Là on commence à avoir des petites frayeurs même si en gros les bestioles ne s’éloignent pas trop du sommet de la fourmilière. En vieillissant les fourmis deviennent ensuite des récolteuses. Tout de suite ça craint un peu plus puisqu’on s’aventure un peu plus loin pour ramener de la bouffe à la maison. D’ailleurs apparemment plus la fourmi est âgée plus elle s’aventure loin et seul. Et pour finir on a les paradeuses. Je dis pour finir parce que celles qui atteignent l’âge avancé nécessaire pour appartenir à cette caste ne tiennent pas ce rôle très longtemps… La caste des paradeuses c’est un peu de l’euthanasie utile, la fin de vie avec panache. L’idée c’est que, même si les iridomyrmex ont quand même tendance à laisser les autres espèces de fourmis tranquilles et même à laisser n’importe quel greluche en cloque déposer ses œufs n’importe où dans la colonie, quand deux individus asexués venant de deux colonies différentes se croisent, c’est pas forcément la joie…

Pour éviter que ce soit trop le Bronx, chaque colonie établie donc des frontières, et ces frontières sont gardées par les paradeuses. Leur technique de dissuasion est assez invraisemblable. Quand une fourmis qui n’a rien à faire dans les parages approche une paradeuse, cette dernière se dresse sur ses pattes, s’oriente de manière à lui bloquer la route, puis dressent ses pattes en l’air un peu n’importe comment comme pour lui signaler de foutre le camp. Aussi stupide que ça puisse paraître c’est assez efficace puisqu’on observe assez rarement des iridomyrmex en venir aux mandibules.

Do the dance !

Do the dance !

Nos collègues myrmécologues ont pu observer que les fourmis d’une même colonie étaient capables de reconnaître les individus des différentes castes entre eux et se comportaient différemment selon à qui elles ont à faire. Maintenant ce qu’ils aimeraient bien savoir c’est si les individus d’une colonie peuvent différencier les individus d’une autre colonie selon leur caste. Là ça devient un peu plus compliqué à vérifier… Ben oui parce que quand on met des individus de deux colonies différentes en contact, il y a généralement un comportement qui prédomine. Et c’est super rigolo de voir nos étudiants paniquer lorsqu’une excavatrice décide de découper une autre fourmis en morceau, quelle que soit sa caste. Ils s’arment alors de pinceaux pour essayer de séparer les deux insectes et éviter le drame.

Voilà pour iridomyrmex, je pourrais vous en parler encore longtemps mais au final on ne s’intéresse vraiment à elle que depuis qu’on voit les copains jouer avec. La fourmi qu’on a tous appris à repérer tout seul s’appelle Myrmecia desertorum, de la famille des célèbres fourmis bouledogues. Lorsqu’elle m’avait fait faire le tour du sanctuaire, Alice avait bien insisté sur l’importance de bien prendre garde à ces insectes. Et elle avait bien raison. Les fourmis bouledogues sont d’une timidité aussi impressionnante que leur potentielle agressivité. Si vous coupez en deux ces fourmis, il se dit que l’abdomen et la tête vont s’attaquer réciproquement ! Je ne suis pas allé vérifier… Lorsque vous vous promenez en forêt, il est quasiment impossible de repérer leur fourmilière. En général elle ne ressemble à rien, une poignée de trous au pied d’une plante rabougrie. Mais si vous avez le malheur de poser le pied à proximité…

Les fourmis bouledogues ont une vision plus développée que la plupart des autres familles de fourmis. C’est assez impressionnant. En général les fourmis bouledogues sont très craintives et préfèrent se réfugier dans leur trou si la menace n’est pas vraiment dramatique. Mais une fois qu’elles vous ont repéré et qu’elles ont décidé qu’il était temps que tu ailles observer des oiseaux plus loin, il est temps de courir. Se faire littéralement pourchasser par une fourmi est une expérience assez hallucinante, surtout quand elle est d’une taille largement supérieure à la normale et qu’elle est venimeuse…

103 683e

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Ben oui, on est en Australie, même les fourmis se trimballent du venin. Bien que les mandibules de la fourmi bouledogue soient impressionnantes, elle ne s’en sert en réalité que pour mieux s’agripper à sa victime pendant qu’elle lui plante son dard dans la chair. Ça m’est arrivé alors que j’observais une falconelle à casque. Je stationnais idiotement sur un nid de fourmis bouledogues et deux d’entre elles ont donc tranquillement escaladé mes vêtements jusqu’au premier bout de peau nue, mes bras. Et là, avec une simultanéité remarquable, elles m’ont chacune planté leurs dards dans chacun de mes bras ! La douleur est assez virulente. Je n’ai pas trop l’habitude de la chose mais j’imagine bien que ça doit être équivalent à la piqure d’une guêpe qui aurait ajouté du chili à son venin. Mais assez rapidement la douleur s’estompe et tout ce qu’il vous reste de votre mésaventure c’est deux belles marques rouges là où se trouvaient vos agresseurs. Sauf que vingt-quatre heures plus tard les fourbes se rappellent à vous et vous êtes partis pour plusieurs jours de démangeaisons violentes.

Mais le venin est loin d’être la seule particularité des fourmis bouledogues.

Ces fourmis vivent en colonies relativement petites et sont virtuellement toutes sexuées et peuvent potentiellement succéder à leur reine. Si la fourmilière abrite là encore plusieurs reines, il semblerait que des individus d’autres castes puissent les relayer voir pondre des œufs stériles qui servent ainsi à l’alimentation de la colonie. Des sortes de fourmis-poules en gros. Une autre particularité que je trouve passionnante est le fait que ces fourmis n’utilisent quasiment pas de phéromones et communiquent très peu entre elles. Les fourmis bouledogues patrouillent la forêt en solitaire. Et on n’y pense jamais mais c’est rarissime de tomber sur une fourmi qui se promène toute seule. Mais ce qui m’épate vraiment avec ces insectes tient de la génétique. Le génome des fourmis bouledogues ne contient qu’une seule paire de chromosomes, le plus petit du règne animal ! Et les mâles ailés, qui sont haploïdes, n’ont qu’un seul chromosome !

Serendip abrite plusieurs espèces de fourmis bouledogues et Myrmecia desertorum est la plus visible, mais la plus célèbre est de loin Myrmecia pilosula. Un jour que nous attendions patiemment avec Timon que des mérions veulent bien se jeter dans nos filets, je me suis nonchalamment saisi d’une petite fourmi qui passait par là. Par petite j’entends deux fois plus grande que la petite fourmi qui vous taxe du sucre dans la cuisine. Cette fourmi semblait monté sur ressort et sautait dans tous les sens pendant que je jonglais avec elle et faisait remarquer en rigolant à Timon qu’elle ressemblait à une fourmi bouledogue miniature. Lorsqu’il me dit d’un aire détaché qu’il devait s’agir de celle que les Australiens appellent « jumping Jack » j’ai très vite arrêté de l’enquiquiner… Le venin de cette espèce est réputé pour avoir causé le décès par choc anaphylactique de quatre à six personnes qui y étaient allergiques. Certes c’est bien moins que les guêpes par exemple, mais mourir d’une piqure de fourmi ça n’arrive pas partout…

Welcome in Australia!

Welcome in Australia!

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Téléréalité

22 janvier

Un mérion en soi ça ne casse pas trois pattes à un canard. Un petit moineau vaguement flashy au dimorphisme sexuel peu prononcé.

La femelle a les plumes de la queue un poil plus courtes que le mâle.

La femelle a les plumes de la queue un poil plus longues que le mâle.

Ce n'est pas évident au début...

Ce n’est pas évident au début…

Non si tant de personnes étudient les mérions ce n’est pas seulement parce que la photo de couverture de la thèse est plus jolie que celle d’une étude sur le comportement nécrophage du babiroussa. Les mérions ont une particularité qui intéresse beaucoup de monde : leur vie sociale. Je vous préviens tout de suite c’est un sacré bordel, dans tous les sens du terme… Les mérions sont sédentaires et vivent en groupe sur des territoires plus ou moins grands. Le groupe ne compte généralement qu’une femelle. Et c’est elle qui porte la culotte. Quelques groupes incluent des femelles subalternes. Ce qu’elles font là a ne pas pondre de mioches reste un peu un mystère. Il est possible qu’elles soient de futures mamans en stage ou bien juste stériles. La femelle dominante gère un peu tout, de la construction du nid au nourrissage des poussins en passant par la quête du partenaire idéale et l’incubation des œufs. Contrairement à la plupart des espèces d’oiseaux elle participe même à la protection du territoire en beuglant un chant très joli aux quatre coins de sa réserve de bouffe ! Du côté des mâles, qui constituent la majorité du groupe, il y a aussi un dominant mais franchement il n’est pas facile à distinguer des autres couillus. Généralement c’est le plus vieux. En temps normal ce n’est pas franchement une information très utile sur le terrain mais en ce moment la différence est plus visible que d’habitude. Le plumage standard de tous les mérions est le marron qu’arborent en permanence les femelles. C’est seulement à l’approche de la saison de la reproduction que les mâles muent et se transforment en petits joyaux. Sauf qu’à la fin de la saison, c’est à dire maintenant, ils perdent progressivement leurs plumes bleues pour passer d’un plumage viril à une parure un peu plus efféminée… Ce qui est intéressant c’est que plus un mérion est âgé et plus il perdra son plumage nuptial tard dans la saison. Certains vieux lascars en arrivent même à muer directement d’un plumage nuptial au suivant sans passer par la case moche. En gros la mue c’est l’acné des mérions, si dans un groupe vous voyez un mâles qui perd ses plumes bleues, vous savez qu’il n’est pas dominant.

Qui est superbe maintenant?

Qui est superbe maintenant?

Personnellement je m’attendais plus à distinguer le mâle dominant en cherchant celui qui porte des cornes dans le groupe. Le concept de domination chez les mérions est assez différent de celui qu’on vous enseigne dans les caves des clubs sado-masochistes de la rue Saint-Denis… En théorie le mâle dominant est censé être celui qui féconde la femelle, le père des futurs petits quoi. Dans les faits monsieur n’est pas très doué quand il s’agit de dominer bobonne. Les chercheurs qui étudient ces charmants petits oiseaux ont découverts que les mâles d’un territoire sont rarement les parents biologiques des petits de la femelle dominante. En observant cette dernière un peu plus attentivement ils se sont rendus compte que, après avoir finit de construire son nid, la belle attend la tombée de la nuit pour aller faire la tournée des buisson des quartiers rouges de Serendip et se fait culbuter joyeusement par le premier bleuâtre qui passe. C’est du propre mais bon, pendant que le soit-disant dominant est en train d’être fait cocu, il est certainement tranquillement en train de trombiner la voisine… Mais une fois les orgies terminé c’est beaucoup plus sage ! Lorsque les œufs sont pondus tout le monde se plie en quatre pour nourrir la femelle puis les poussins, qu’importe la paternité. Lorsque le groupe en est à sa deuxième portée il arrive même que les poussins nés des premiers amours de la saison, âgés à peine d’un mois et demi, viennent aux-aussi en aide à leur petits frères et sœurs en participant au nourrissage. Beaucoup plus mignons d’un coup. Maintenant que vous en savez plus sur la vie trépidante des mérions superbes il est temps que je vous explique en détail ce que nous faisons pour en connaître encore plus sur eux.

Tu aurais mieux fait de te comporter comme un oiseau classique petite dévergondée !

Tu aurais mieux fait de te comporter comme un oiseau classique petite dévergondée !

La première étape, en août et septembre, consiste à baguer autant d’oiseaux que possible sur la zone que nous voulons étudier. La plupart des mérions de la zone sont bagués maintenant mais il arrive quand même que de nouveaux individus s’installent avant la saison de reproduction. Les oiseaux sont bagués avec une bague en métal qui porte un numéro unique mais aussi trois bagues en plastique de couleur. La combinaison de ces bagues permet de reconnaître l’individu sans avoir besoin de le capturer. J’ai déjà détaillé le principe quand je bossais sur des miros en Nouvelle-Zélande alors je ne vais pas me répéter. Une fois que tous les oiseaux sont bagués il faut ensuite établir une carte des territoires et identifier la femelle qui s’y est établie et les mâles qui lui sont soumis. Puis arrive l’étape sur laquelle ont travaillé Alice, Aude et Eva pendant trois mois. Il faut trouver les nids de chaque femelles et suivre leur évolution. Selon la motivation de la femelle la construction du nid peut prendre de deux jours à une semaine, voir deux pour les vraies feignasses. Le nid est visité tous les trois jours pour connaître précisément la date de ponte. Trois jours ça n’a pas l’air très précis comme ça mais dans les faits la femelle pond en moyenne trois œufs, chacun avec un jour d’intervalle. Lorsque les premiers œufs apparaissent dans un nid il suffit de les compter pour avoir une idée assez précise de la date de ponte. Une fois le dernier œuf pondu, la femelle se met à couver. C’est là qu’Ashton intervient. Ashton est une thésarde australienne supervisée par Michelle. Elle cherche à étudier le comportement maternel des femelles mérions. Elle pose donc des caméras près des nids dans lesquels le dernier œuf a été pondu il y a deux jours. Le but est de comparer le temps que chaque femelle passe sur ses œufs. À plus long terme les résultats intéressent aussi beaucoup Michelle. Les femelles issue de femelles qui couvent plus attentivement vont elles reproduire ce comportement avec leurs propres couvées ? Le comportement d’un mérion est il influencé par l’assiduité avec laquelle sa mère l’a couvé ? Si deux femelles pondent en même temps on procède à un échange des œufs entre les deux nids. Le but est d’avoir des petits élevés par des parents adoptifs, c’est essentiel si on veut découvrir des différences entre les caractères innés et acquis. C’est une manipulation que j’avais déjà effectué avec des manchots royaux à Crozet et que je n’aime pas vraiment. Le risque que l’oiseau abandonne ses œufs est assez élevé. Au final j’ai échangé les seuls œufs que m’avait laissé Alice avec ceux d’une femelle suivie par Eva. La manipulation s’est très bien passée et les femelles couvent aujourd’hui leurs nouveaux œufs avec amour.

Tout en douceur.

Tout en douceur.

Non content d’avoir des mœurs très intéressantes, les mérions sont aussi réglés comme des horloges, ce qui les rend d’autant plus facile à étudier. Les œufs vont toujours éclore quatorze jours exactement après que le dernier ait été pondu ! Pas un jour de plus, un jour de moins dans de très rares cas. Du coup même si on a un doute d’un jour ou deux sur la date de ponte on peut se rattraper avec la date d’éclosion. On vérifie donc que tout le monde a bien éclot et parfois on tombe sur une surprise. En partant Alice m’avait laissé trois nids actifs. Je vous ai déjà parlé de l’un d’entre eux, maintenant le suivant. Le nid était placé en hauteur et Alice n’avait jamais pu l’atteindre pour vérifier le nombre d’œufs qui s’y trouvaient. Étant un poil plus grand qu’elle, j’ai tenté ma chance en arrivant, mais je n’ai pu qu’effleurer un minuscule poussin tout chaud du bout des doigts. Quelques jours plus tard j’ai pu me saisir de l’oisillon qui, étrangement, était tout seul dans son nid. Aude était venue me prêter main forte et à la vue du petit elle a su tout de suite m’expliquer ce qu’il était advenu des ses « frères et sœurs ». Le petit n’était pas un poussin de mérion mais celui d’un coucou de Horsfield, un parasite fréquent du mérion superbe. Sa mère l’avait pondu au milieu des œufs légitimes et la femelle mérion l’avait couvé comme l’un des siens. Les petits coucous éclosent en moyenne deux jours avant les petits mérions, ce qui permet à l’intrus, dès sa sortie de l’œuf, de pousser ses concurrents par dessus bord avant même qu’ils ne voient le jour !

Tueur né.

Tueur né.

Au septième jour après l’éclosion on surveille le nid pour voir si les adultes s’occupent bien de leurs petits et leurs apportent tous à manger. Le but est toujours un peu le même. D’un côté ça nous permet de définir encore plus précisément la nature comportementale de chaque individu adulte, et de l’autre on pourra étudier ce qu’il advient du comportement des poussins une fois adultes selon si ils ont été bien nourris ou pas. C’est ce que j’ai fait pour mon troisième et dernier nid, qui lui n’était pas parasité et avait vu naitre trois jolis petits mérions. Si possible on le fait directement depuis un affût qu’on place à proximité du nid. Le nid en question se trouvant au dessus d’un petit étang ce n’était pas vraiment possible. Dans ce cas là on fait appel aux nouvelles technologies. On place une caméra à proximité de l’entrée du nid et on enregistre les allées et venues des adultes. Une fois la caméra récupéré je visionne tranquillement la vidéo à la maison et j’enregistre tous ce qui s’est passé sur mon Iphone.

Mommy, have you ever noticed anything odd about Mr...Mr. Fuzzybear over there?

Mommy, have you ever noticed anything odd about Mr…Mr. Fuzzybear over there?

Oui vous avez bien lu « mon Iphone ». Ça aussi c’est nouveau d’ailleurs. Ici je travaille vraiment avec du matériel qui me dépasse un peu. Finit la saisie de données pendant des heures depuis un carnet de terrain plein de ratures vers une base de données sur un ordinateur. À Serendip j’enregistre instantanément tout ce que je vois directement sur une base de données de l’université de Melbourne via une application créée de toutes pièces pour le projet sur un Iphone qui m’a été confié ! Forcément au début il faut prendre ses marques, surtout pour un handicapé des nouvelles technologies comme moi. Mais très vite on y prend goût et c’est quand ça plante que je me retrouve perdu maintenant. Enfin bref, revenons à nos mérions. Le lendemain de l’espionnage les choses sérieuses commencent pour nos jeunes mérions. Au huitième jour il faut les baguer. Michelle, Ashton ou Timon, un thésard hollandais, nous accompagnent pour cette manipulation. Pas que ce soit particulièrement compliqué de baguer un poussin quand on a l’habitude mais là encore il faut tester le comportement. La réaction de l’oisillon est filmée lorsqu’il est enfermé tout seul dans un compartiment, puis lorsqu’il est maintenu sur le dos et après tout ça le rythme de ses respirations est mesuré. Vu les mœurs de sa mère ont lui prend aussi un peu de sang pour retrouver génétiquement l’identité du vrai père. Et pour finir il se retrouve avec sa propre combinaison de bagues de couleurs qu’on choisit parmi celles qui sont encore disponibles.

J'espère que les miens ne sont pas épileptiques...

J’espère que les miens ne sont pas épileptiques…

Maintenant que mes poussins ont été bagués il ne nous reste qu’à attendre l’éclosion des deux dernières couvées de la zone d’étude. Vous l’aurez compris, le suivi des nids touche à sa fin. Mais pour moi le travail ne fait que commencer ! Chris, un volontaire américain, vient de nous rejoindre alors qu’Aude et Eva vont nous quitter très bientôt. Avec lui nous allons passer à l’étape suivante de l’étude des mérions superbes de Serendip, que je vous détaillerai plus tard.

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Déchainé

15 janvier

Augustino nous avait abandonné à partir du nouvel an pour retrouver sa copine à Melbourne mais Sophie, que nous avions rencontré chez Don, s’est empressée de venir prendre sa place dans notre chambre. On se retrouvait donc avec une sacrée équipe dans notre sorte de petit appartement que nous louait Tony. Paola et Fransesca, deux Italiennes, partageaient l’autre chambre et Alexandre, un Breton qui bossait tous les jours avec moi, venait souvent nous rendre visite.

Belle brochette de gypsies !

Belle brochette de gypsies !

L’essentiel de mon boulot pour ma dernière semaine à Mildura a consisté à cueillir des pastèques pour Lea. C’est le seul boulot rémunéré à un salaire minimum légal que j’ai eu en Australie, mais ça se mérite. Dans un sens Lea n’est pas la pire des patronnes. Après s’être défoncés à la tâche par quarante-cinq degrés à l’ombre (il n’y a pas d’ombre dans une plantation de pastèques) pendant sept heures durant, nous avons eu droit à une bière fraiche et même été autorisés à changer l’eau limpide de sa piscine en eau boueuse. Oui Lea a une piscine. Quatre quads, deux motos, quatre ou cinq bagnoles mais une seule piscine. Lorsque je parle de fermiers à Mildura il ne faut pas s’imaginer le pauvre type de la Creuse qui ne peut même pas se permettre de se payer ce qu’il fait lui-même pousser. Je ne le répéterai jamais assez mais l’esclavage a clairement encore le vent en poupe dans la région. Une rumeur prétend que si la loi australienne était appliquée autour de Mildura, soixante pour cent des fermiers seraient en prison. Bien entendu c’est faux. Si du jour au lendemain tous les exploitants du coin devaient payer pour leurs crimes, il en resterait bien moins de quarante pour cent à se balader librement dans les rues !

Les vignes seraient bien vides...

Les vignes seraient bien vides…

Quand je parle de fermiers à Mildura il faut plutôt s’imaginer les propriétaires de plantations de coton en Louisiane avant la guerre de sécession, avec le comportement qui va avec. Lorsqu’on cueille des pastèques avec Lea, l’organisation est la suivante. Un tracteur avec une remorque pleine de bennes se positionne entre deux rangées de pieds de pastèques. Deux ou trois personnes sont envoyées en avant pour commencer à cueillir. Leur rôle est de repérer les pastèques les plus évidentes et les plus belles, de les cueillir et de les laisser sur place pour que les cueuilleurs-lanceurs s’en saisissent lorsqu’ils arrivent à leur niveau. Sur la remorque se trouvent deux personnes chargées de placer correctement les pastèques que leur envoient les copains dans les bennes. De chaque côté de la remorque on place trois esclaves cueuilleurs-lanceurs. Ils ont clairement le boulot le plus difficile. Ils doivent se saisir des pastèques déjà cueillies mais aussi repérer celles qui ont été laissées de côté et les acheminer par lancés consécutifs jusqu’aux bennes. Tout ça en suivant l’avancée du tracteur dont la vitesse est régie par Lea qui observe le tout du haut de la remorque en regrettant de manière évidente de ne pas avoir le droit de se servir d’un fouet. Il est strictement interdit de parler, ou même de chanter, pendant qu’on travaille. Tout le monde la ferme, sauf Lea qui y va de ses monologues racistes pleins de haine à l’encontre de ces enfoirés d’aborigènes parasites notamment. Pour mon dernier jour j’ai failli craquer et envoyer une pastèque bien mûre au visage de notre tortionnaire joufflue. L’un de nos nouveaux collègues, David, avait oublié son chapeau et en était à cinq bonnes heures de travail lorsque le thermomètre commençait à attendre les quarante degrés (toujours à l’ombre qu’on n’a pas, surtout sans chapeau). Bien décidée à ramasser autant de fruits que possible pour notre dernier jour, Lea s’efforçait de faire rouler le tracteur à pleine vitesse tout en nous inondant de remontrances si nous manquions la moindre pastèque sur notre passage. Elle se montrait particulièrement cruelle à l’encontre d’un David rougeoyant qui s’approchait dangereusement d’une insolation violente et commençait sérieusement à tourner de l’œil. Malgré plusieurs protestations de plus en plus faiblardes, le tracteur ne s’arrêtera même pas lorsque David s’effondrera et se mettra à vomir sa bile au milieu des pastèques. La réaction de notre patronne bien-aimée ? Une cascade d’éclats de rire, une photo de sa victime pour son Iphone et bien entendu une note dans son carnet pour bien se rappeler de l’heure à laquelle a « fini » David et ne pas le payer plus qu’il ne le mérite…

A ce moment-là ma transpiration a dû se transformer en vapeur car les copains se sont vite interposés entre moi et la grosse baleine qui gloussait sur son attelage. Mes vociférations proférés dans la langue de Molière, ou plutôt celle de JoeyStarr, tandis que je faisais voler rageusement les pastèques ont dû mettre la puce à l’oreille de l’idiote infâme car dix minutes après l’incident le tracteur s’arrêtait. Fuyant mon regard elle nous annonça qu’elle n’avait plus besoin que de trois personnes pour finir ses bennes en un peu moins d’une heure. Je ne me suis pas porté volontaire.

Retrouver les copains à l’hôtel a facilement suffit à me redonner le sourire et j’ai été surpris de ressentir un petit pincement en me dirigeant vers la gare après ma dernière journée à Mildura…

Comme quoi y a du bon partout !

Comme quoi y a du bon partout !

Ma destination était le sanctuaire de Serendip, à une heure de train au sud-ouest de Melbourne. J’y retrouvais Michelle, une chercheuse de l’université de Melbourne que j’avais rencontré peu de temps avant mon arrivée. Ca fait maintenant plusieurs années que Michelle supervise l’étude d’une population de mérions superbes à Serendip. Je vous rassure tout de suite, si cette mission tourne encore autour d’une espèce d’oiseau, il y a quand même du nouveau. L’objet de mon travail ne sert que la recherche fondamentale et je vais même faire mes premiers pas dans l’expérimentation animale ! Modifier le cours naturel des choses pour voir ce que ça donne. En temps normal c’est un domaine qui me rebute pas mal mais en papotant avec Michelle j’ai pu me rendre compte qu’elle prêtait une attention évidente, et peu commune dans ce milieu, à ce que ses recherches n’aient pas un impact trop important sur les oiseaux. Mais que les choses soient quand même claires entre vous et moi. Ce que je fais ici n’a absolument rien à voir avec la protection des mérions, qui ne sont d’ailleurs absolument pas menacés. Certains d’entre-vous m’ont sûrement déjà entendu proférer avec un sourire « je me demande combien de temps il tient sous l’eau ? » lorsque je découvre un nouvel animal, surtout s’il est mignon. Et bien la recherche fondamentale c’est ça. Répondre à des questions inutiles en se donnant des moyens parfois contestables, comme maintenir un bébé koala sous l’eau pour voir le temps qu’il met à agoniser.

A peu près une minute et quinze secondes.

A peu près une minute et quinze secondes.

Alors bien entendu j’ai mon éthique et je ne me compromettrais pas à noyer des bébés mérions. L’autre nouveauté de cette mission c’est que je vais enfin pouvoir participer à une étude comportementale. Celle à laquelle j’apporte mon aide cherche à savoir si le comportement des mérions est obtenu de manière innée ou acquise. Est-ce que les petits de mérions paranoïaques ont tendance à le devenir à leur tour en grandissant ? Pour se faire on dresse un compte-rendu de la nature comportementale de tous les individus étudiés et de leur descendance. Et de temps en temps on échange des œufs entre deux nids pour voir de qui vont tenir les futurs petits.

Concrètement comment ça se passe ? La saison de reproduction a commencé il y a quatre mois. Et ça fait quatre mois que Eva (Pologne), Aude (France) et Alice (Canada) suivent un peu plus d’une centaine de territoires de mérions. Elles identifient les membres des différents groupes, localisent leurs nids, déterminent les dates d’éclosions, échangent les œufs entre deux nids lorsque les dates de pontes correspondent, etc. De mon côté je viens remplacer Alice et donc j’aurai l’occasion dans les jours qui viennent de vous détailler un peu plus le boulot qu’on attend de moi.

Mais en attendant je voudrais bien que vous m’aidiez à répondre à une question qui me turlupine les copains.

Ils n'auraient pas pu trouver un nom un peu plus approprié que « mérion superbe » pour cette horreur ?

Ils n’auraient pas pu trouver un nom un peu plus approprié que « mérion superbe » pour cette horreur ?

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Bonne poire

1er janvier

Ma quinzaine à Melbourne a payé ses fruits et j’ai pu mettre en branle la machine à faire rêver. Je compte bien vous en faire profiter les copains mais pour l’instant c’est plus de cauchemars dont je vais vous parler…

Ayant quelques semaines à tuer avant de traumatiser la faune locale je me suis dirigé vers l’activité privilégiée des détenteurs d’un visa vacance/travail : rechercher un poste dans une ferme.

La destination idéale dans l’état du Victoria pour ce genre de projet est la ville de Mildura, le long de la rivière Murray qui marque la frontière avec l’état de la Nouvelle-Galles du Sud.

Suivez les pélicans.

Suivez les pélicans.

L’Australie c’est grand, mais alors très grand. Pour aller d’un bout de l’état à l’autre il faut facilement se cogner cinq cent bornes. Un trajet qui suffit à vous faire réaliser que ce n’est pas la taille qui compte. En cinq cent kilomètres à travers l’Europe vous en avez pour vos mirettes mais en Australie vous pourriez aussi bien avoir un poster collé sur la fenêtre de votre véhicule. Le paysage est d’une monotonie qui ferait passer la Champagne pour une région aux paysages diversifiés. Des centaines de milliers d’eucalyptus rabougris après Melbourne, je descend du bus à Mildura. Trente-huit degrés à l’ombre. Ça pique un peu… La région où la quasi totalité du pinard australien voit le jour se situe à la limite de l’outback, cette immense zone désertique qui compose l’essentiel du centre du pays.

Quelques minutes après mon arrivée, Serdar Donmez vient me chercher à la gare. Celui qui se fait appeler Don est ce que les australiens appelle un « contractor », ou du moins c’est ce qu’il prétend être… Il ne me faut pas longtemps pour me rendre compte que je viens d’offrir un joli petit paquet de pognon à un escroc de première catégorie. À force de trop m’habituer à la gentillesse maladive des australiens, je me suis fait avoir comme un débutant.

La manne importante que constitue l’abondance de jeunes étrangers à la recherche d’un petit boulot agricole représente un business colossal. Pour se faire une petite part dans cette montagne d’argent, certaines personnes se sont improvisés contractor ou ont créé les work hostel. Leur but et de mettre en relation les fermiers en manque de main d’œuvre avec les voyageurs en mal de travail, le service étant bien évidemment rémunéré. Ce genre de service est indispensable si vous n’avez pas votre propre moyen de transport ou que vous êtes eu peu limite en temps. Et bien entendu, comme à chaque fois que de l’argent est en jeu, il y a les malhonnêtes.

Cachés en pleine lumière.

Cachés en pleine lumière.

La situation à Mildura est la même que celle que j’avais pu observer en Nouvelle-Zélande. Il existe un code du travail très strict mais absolument personne ne l’applique. La situation des jeunes travailleurs étrangers en Australie approche souvent les aspects d’un esclavage moderne… Profitant abondamment du fait que beaucoup de jeunes voyageurs ne parlent pas anglais ou sont désespérément en manque d’argent, des fermiers et des contractors peut scrupuleux les font travailler dans des conditions parfois terribles. Ainsi Don (je ne m’attarderai pas sur ce triste personnage, une rapide recherche sur Internet vous suffira à en savoir plus sur ses méfaits) ne nous fourniras que deux jours de travail dans un verger où nous devrons cueillir des oranges dans des conditions dangereuses pour un salaire largement inférieur au minimum légal. Le tout avec un « service » payés à l’avance pour deux semaines…

Mais alors, si je m’étais déjà fait avoir en Nouvelle-Zélande, comment ai je pu tomber dans ce piège une nouvelle fois ? Et bien comme si l’attrait d’un travail ne nécessitant ni qualifications particulières ni engagement au long terme ne suffisait pas, l’Australie s’est dotée d’une combine efficace pour inciter les jeunes voyageurs à faire le sale boulot. Si vous passez quatre-vingt huit jours dans l’année à travailler dans le secteur agricole, votre visa est prolongé d’un an ! Vu les opportunités bien plus réjouissantes que peut facilement m’offrir ce pays, c’est une option qui m’a rapidement séduit. Mais bien entendu si Don n’est même pas foutu de me trouver un boulot, je ne suis pas prêt de valider ces fameuses journées…

Au final, me faire avoir par Don comme un débile m’aura permis de rencontrer une nouvelle pelletée de gens très sympa dont Paul, un allemand de dix-neuf ans, et Augustino, un chilien de vingt-six ans.

Souriant même dans l'adversité !

Souriant même dans l’adversité !

Avec ces deux joyeux lascars nous avons quitté notre traquenard pour un hôtel bien plus fréquentable. Notre trio international et improbable a vite attiré la sympathie de tous et notre efficacité a su séduire des fermiers plus honnêtes. Nous nous sommes ainsi retrouvés à recouvrir des vignes de bâches pour protéger le raisin des intempéries, désherber autour de pieds de citrouilles et nous passons d’une année à l’autre en cueillant des pastèques.

Dans notre nouveau chez nous la vie d’esclave agricole moderne est plus facile mais les mathématiques continuent à gérer notre vie. Après notre couteuse mésaventure on se retrouve à calculer le prix de la vie en heure de travail. Ainsi un pack de vingt quatre canettes de bière nous coute six heures de cueillette d’oranges, presque trois heures de pose de bâches ou deux de ramassage pastèques. C’est un exercice rigolo et je vais donc entamer l’année en vous offrant un petit problème à l’ancienne :

Sachant que pour le Boxing Day le pack de vingt-quatre est à moins vingt pour cent de son prix habituel et que nos héros ont jusque là cueilli des oranges pendant douze heures, posé des bâches pendant huit, et ramassé des pastèques pendant dix-huit, combien de canettes de bières vont ils pouvoir se payer le lendemain de l’anniversaire de Jean-Claude ? Vous avez un an.

 Bonne année les copains!

Bonne année les copains!

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